lundi 7 février 2022

ETUDE RECHERCHE Les femmes enceintes ont parfois des idées suicidaires…

Les femmes enceintes ont parfois des idées suicidaires…
Publié le 06/02/2022
Selon l’enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles 2013-2015 dont les résultats ont été publiés par l’INSERM et Santé publique France en janvier 2021, le suicide est devenu l’une des premières causes de mortalité maternelle (13,4 %), juste après les maladies cardiovasculaires (13,7 %). Pourtant, il n'existe que peu de recherches concernant la prévalence et les facteurs de risque d'idées suicidaires au cours de la grossesse dans les pays industrialisés.

Une étude multicentrique a été menée en Espagne à ce sujet (1). L'échantillon a inclus 1 524 femmes enceintes recrutées entre 2014 et 2017 dans des services d'obstétrique de deux hôpitaux universitaires. La prévalence d'idées suicidaires en période prénatale a été estimée entre 11 et 12 semaines d'aménorrhée en analysant les réponses à l'item 9 du Patient Health Questionnaire (PHQ-9). Le libellé de la question était : "Au cours des deux dernières semaines, vous est-il arrivé de penser qu'il vaudrait mieux mourir ou envisager de vous faire du mal d'une manière ou d'une autre". Les quatre réponses possibles étaient : "jamais", "certains jours", "plus de la moitié du temps" ou "presque tous les jours".

Parallèlement, une évaluation des facteurs de risque a été basée sur deux questionnaires, le premier élaboré spécialement dans le cadre de l'étude proposant des variables socio-démographiques et biomédicales, le second étant l'échelle de stress du Post-partum Depression Predictors Inventory revu dans sa version prénatale (PDPI-R).

2,6 % des femmes enceintes
Au total, 2,6 % des femmes enceintes ont déclaré avoir eu des idées suicidaires au moins plusieurs jours au cours de la quinzaine précédant les réponses. Ce pourcentage est identique à ceux obtenus dans deux autres enquêtes aux États-Unis en 2010 et 2011. Notons qu'en 2017 en France, 4,7 % des personnes de 18 à 75 ans déclaraient avoir pensé à se suicider au cours des 12 derniers mois (Baromètre de Santé publique France).

Les facteurs de risque étaient des antécédents de syndrome dépressif (p < 0 ,05), le chômage (p < 0,05) et le statut d'immigrante (p < 0,01), un antécédent d'avortement (p < 0,01) et une grossesse obtenue par assistance médicale (p < 0,05). Les difficultés financières et les « conjugopathies » étaient également significatives : respectivement p < 0,05 et p < 0,01. On peut regretter qu'aucune question n'ait été posée concernant l'acceptation de la grossesse en cours.

Les auteurs considèrent donc comme critique le besoin de dépistage et d'intervention préventive adaptée aux femmes enceintes pour diminuer le risque de comportement suicidaire.

Plus de prématurité en cas de dépression anténatale

Une autre étude (2), menée aux États-Unis avait pour but d'évaluer la relation entre la présence de symptômes dépressifs en période prénatale et les risques d'effets indésirables sur la grossesse.

Il s'agissait de l'analyse secondaire d'une étude prospective et multicentrique d'une cohorte de femmes nullipares. Le Edinburgh Postpartum Depression Scale a été proposé au cours de deux visites prénatales, une première fois entre 6 et 14 semaines d'aménorrhée et la seconde entre 22 et 30 semaines. Les résultats des scores étaient considérés comme améliorés, stables ou aggravés selon que les scores évoluaient d'au moins une déviation standard entre les deux consultations.

Les fréquences de complications de la grossesse (hypertension artérielle, hématome rétro-placentaire, césarienne, accouchement prématuré, petit poids pour l'âge gestationnel, admission du nouveau-né en soins intensifs, et réhospitalisation de la patiente) étaient comparées à l'évolution des symptômes dépressifs par des analyses bivariées et multivariées. Dans une seconde étape, les auteurs ont évalué la fréquence d'accouchement prématuré spontané ou d'indication médicale selon l'âge gestationnel.

Au total, 8 784 femmes ont rempli le questionnaire lors des deux consultations prénatales. On a observé une amélioration des scores dans 13,0 % des cas, des scores stables dans 75,9 % et une aggravation dans 11,2 %.

Comparées aux femmes ayant présenté des scores améliorés ou stables, celles chez qui on notait une aggravation ont eu davantage d'accouchements prématurés (respectivement 8,3 %, 7,4 % et 9,9 %). Après élimination des facteurs confondants, une aggravation des scores restait associée à une fréquence plus importante d'accouchements prématurés (Odds ratio ajusté = 1,68 ; intervalle de confiance à 95 %: 1,10-2,57).

Il existe donc une association entre l'aggravation des symptômes dépressifs au cours de la grossesse et l'accouchement prématuré. De nouvelles recherches sont nécessaires pour mettre en œuvre des stratégies préventives, incluant le dépistage et des protocoles thérapeutiques en cas de symptômes dépressifs en période prénatale.  


Dr Charles Vangeenderhuysen
Références
1-Castelao Legazpi PC et coll. : Suicidal ideation: prevalence and risk factors during pregnancy. Midwifery, 2021;106:103226.DOI : 10.1016/j.midw.2021.103226
2-Miller ES et coll. : Trajectories of antenatal depression and adverse pregnancy outcomes. Am J Obstet Gynecol., 2022;226(1):108.e1-108.e9. DOI : 10.1016/j.ajog.2021.07.007