Le Progrès (Lyon)
Rhône, mercredi 28 août 2019 7
« Je crois que j'ai réussi à le faire changer d'avis »
Dominique MENVIELLE
L'association de prévention du suicide assure une écoute de qualité à toutes les personnes en détresse. Environ 2500 appels lui parviennent, par an.
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Colette vient de raccrocher. Au téléphone, une femme à bout. Son histoire est celle d'une rencontre sur Facebook qui a mal tourné. Partie rencontrer cette possible amie gagnée sur les réseaux sociaux, l'intéressée est tombée dans un guet-apens. Frappée, dépouillée de ses papiers, de son argent, de sa voiture, elle a, depuis, fait une tentative de suicide. Colette va l'écouter, lui parler, lui conseiller d'aller porter plainte, de se faire aider d'un psychologue. L'encourage à appeler de nouveau si elle sent qu'elle perd pied.
De sa voix à la fois douce et assurée, respectant les silences comme les pleurs, l'écoutante va recevoir plusieurs appels. Une personne vient de se scarifier. Cette victime d'un viol appelle, véritablement, au secours. Elle ne voit pas « pourquoi continuer ». Colette va dialoguer avec cette jeune personne jusqu'à ce qu'elle soit rejointe par sa soeur et veuille raccrocher. « Surtout, vous ne la laissez pas seule et vous ne la perdez pas du regard », met en garde l'écoutante. Puis, le téléphone sonne à nouveau. « SOS Suicide Phoenix, bonjour ! », répond Colette, selon la formule consacrée. Des pleurs encore. Puis, une voix questionne doucement : « Je peux vous parler ? ». L'appelante vient tout juste de perdre sa compagne durant trente ans. « Une partie de moi est morte », confie celle qui porte, déjà, une histoire douloureuse, et « n'est pas certaine de faire face ».
« Il disait partir récupérer son arme »
En France, 10 000 suicides sont recensés par an, soit trois fois plus que des accidents de voiture. « Viennent vers nous des gens ressentant un grand mal-être, avec ou non, l'envie de se suicider, mais aussi des familles inquiètes pour des proches ou déjà confrontées au suicide, des lycéens également, des personnes présentant des troubles psychiques... Ce sont les plus désarmants », livre Colette. SOS Suicide Phoenix ne reçoit plus d'appels d'agriculteurs depuis la mise en place d'une ligne par la Mutuelle sociale agricole.
« Ici, 10 % de nos appels sont des suicidants, contre 3 % à SOS Amitié », détaille Daniel Val, président de l'association installée quai Jean-Moulin, à Lyon.
« J'ai en mémoire un policier qui roulait en direction de son commissariat lorsqu'il m'a appelée. Il partait récupérer son arme pour mettre fin à ses jours. Je lui ai dit qu'il n'y avait pas de limite de temps dans nos échanges. Je crois que j'ai réussi à le faire changer d'avis. Les jours suivants, il n'a pas été question de suicide d'un policier dans les médias », explique Colette, qui est aussi secrétaire de l'association lyonnaise.
« Là, tout de suite, vous pensez que le suicide est la meilleure solution, mais vous n'êtes pas forcément en capacité d'analyser les choses », argumente, un peu plus tard, la bénévole de nouveau en ligne. « On peut être à court d'arguments. Il faut l'exprimer sans culpabiliser », dit-elle encore.
Colette a parfois, aussi, recours à ce qu'elle nomme les idées « velcro ». « Celles qu'on utilise pour tenter de ramener la personne vers la vie. Pour une mère, on va parler des enfants. Mais, en pleine crise suicidaire, il n'y a plus de raisonnement qui tient... ».
Ce jour-là, chez Suicide Phoenix, l'ancien président fondateur, est de passage. Les souvenirs affluent. Il n'a jamais oublié l'appel d'un jeune homme demandant à le rencontrer le soir même (ce que les statuts n'autorisent pas). « Parce que j'avais refusé, et alors qu'on avait longuement discuté, il a fini par me dire qu'il allait se tuer sur-le-champ. Là, j'ai entendu une détonation, puis plus rien ». Sidération. Georges Tranchard, cet ancien président, avoue qu'il a épluché les journaux et écouté la radio tous les jours suivants. Hanté par le bruit entendu, il s'est même rendu dans une cabine téléphonique - le jeune homme appelait d'une cabine - pour en claquer la porte, espérant reproduire le bruit entendu ce soir-là.
« Il nous revient d'éclaircir une situation pour éveiller la réflexion, mais c'est à la personne de choisir la meilleure formule pour elle. À nous de savoir où elle en est par rapport à la problématique du suicide », ajoute Colette qui sait, aussi, qu'« on n'enlèvera jamais la liberté de se suicider à quelqu'un ».
« Quand on entre à SOS Suicide Phoenix, on n'en sort pas le même. Ça permet de réfléchir à notre relation à l'autre. De faire différemment. On s'améliore, je crois », confie encore Colette.
Illustration(s) :
« Là, tout de suite, vous pensez que le suicide est la meilleure solution, mais vous n'êtes pas forcément en capacité d'analyser les choses », argumente Colette, écoutante. Photo Progrès /Dominique MENVIELLE