“Montrer que l’adulte peut parler suicide, c’est extrêmement rassurant pour les jeunes”
Pascal Mureau
REGION, jeudi 14 décembre 2023 https://www.courrier-picard.fr/*
Picardie Sébastien Garny de la Rivière est le chef du service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent au CHU d’Amiens. Il a pour mission de débriefer les cellules d’écoute de l’Éducation nationale, notamment mises en place dans le cadre de suicides d’élèves.
«On a bien une explosion post-Covid, mais les chiffres remontent très discrètement. On est loin de la situation sur les vingt dernières années» Sébastien Garny de la RivièreChef du service de psychopathologie de l’enfant et l’adolescent au CHU d’Amiens
Chef du service de psychopathologie de l’enfant et l’adolescent au CHU d’Amiens, Sébastien Garny de la Rivière est en charge de débriefer les cellules d’écoute de l’Éducation nationale;
Le pédopsychiatre participe également aux travaux de l’Établissement public de santé mentale de la Somme. Après le drame d’Abbeville, il apporte ici des « éléments de santé publique », au-delà des cas particuliers.
Comment expliquer le suicide des adolescents ?
Tout le monde aimerait bien avoir des explications toutes faites. Ce n’est pas la réalité. Les facteurs sont multifactoriels. On constate une augmentation de la prévalence de la souffrance psychique des jeunes post-Covid, avec une augmentation des consultations et des hospitalisations. Heureusement, le nombre de suicides d’adolescents réussis reste extrêmement faible. En quinze ans de carrière, j’en ai eu très peu à gérer. En revanche, le taux de tentative est fortement en hausse depuis la période Covid. La pandémie a été un démultiplicateur des souffrances qui existaient déjà dans la société.
Quel est votre rôle, vous les pédopsychiatres ?
À Amiens, nous avons mis en place beaucoup de thérapies comportementales dialectiques. Des groupes de parole. Nous travaillons également avec le Centre adolescents post-crise, une nouvelle unité au sein de l’Établissement public de santé mentale de la Somme (anciennement Philippe-Pinel). Dans ces structures, on va beaucoup aider l’adolescent à verbaliser sa souffrance par divers moyens, la parole, l’art-thérapie, l’écriture.
Ces dernières années, on a le sentiment que ces suicides et ce malaise des adolescents augmentent ?
Pour résumer, les trois dernières années sont compliquées en termes de santé mentale. Mais si on défocalise, le taux de suicide des jeunes a nettement diminué par rapport aux années 2000, preuve d’une bonne efficacité des politiques publiques de prévention. Donc, on a bien une explosion post-Covid, mais les chiffres remontent très discrètement, on est loin de la situation sur les vingt dernières années. Désormais, on va hospitaliser les jeunes qui ont des idées suicidaires pour travailler avec eux rapidement. Quand il y a passage à l’acte, la prise de médicaments est le mode le plus fréquent.
Quels conseils donnez-vous aux parents inquiets ?
Encore une fois, il faut bien comprendre que l’idée suicidaire est multifactorielle. C’est une souvent une accumulation d’événements. Je prends l’exemple d’une chaussure remplie de cailloux… un de trop et on finit par basculer en arrière. Ce qui peut alerter un parent, c’est l’isolement, la perte d’intérêt dans les activités extrascolaires, le fait de se réfugier derrière un écran. J’encourage beaucoup les parents à s’intéresser à ce que les font les jeunes, à ce qu’ils s’échangent.
Les écrans font peur. Aller derrière avec eux, c’est une bonne manière de déstigmatiser. Heureusement, il reste des jeux créatifs. Toutefois, on ne va pas se mentir, il y a aussi des activités ultra-répétitives qui sont des modes pour s’empêcher de penser et qui doivent alerter. Bien sûr, il faut aussi regarder les résultats scolaires. Enfin, il est important d’apprendre aux ados à communiquer. Montrer que l’adulte peut parler suicide c’est extrêmement rassurant pour eux.