Ancien employé de banque, Maurice profite
de sa retraite pour briser chaque semaine, la solitude des seniors avec
pour seules armes ses mots et son empathie.
« Avant, je travaillais pour les riches, maintenant je travaille pour les pauvres. »
Plus précisément pour les Petits frères des pauvres. Lunettes sages et
chemisette bleue, malgré son grand gabarit, Maurice parle d’une voix
douce et rassurante.« Donner à mon tour »
Cinq ans plus tôt, ce Nantais de 64 ans terminait sa carrière au service contentieux d’une banque. Confronté chaque jour à la galère, aux saisies, à la souffrance. En comparaison, il mesure la chance qu’il a. « J’ai eu envie de donner à mon tour. » Mais à qui ? Secours catholique ? Restos du cœur ? Finalement, ce seront les Petits frères des pauvres, au téléphone de la ligne Solitud’écoute. Là où sa voix amicale et bienveillante sera le plus utile. Maurice ne saurait pas expliquer pourquoi lui, le croyant, s’est engagé au service de cette association apolitique et laïque, mais il sait qu’il est « là ou [il] doit être ».« Ça me rend heureux »
Une fois par semaine, de 15 h à 18 h, il s’assied, casque sur la tête, dans un des petits boxes de l’antenne nantaise. Avec Paris et Lyon, c’est l’un des trois centres d’appels en France de la ligne Solitud’écoute, ouverte aux personnes de 50 ans et plus. Le bénévole vient et repart à pied : trente minutes pendant lesquelles il fait le vide, se sépare de soucis du quotidien. Un sas qui lui permet d’être pleinement disponible pour les appelants.Trois heures durant le téléphone sonne en continu. Ce vendredi après-midi, Maurice recevra une douzaine d’appels. « Quelquefois, c’est lourd, mais quand je repars, je suis toujours content d’avoir passé l’après-midi ici. Il y a toujours une ou deux conversations qui vont éclairer ma journée. Moi, ça me rend heureux. »
Briser la solitude
À raison de vingt à trente minutes par appel, l’ex employé de banque bouche quelques trous de solitude dans la vie de ses interlocuteurs. « Souvent, ils n’ont parlé à personne de la semaine. Ou juste à l’infirmière et la femme de ménage, qui n’ont pas forcément le temps. » Parfois, les problèmes de santé viennent se superposer à la solitude. « Parler n’enlève pas la souffrance, mais peut-être qu’elle aura été moins lourde à porter le temps de la conversation », espère Maurice.Crise suicidaire
S’ils ne sont ni psychologues ni médecins, les bénévoles de Solitud’écoute doivent aussi recevoir les appels de personnes en pleine crise suicidaire. Et contrairement aux idées reçues, il ne faut pas avoir peur d’en parler, d’utiliser le mot « suicide », de poser des questions concrètes. « Nous essayons de savoir à quel stade ils sont. Ont-ils un scénario ? Ont-ils les moyens de le faire ? »Si l’appelant accepte d’être aidé, le bénévole peut, à cette seule condition, lever l’anonymat et appeler les secours.
Des mots pour seuls outils
Maurice l’optimiste reconnaît qu’il ressent parfois un sentiment d’impuissance, lorsqu’il n’a pas réussi à « rejoindre la personne » avec son empathie et ses paroles pour seules armes. « Pourtant, un mot peut déclencher quelque chose, parfois ouvrir une perspective. Les mots, nous n’avons que ça. »Face à toute cette souffrance, le jeune retraité se ressource dans la foi. « Nous aussi, croyants, déposons notre souffrance, mais nous savons devant qui le faire. » À titre personnel, il prend cette expérience comme l’opportunité de grandir encore, même à 64 ans. « Tenir la ligne Solitud’écoute pour les Petits frères des pauvres fait partie des belles choses que je vis encore. »
Solitud’écoute, pour les plus de 50 ans, tous les après-midi, 7j/7 : 0 800 47 47 88 (service et appel gratuit).
https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/nantes-ils-ne-parlent-personne-de-la-semaine-6486991