mardi 15 octobre 2013

Une charte pour mieux parler du suicide dans les médias ?

Une charte pour mieux parler du suicide dans les médias
Le Comité national pour la bientraitance propose, dans un rapport, d’établir une « charte éthique » avec les médias.
Faut-il en parler et comment ? Cette question traverse régulièrement les rédactions quand la question du suicide revient sur le devant de l’actualité. Comment, par exemple, parler de ces enfants qui se donnent la mort ? Faut-il tenir une sorte de chronique des suicides dans certaines entreprises ? N’y a-t-il pas un risque, en racontant les circonstances de tel ou tel drame, de favoriser d’autres passages à l’acte chez des personnes fragiles ?
Ce problème du «traitement médiatique» des suicides ne laisse pas indifférent le Comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées (CNBD). Installée en février, cette instance de réflexion vient de remettre un rapport sur la prévention du suicide chez les personnes âgées à la ministre déléguée, Michèle Delaunay, très engagée sur cette question ( lire La Croix du 23 août 2012). Dans ses conclusions, le Comité préconise notamment de renforcer la communication à destination du public, pour insister sur le fait que la dépression n’est pas une fatalité de l’âge.
Mais le rapport fait aussi une proposition originale : la mise en place d’une «charte médias» en lien avec les professionnels de l’information. «Des travaux démontrent que les médias ont une influence significative : la médiatisation de cas de suicide peut entraîner un effet facilitateur pour des personnes en souffrance psychique et ainsi une augmentation de suicides a pu être observée à la suite de certaines publications», souligne le Comité, qui juge donc nécessaire d’établir une «charte éthique» avec les médias ou de mener une opération de sensibilisation dans les écoles de journalistes.
L’initiative n’est pas nouvelle. En 2002, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait, par exemple, publié des recommandations sur ce sujet. En préambule, ce document rappelle que l’une des plus anciennes relations entre média et suicide est apparue lors de publication, en 1774, du roman de Goethe, Les Souffrances du jeune Werther. «Dans cet ouvrage, le héros se tue avec un pistolet après une déception amoureuse. Pendant un certain temps après cette publication, il fut rapporté de nombreux suicides de jeunes hommes utilisant la même méthode. Il en résulta une censure du livre avec saisie dans les librairies», souligne l’OMS.
Dans ce petit guide, l’organisation présente des recommandations très concrètes, comme le fait d’éviter de livrer, dans un article sur un suicide, une description détaillée de la méthode utilisée ou du lieu où il s’est produit. «Certains endroits, ponts, falaises, immeubles élevés, voie ferroviaire, etc.. sont traditionnellement associés au suicide et la publicité que l’on peut en faire accentue le risque de suicide à partir de ces lieux», estime l’OMS. Autre préconisation : un suicide ne doit pas être présenté comme une méthode pour trouver une solution à ses problèmes personnels tels que faillite, échec à un examen ou abus sexuel.
Fin 2012, en Belgique, l’Association des journalistes professionnels a publié elle aussi des «points de repères» sur le traitement du suicide. Cette association conseille notamment d’éviter le «renforcement positif» et l’identification. «Toute idéalisation du suicide ou toute exaltation romantique des motivations qui poussent à le commettre (“il l’a fait pour laver son honneur”, “elle l’a fait par amour”) augmentent le risque d’identification et d’imitation, souligne l’association. La glorification des suicidés, présentés comme martyrs ou comme méritant l’admiration du public, peut suggérer aux personnes sensibles que la société rend honneur au comportement suicidaire», prévient-elle.
PIERRE BIENVAULT