vendredi 15 décembre 2023

Quel programme pour prévenir le suicide des infirmières ? L’exemple américain

Quel programme pour prévenir le suicide des infirmières ? L’exemple américain

Publié le 14/12/2023 jim.fr

Washington, le jeudi 14 décembre – Partout dans le monde, la santé mentale des professionnels de santé en général et des infirmières en particulier suscite une attention vigilante. Aux-Etats-Unis, le taux de suicide des infirmières est alarmant : 23,8 pour 100 000, dépassant les 20,1 pour 100 000 de la population générale. Outre le stress professionnel, le risque de suicide est accentué par un accès facilité à des médicaments létaux. D’ailleurs, des analyses toxicologiques posthumes révèlent chez les infirmières des taux plus élevés de prise d'antidépresseurs (44 % contre 36 %), de benzodiazépines (42 % contre 32,7 %), et d'opiacés (33,7 % contre 27,4 %) par rapport à la population générale.

Or, les infirmières, selon l’enquête du Mental Health America, sont confrontées à des défis encore renforcés depuis la crise du COVID, tels que la pénurie d’effectifs, la violence et le mécontentement des patients. Ces conditions de travail de plus en plus critiques les exposent à un risque de traumatisme psychologique, surtout lorsqu'elles interviennent dans des environnements aux ressources limitées, les exposant potentiellement à un stress traumatique secondaire. Cela se traduit par des erreurs médicales, un manque d'empathie, une productivité réduite et des taux de rotation plus élevés, majorant ainsi le risque des idées suicidaires dans la population infirmière, constituant un véritable cercle vicieux.

Enfin, les différents obstacles à l'accès aux soutiens psychologiques finissent de créer les conditions pour renforcer le tabou et le silence sur les souffrances ressenties.

Des outils pour éviter le suicide

Dans de nombreuses structures, des outils visant à prévenir le suicide ont été mis en place, tel le CISM[1], une approche d'intervention en cas de crise offrant une première aide psychologique par le biais de collègues formés et supervisés par un spécialiste de santé mentale. Les professionnels peuvent contacter la personne formée au CISM eux-mêmes en cas de besoin ou signaler un collègue en difficulté. Ce programme a également été développé pour les services d'ambulance et les paramédicaux dans différents comtés de l'Oregon et de Washington, avec des retours positifs notables.

Le programme HEAR[2], un programme de dépistage du risque de suicide en collaboration avec la Fondation américaine pour la prévention du suicide, a été adapté pour les infirmières. Il propose pour sa part une approche à deux volets, comprenant des présentations didactiques pour déstigmatiser la dépression et fournir des informations sur l'épuisement professionnel, ainsi qu'un programme de dépistage interactif en ligne. Les participants peuvent recevoir une aide psychiatrique anonyme : ce programme a contribué à réduire les suicides chez les médecins.

Au cours des six premiers mois de sa mise en œuvre, 172 infirmières y ont participé, et les résultats ont été marquants : 74 (43 %) ont été identifiées comme étant à haut risque de suicide et 94 (55 %) présentaient un risque modéré. Douze répondants (7 %) ont exprimé une idéation suicidaire active ou évoqué des actes d'automutilation, et 19 (11 %) ont avoué avoir déjà tenté de se suicider. De manière inquiétante, seulement 28 infirmières (16 %) suivaient une thérapie au moment de l'enquête. 44 infirmières (26 %) ont reçu des conseils, et 17 (10 %) ont été dirigées vers un professionnel de santé mentale. Un ajout au programme HEAR a été conçu pour offrir des débriefings d'incidents critiques soit automatiquement après certains événements soit sur demande. Ces sessions sont dirigées par des thérapeutes qui se concentrent exclusivement sur les aspects émotionnels et le stress psychologique pouvant découler d'un événement troublant ou d'une série d'événements. Les débriefings sont de nature multidisciplinaire et ouverts à la participation de tous les membres de l'organisation qui le souhaitent.

CISM versus HEAR.

Comparativement au CISM, le programme HEAR offre l'anonymat, mais son efficacité dépend fortement de la prise de conscience des infirmières vis-à-vis de leurs besoins en santé mentale et de leur volonté de participer au dispositif. On observera cependant que les professionnels peuvent contacter les thérapeutes du programme HEAR lorsqu'un collègue connaît des difficultés psychologiques ou est considéré comme étant à risque de suicide.

HEAR et CISM fournissent des ressources facilement accessibles et pourraient potentiellement se compléter de manière innovante dans le domaine de la prévention du suicide. Actuellement, le Département de la santé et des services sociaux (HHS) et l'Administration des services de santé mentale et de toxicomanie (SAMHSA) supervisent les activités de prévention du suicide au niveau fédéral. La réduction du suicide des infirmières pourrait être réalisée grâce à une approche coordonnée avec le développement d'une structure nationale permettant de faciliter la collaboration entre les organisations.

[1] Equivalent du Système d'Intervention en Santé Mentale des Urgences (SISMU)

[2] ISP; https:// afsp.org/interactive-screening-program)—

G. Perennou

https://www.jim.fr/medecin/actualites/pro_societe/e-docs/quel_programme_pour_prevenir_le_suicide_des_infirmieres_lexemple_americain__199983/document_actu_pro.phtml