Un deuil qui dure 10 ans
Publié le 08/10/2013sur http://www.jim.fr/e-docs/00/02/28/7E/document_actu_med.phtml |
La perte d’un proche par suicide rend bien souvent le deuil plus difficile. La dépression, l’anxiété ou un état de stress post-traumatique peuvent persister longtemps. Ils sont toutefois à distinguer du « deuil compliqué », entité clinique différente du deuil pathologique et traduisant une sorte « d’enlisement » dans le deuil et caractérisée par une évocation permanente de la personne décédée, l’incrédulité, l’apathie, le détachement, une irritabilité excessive et la colère. Le deuil compliqué doit alerter, car il semble être un facteur de risque de suicide.
Une équipe hollandaise a réalisé une intéressante étude de cohorte pour tenter d’identifier des éléments qui permettraient de prédire l’évolution à long terme vers un deuil compliqué, la dépression ou des idées suicidaires. Les auteurs ont suivi, pendant 8 à 10 ans, 153 parents au premier degré ou conjoints de 74 personnes décédées par suicide.
Il est frappant de constater que les symptômes d’un deuil compliqué sont encore présents chez 21,6 % des participants à l’étude 8 à 10 après le décès, alors que 10,5 % des personnes peuvent être encore dépressives et 6 % évoquent des idées suicidaires. La perte d’un enfant par suicide est un facteur de risque particulier, et le deuil compliqué est plus fréquent aussi chez le conjoint d’une personne décédée par suicide que chez ses enfants, ses frères et sœurs ou ses beaux-parents. Il semble que ces derniers reçoivent plus de soutien de la part de l’entourage que le conjoint, ce qui pourrait limiter le risque de complications.
La présence d’un antécédent de tentative de suicide est associée à un risque significatif d’idées suicidaires à long terme (Odds ratio : 5,5 ; intervalle de confiance à 95 % 1,8 à 16,7). Les femmes, si elles ont un risque supérieur de dépression, ne présentent pas plus de risques d’idées suicidaires ni de deuil compliqué.
Des éléments propres à la personnalité de chacun apparaissent essentiels. Ainsi, les personnalités névrotiques et celles qui ont le moins de maîtrise de soi ont-elles plus de risque de présenter un deuil pathologique. Le temps semble arranger un peu les choses, puisque à la fois le risque de dépression et celui de deuil compliqué diminuent avec le temps.
En ce qui concerne la prise en charge, l’évolution à long terme du processus de deuil ne paraît pas influencée par une thérapie familiale de type cognitivo-comportementale, non plus que par le soutien d’un médecin généraliste et/ou un suivi psychiatrique. En revanche, les auteurs mettent en garde contre le « soutien par les pairs », aide apportée par des personnes ne faisant pas partie de l’entourage dupatient, mais qui ont vécu elles-mêmes l’épreuve difficile du suicide d’un proche. Ce type de soutien paraît ici favoriser le deuil compliqué et semble donc particulièrement déconseillé pour des personnes qui manifestent des symptômes de dépression, de deuil compliqué ou des idées suicidaires.
Dr Roseline Péluchon
De Groot M et coll. : Course of bereavement over 8-10 years in first degree relatives and spouses of people who committed suicide: longitudinal community based cohort study
BMJ 2013; 347: f5519doi: 10.1136/bmj.f5519