D'apres article Covid : "les crises suicidaires augmentent chez les ados, à chaque annonce d’un nouveau variant"
Entretien
Propos recueillis par Violaine Des Courières
Publié le 02/02/2022 https://www.marianne.net/*
Sylvie Tordjman est professeur de pédopsychiatrie à l'université de Rennes 1, chef du pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Elle alerte sur des pics de crises suicidaires chez les jeunes adolescents, alors que l'on parle d'un sous-variant d'Omicron, déjà présent dans 57 pays.
Marianne : Vous évoquez une très forte augmentation des consultations d'adolescents aux urgences de Rennes pour des crises suicidaires. Vous corrélez ce fait avec les communications médiatiques anxiogènes liées au Covid – 19. Quels sont les chiffres ?
Sylvie Tordjman : L’augmentation exponentielle des crises suicidaires est une conséquence de la pandémie. De mars à mai 2020, pendant le premier confinement, il ne s’est rien passé. Il y avait l'idée que ces premières restrictions sanitaires permettraient une sortie de crise. C'est l'annonce du second confinement, le 31 octobre 2020, qui a généré une première flambée des consultations d'adolescents aux urgences. Ainsi, le mois suivant, en novembre 2020, nous avons comptabilisé 48 consultations pour crises suicidaires, alors que les autres années, à la même période, nous n'avions qu'une vingtaine. En mars 2021, au lendemain de l'annonce de couvre-feu à 19 heures, nous avons reçu 55 adolescents pour des crises suicidaires, alors qu’à la même période, les autres années, il n'y en avait qu'une quinzaine. C'est comme si chaque prise de parole d'Emmanuel Macron, chaque annonce de nouveau variant, chaque prise de parole médiatique sur le virus générait des flambées toujours plus vives de crises suicidaires chez les 12-16 ans.
Marianne : Avez-vous identifié un profil spécifique d’adolescent plus vulnérable ?
Sylvie Tordjman : Les jeunes principalement touchés sont des filles, entre douze et seize ans. Elles ont accès à l’information sur les réseaux sociaux et les médias. Elles souffrent de troubles anxieux en lien avec la pandémie. Elles basculent vers la crise suicidaire, lorsqu'elles ont également des symptômes d'impulsivité. Il faut distinguer ces crises des simples idées de mort. En France, 15 % des jeunes ont des pensées relatives à la fin de leur vie, sans que cela ne relève de la santé mentale.
Marianne : Comment expliquez-vous une telle flambée de ces consultations ?
Sylvie Tordjman : En consultation, les adolescents nous parlent de la pandémie. Ils ont peur d'être contaminés. Ils ont peur du futur. Par anxiété, ils se ferment, s'isolent et se replient sur leur propre environnement, ils limitent leurs déplacements et mettent un terme à leurs projets de voyage et d'investissement dans l'associatif. Un tel contexte ne peut qu'être antinomique avec le développement normal de l'adolescent. Entravé dans sa croissance psychologique, le jeune peut développer un mal-être. Cet état génère des vagues de stress répété, rythmées sur le tempo des crises sanitaires.
« Si l'ailleurs se trouve barré, en raison de restrictions sanitaires, la quête initiatique est empêchée. L'adolescent ne peut se constituer cette identité, dont il a besoin pour accéder à la vie adulte. »
Marianne : La politique du zéro risque aurait-elle un effet délétère sur les adolescents ?
Sylvie Tordjman : Exactement. Les voyages, les immersions dans des milieux différents et les expériences nouvelles sont des facteurs d'ouverture et de changement personnel. Ils correspondent à une période d'exploration, de découverte et de recherche d'identités avec une confrontation à un ailleurs et une prise de risque (par exemple, exploration de sensations fortes ou mise en danger pour mieux se sentir vivre). Tous ces éléments sont, encore une fois, indispensables au bon développement des adolescents. S'ils évoluent dans un climat anxiogène de surprotection, ils sont plus facilement sujets aux troubles anxieux.
Marianne : En quoi l’exploration de l’ailleurs est constitutif de l’identité d’un adolescent ?
Sylvie Tordjman : Pour construire son identité, le jeune doit explorer un ailleurs. Il doit sortir de son milieu et de son environnement pour se confronter à des univers différents, à des pays ou des lieux autres que le sien. Avec les restrictions sanitaires, l'ailleurs est barré et la quête initiatique, empêchée. L'adolescent ne peut se constituer cette identité dont il a besoin pour accéder à la vie adulte.
Marianne : Ces crises se sont-elles ensuite traduites par des suicides ?
Nous n'avons eu aucun suicide parmi les jeunes accueillis. Car nous traitons chaque crise suicidaire, afin de réduire les risques de passage à l’acte. La prise en charge passe par une étude du degré d’impulsivité de l'adolescent. Plus ce marqueur est élevé, plus l'alerte est importante. Ensuite, nous organisons une veille lors des dates anniversaires de la crise suicidaire. Statistiquement, les récidives augmentent drastiquement un an après la première tentative.
Enfin, nous misons sur une alliance thérapeutique avec les parents. Plus précisément, la coopération avec le père diminue de 30 à 50 % le risque de récidive. Si ce dernier ne se présente pas aux urgences, nous allons le chercher à domicile. Cette figure paternelle est essentielle selon nos études, car c'est elle qui pose le cadre. Nous obtenons d'excellents résultats, puisqu'aucun jeune n'a ensuite fait de récidive.
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