mardi 30 septembre 2025

Point Recherche Vers une nouvelle approche dynamique de l’évaluation du risque suicidaire

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Point Recherche

Vers une nouvelle approche dynamique de l’évaluation du risque suicidaire

Publié le 22 septembre 2025

Aiste Lengvenyte, Praticien Hospitalier au Département d’Urgence et Post-Urgence Psychiatrique au CHU Montpellier, membre de l’alliance FondaMental.  

Philippe Courtet, Professeur de Psychiatrie, Université Montpellier, Responsable de la Chaire de Prévention du suicide de la Fondation Fondamental. 

Les limites des évaluations « statiques » 

Les méthodes traditionnelles d’évaluation du risque suicidaire reposent majoritairement sur des facteurs dits « statiques » : antécédents de tentative, diagnostic psychiatrique, sexe, âge. Ces éléments permettent d’estimer un danger à long terme, mais restent aveugles face aux fluctuations rapides qui peuvent précéder une tentative de suicide. Or, dans certains cas, le risque peut évoluer en quelques heures. C’est pourquoi nous proposons dans cet article de considérer le suicide non pas comme un événement soudain et isolé, mais comme le résultat d’un processus dynamique, un système complexe, en déséquilibre progressif, qui envoie des signaux avant-coureurs mesurables. 

Détecter les signaux faibles en temps réel  

Pour repérer ces signaux précoces, la recherche s’oriente vers des outils de suivi en temps réel : questionnaires envoyés plusieurs fois par jour sur smartphone, capteurs connectés mesurant le sommeil, le rythme cardiaque ou l’activité physique, et même extraction automatisée de données contenues dans les dossiers médicaux. Ces données, parfois enrichies d’analyses biologiques (cortisol, cytokines, marqueurs de plasticité cérébrale), peuvent ensuite être traitées par des algorithmes d’intelligence artificielle capables d’identifier des motifs imperceptibles à l’œil nu. Les premiers résultats sont prometteurs : ces modèles surpassent souvent les évaluations cliniques classiques. Ils ne sont pour le moment pas encore prêts pour une utilisation clinique mais leur développement est rapide.  

Le cadre de la théorie des systèmes dynamiques 

La théorie des systèmes dynamiques nous permet de mieux comprendre comment le risque suicidaire évolue. À l’approche d’un « point critique », le système perd sa capacité à revenir rapidement à un état d’équilibre après un stress. C’est le signe d’une diminution de la résilience, c’est-à-dire de la capacité de l’individu à faire face à cet évènement stressant. Concrètement, cela se manifeste par une plus grande instabilité émotionnelle, des idées suicidaires plus variables, des troubles du sommeil ou encore des difficultés d’attention. Certaines variations biologiques suivent la même logique, notamment une hausse du cortisol (hormone associée au stress) ou des marqueurs inflammatoires. Ces signes indiquent que le stress et le système immunitaire interagissent, ce qui affaiblir encore davantage une personne déjà vulnérable.  

Des interventions « just-in-time » 

En intégrant ces indicateurs psychologiques, physiologiques et biologiques en temps réel, il devient possible d’imaginer des interventions dites « just-in-time » (juste à temps) : un message de soutien, une téléconsultation ou un ajustement de traitement déclenchés précisément au moment où le risque s’élève. Cette approche permettrait une prise en charge plus réactive, en évitant des hospitalisations inutiles et en concentrant les ressources sur les périodes critiques. À terme, le suivi du risque suicidaire pourrait ressembler à la surveillance glycémique dans le diabète : régulier, personnalisé, et préventif. 

Défis et perspectives 

Cette approche soulève toutefois plusieurs défis : la fatigue chez les patients induite par la saisie fréquente de données, la protection de la vie privée, la transparence des algorithmes, et surtout la responsabilité éthique d’intervenir rapidement en cas de détection d’un danger imminent. Des études à grande échelle seront nécessaires pour valider ces outils et les intégrer de manière pragmatique dans les parcours de soins. 

En remplaçant une vision figée du risque par une compréhension dynamique, cette approche ouvre la voie à une prévention plus fine, plus personnalisée, et potentiellement salvatrice. Repérer plus tôt les trajectoires à risque, adapter les soins en continu, et au final, sauver des vies.