N° 542
SÉNAT
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat
le 21 mai 2012
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PROPOSITION DE RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 34-1 DE LA
CONSTITUTION,
PRÉSENTÉE
Par Mmes Isabelle PASQUET, Annie DAVID, Laurence COHEN, MM.
Guy FISCHER, Dominique WATRIN, Mmes Éliane ASSASSI, Marie-France
BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Éric BOCQUET, Mmes Nicole
BORVO COHEN-SEAT, Cécile CUKIERMAN, Michelle DEMESSINE,
Évelyne DIDIER, MM. Christian FAVIER, Thierry FOUCAUD, Mme Brigitte
GONTHIER-MAURIN, MM. Robert HUE, Gérard LE CAM, Michel
LE SCOUARNEC, Mme Mireille SCHURCH et M. Paul VERGÈS,
Sénateurs
EXPOSÉ DES MOTIFS
Document "pastillé" au format PDF (47 Koctets)
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Mesdames, Messieurs,
On connait mal aujourd'hui les raisons qui conduisent les
femmes et les hommes à décider de mettre fin à leur vie et
de ce fait, la prévention est insuffisante ou inopérante.
<« La question lancinante du suicide> est devenue incontournable
dans le débat public. Elle touche les seniors, les jeunes, les familles
mais aussi les entreprises, le monde agricole, les ministères, les
services publics (police, pénitentiaire, hôpitaux...). Le pire
serait de continuer à discuter de cette question dramatique sans que
rien ne se fasse et qu'<au bout du compte un suicide> puisse devenir banal voire
acceptable ». C'est sur la base de ce constat que des
chercheurs, des professionnels de santé, des sociologues, des
associatifs, des syndicats ont <lancé et soutenu un appel demandant la
création d'un observatoire des suicides et des conduites suicidaires en
France>. Une mobilisation qu'entendent soutenir les auteurs de cette proposition
de résolution, persuadés que seule la création de cet
observatoire permettrait <de mieux appréhender les
phénomènes suicidaires pour mieux> les prévenir.
La création d'un tel observatoire, que le Conseil
économique et social recommandait déjà en 1993 sous
l'impulsion du professeur Michel Debout, n'a pas seulement <vocation à
mesurer, quantifier le nombre de suicides en France>. Les données dont on
dispose aujourd'hui permettent de considérer que chaque année
130 000 personnes tentent de se suicider et que malheureusement,
11 000 de ces tentatives aboutissent à la mort. La création
de cet observatoire permettrait assurément un meilleur traitement
statistique, quant à lui indispensable à une approche de
santé publique et d'analyse sociale. Cette approche pourrait par exemple
nous permettre de mieux comprendre pourquoi la France est <parmi les pays
européens dont le taux de suicide> est le plus important. Celui-ci est
par exemple deux fois plus élevé qu'en Espagne ou qu'en Grande
Bretagne.
La vocation d'un observatoire - <des suicides et des conduites
suicidaires en France> - doté de moyens financiers propres, devrait lui
permettre, comme le préconise « l'Appel des 44 »,
« de mener des études épidémiologiques et
cliniques ». Grâce à elles, les pouvoirs publics et
les acteurs de la société civile pourraient enfin disposer
d'éléments fiables et précis leur permettant de disposer
<de connaissances précises « quant aux populations les plus
exposées ou encore leurs caractéristiques, leurs lieux de vie et
leurs conditions de travail (ou de chômage) et l'évolution dans le
temps du taux de suicide » et aux incidences de certains
événements ou de certaines évolutions de la
société>.
L'indépendance de cet observatoire constitue un
élément essentiel afin que ses travaux soient libres et que ses
conclusions et recommandations ne puissent souffrir d'aucune suspicion.
<Le phénomène suicidaire, ses causes et les
réponses préventives> qu'il conviendrait d'apporter interrogent
nécessairement notre société et les pouvoirs publics.
Christian Baudelot, Roger Establet et Saadi Lahlou écrivaient
déjà <en 1987 que « l'expérience statistique
accumulée depuis cent ans enseigne que le taux de suicide> est un
indicateur social particulièrement sensible à la nature des
relations que nouent entre eux les membres d'un groupe social ou d'une
société ». <Ces mêmes auteurs, constatant
l'évolution constante du nombre de suicides de 1950 jusqu'en 1982, la
dernière année retenue pour leur étude (Données
sociales de l'INSEE 1987 p. 456)> concluaient : <« La
montée du suicide au cours des dix dernières années
en France> renvoie donc à une dégradation ou un affaiblissement
dans notre société des éléments de cohésion
et d'intégration ». Ce constat ne peut qu'interroger
celles et ceux qui ont <suivi le 7 février 2012 le discours de
présentation du plan d'action contre le suicide, présenté
par Mme Nora BERRA, alors secrétaire d'État chargée de la
santé>, dans la mesure où elle n'a <prononcé ni les mots
crise, précarité ou chômage,
comme si le suicide> ne devait être appréhendé que sous le
seul angle individuel.
Cela se vérifie dans le monde du travail. <Les suicides
intervenus au sein des entreprises Orange ou La Poste en pleine
réorganisation, ou encore dans l'Inspection du travail> - où la
logique de qualité est progressivement remplacée par une exigence
de productivité - démontrent combien ceux qui travaillent peuvent
souffrir d'une désorganisation ou d'une forme de direction dès
lors qu'elle a pour conséquence de broyer l'humain. Ou quand elle retire
tout sens au travail, au point que celui-ci n'est plus vécu comme un
élément de cohésion, de fraternité, de confort
économique et social ou encore d'émancipation, mais comme un
générateur de souffrances. Ainsi, selon François Beck -
sociologue à l'INPES et auteur de l'enquête du Bulletin
épidémiologique hebdomadaire (BEH) publiée le 13
décembre 2011 : « Si le fait d'avoir
un emploi est <reconnu comme un facteur protecteur vis-à-vis du suicide,
certaines situations professionnelles caractérisées par une
exposition à des contraintes psychosociales (généralement
désignées sous le terme de « stress »)> sont
reconnues comme délétères pour la santé psychique,
et pourraient constituer <un élément déclencheur dans la
survenue de syndromes dépressifs et/ou des conduites
suicidaires> ». Pourtant, <le suicide lié à des
causes professionnelles demeure trop souvent réduit à une
présupposée fragilité du salarié, sans doute afin
d'éviter un questionnement de plus grande ampleur sur le travail>
lui-même.
Il se vérifie <aussi pour les personnes en situation de
dépendance ou de handicap où le suicide demeure trop souvent
appréhendé comme une fatalité contre laquelle rien> ne peut
être fait. C'est ainsi que sont éludées les questions
fondamentales de la détresse psychique des personnes en situation de
handicap, ou des conséquences néfastes de l'exclusion sociale
dont elles sont victimes, du fait d'un urbanisme qui les assigne à
résidence, d'un marché du travail qui les plonge dans la
précarité économique, ou encore d'une approche encore trop
stigmatisante, réduisant la personne en situation de handicap à
ce dernier.
Il se vérifie encore auprès des jeunes, pour qui
le suicide est, avec 16,6 % des causes de décès des 15-24
ans, la seconde cause de mortalité. Là encore, la tentation est
grande de n'appréhender le passage à l'acte que sous l'aspect
psychologique, émotionnel ou de ne rechercher ses motivations que dans
le cercle familial. Cette approche est insuffisante et il faut rechercher dans
la société toute entière les éléments qui
conduisent à faire <penser à l'adolescent, voire à
l'enfant, que le suicide> constitue la seule solution pour faire cesser une
situation qui génère de la souffrance. À cet égard,
le rapport du professeur Boris Cyrulnik - « Quand un enfant se donne
la mort » - Édition Jacob - remis en septembre dernier
à la ministre de la jeunesse et des sports est éloquent. En
réaffirmant l'importance de recréer pour et autour de l'enfant,
« un environnement sécurisant », il
démontre combien la société a progressivement
basculé d'une logique de bienveillance à une logique de
suspicion. Au point que certains n'hésitent plus à
considérer que plutôt que d'investir dans une politique
préventive destinée au développement de l'enfant, il
faudrait, dès trois ans, mesurer sa potentielle dangerosité.
Ce rapport et les conditions de sa réalisation sont
exemplaires, au sens littéral, c'est-à-dire qu'ils doivent servir
d'exemple.
Parce que <les causes du suicide> sont multifactorielles, il
faut se doter d'un outil qui permette une approche tout aussi multifactorielle.
Comme le rappelait le communiqué de presse du secrétariat
d'État à la jeunesse et à la vie associative du 29
septembre 2011 rendu public à l'occasion de la remise du rapport
précédemment cité : « Le travail
réalisé repose sur une approche pluridisciplinaire mêlant
neurobiologie, biochimie, psychologie, sociologie et autres disciplines qui
doit nous permettre d'éviter le piège de la causalité
unique et le risque de stigmatisation qui pourrait lui être
associé ». Ce travail, il convient aujourd'hui de le
poursuivre dans une même démarche, au sein d'un observatoire
composé d'intervenants et d'experts d'horizons, de centres
d'intérêts et de compétences, de natures et de fonctions
divers. Cette pluralité d'acteurs, d'approches, travaillant en toute
indépendance, est la garantie que l'observatoire qui pourrait être
créé aurait pour mission, comme le présente Denis Garnier,
« non pas de rechercher des coupables, mais d'identifier des
causes pour trouver des réponses ». Car la
finalité de « l'Appel des 44 », comme celle de la
création d'un tel observatoire, est bien de sauver de vie, en favorisant
la prévention et en permettant une meilleure interaction entre
l'ensemble des acteurs chargés de la détection, de la
prévention, et le cas échant, du soin.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
ARTICLE UNIQUE
Le Sénat,
Vu l'article 34-1 de la Constitution,
Vu les articles 1 à 6 de loi organique n° 2009-403
du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de
la Constitution,
Vu le chapitre VIII bis du Règlement du
Sénat,
<Considérant que le suicide> ne peut pas être
considéré comme une fatalité et que tout doit être
mis en oeuvre afin de les prévenir,