Sondage IFOP En partenariat avec l'association ASTREE
Sondage 24/01/2022 https://www.ifop.com/*
Baromètre les Français et la solitude
La levée des principales mesures de distanciation sociale s’est accompagnée d’une amélioration du vécu global des Français
Premier enseignement de cette enquête, la levée des restrictions sanitaires en juin 2021 a permis à une majorité de Français de retrouver une vie sociale et affective normale (60%). Alors que la plupart des mesures de distanciation sociale ont été abrogées, la proportion de sondés déclarant souffrir de la compagnie des autres est revenue à son niveau d’avant crise. Le sentiment de manque avait atteint un pic lors du 2e confinement avec 66% des Français qui indiquaient que la compagnie des autres leur manquait parfois (66%) et est redescendu à l’étiage mesuré avant la crise (52% contre 51% en 2018).
De la même manière, la proportion de Français estimant souffrir davantage de solitude depuis le début de la crise du Coronavirus a reflué passant de 51% en décembre 2020 à 39% en décembre 2021. La levée des restrictions sanitaires a rendu également plus facile, pour les personnes concernées par la solitude, de remédier à ce problème (60% contre 56% en décembre 2020).
A l’aune des résultats, on comprend donc que l’étau imposé par les restrictions, s’est en partie desserré avec des sentiments négatifs moins répandus au sein de la population française. Cette embellie ne doit toutefois pas masquer une réalité moins positive, le maintien au sein de la population française d’une minorité de Français confrontée à une solitude chronique.
Un Français sur cinq demeure confronté à la solitude chronique, une proportion qui demeure supérieure à celle mesurée avant le début de la crise sanitaire
Dans le cadre de ce baromètre, nous suivons dans le temps le poids démographique au sein de la population des Français confrontés à une solitude chronique, c’est-à-dire ceux qui se sentent toujours ou souvent seuls. Ce « cluster » représentait 13% de la population française avant la crise du Coronavirus en 2018 et pesait pour 18% en décembre 2020. Alors qu’on pouvait s’attendre à un reflue avec la levée des restrictions, les données montrent qu’en 2021, le poids du groupe se maintient à un niveau comparable à décembre 2020, soit 19% de la population. En extrapolant à l’ensemble de la population française âgée de plus de 18 ans, c’est donc environ 9,5 millions de Français qui vivent désormais dans la solitude chronique contre 6,5 millions avant la crise sanitaire. La levée des mesures de distanciation sociale n’a pas été suffisante pour faire rebasculer les trois millions de Français tombés
dans la solitude chronique vers la « plénitude ». La crise sanitaire s’est traduite par une restriction des relations sociales au « noyau dur » amical et familial et la levée des mesures de distanciation sociale n’a pas totalement enrayé ce phénomène. A ce jour, les trois millions de Français tombés dans la solitude chronique n’ont pas retrouvé une vie affective normale.
Qui sont ces Français confrontés à la solitude chronique ?
Les données de l’enquête battent en brèche les représentations les plus communément admises. La solitude est plus répandue parmi les moins de 25 ans (28%) et décroit de façon linéaire avec l’âge (passant de 28% à seulement 9% chez les 75 ans et plus). Le sentiment de solitude est aussi plus répandu parmi les publics confrontés à des difficultés économiques : 32% des Français appartenant aux catégories pauvres y sont confrontés, contre seulement 12% de ceux qui appartiennent aux « hauts revenus ». 30% des demandeurs d’emploi doivent également y faire face.
Assez logiquement, les célibataires (33%) et les foyers constitués d’une seule personne (31%) sont plus largement concernés par ce ressenti. Il est d’ailleurs frappant de voir que la solitude est un tout petit peu plus répandue au sein de ce premier groupe – qui compte des familles monoparentales – qu’au sein du second comptant uniquement des personnes vivant seules.
Les résultats de l’étude montrent surtout que la solitude est un phénomène complexe et multifactoriel. Nous avons invité les sondés se sentant seuls à expliquer par le biais d’une question ouverte les raisons de leur solitude. Les témoignages recueillis sont très variés avec des résultats « éclatés ». La solitude est ainsi expliquée par la situation personnelle ou familiale (notamment le fait d’être célibataire, divorcé, veuf ou veuve), mais également par le manque de relations sociales, le tempérament, la situation sanitaire actuelle, l’état de santé, un déménagement… A l’aune des résultats, on comprend qu’il est difficile de dresser un portrait-robot tant la solitude revêt différents visages.
Le télétravail renforce-t-il le sentiment de solitude ?
Les télétravailleurs apparaissent comme étant un public particulièrement concerné par la solitude. 34% des sondés pratiquant le télétravail au moins trois jours dans la semaine se sentent toujours ou souvent seuls (+ 15 points par rapport à l’ensemble de la population française). En outre, ce public est davantage concerné par les pensées suicidaires (45% en ont fait l’expérience au cours de la vie, + 13 points par rapport à la population française). En fait, les résultats de l’enquête montrent un « effet dose », avec des télétravailleurs occasionnels qui ne sentent pas particulièrement seuls et au contraire des télétravailleurs complets (5 jours par semaine) qui sont très sujets à la solitude et aux pensées suicidaires (56% en ont fait l’expérience). Les données ne permettent pas pour autant de conclure à un sentiment de solitude induit par le télétravail. Il est en effet possible que le télétravail constitue une échappatoire pour des salariés en difficulté sur le plan psychologique notamment.
Les mesures de solidarité observées pendant les confinements n’ont pas perduré avec la levée des restrictions
Les données 2020 du baromètre montrent que les périodes de confinement se sont traduites par une attention accrue portée à la question de la solitude et de l’isolement. Ces périodes ont donné lieu à des solidarités nouvelles avec davantage de soutiens téléphoniques reçus par les personnes souffrant de solitude. Le contexte de restrictions a également rendu plus acceptable l’expression du sentiment de solitude par les personnes concernées. Les données de l’édition 2021 montrent que malheureusement ces solidarités nouvelles n’ont pas perduré avec la levée des restrictions. En décembre 2021, la solitude est moins largement considérée comme étant un sujet important (77%, – 5 points par rapport à décembre 2020) et les Français sont moins nombreux à indiquer être attentifs aux personnes souffrant de solitude. Surtout, les personnes concernées par la solitude sont moins nombreuses qu’il y a un an à en parler (27% contre 32%). Tout se passe donc comme si le confinement a constitué une parenthèse où il était acceptable de se sentir seul, parenthèse qui est maintenant révolue.
La fréquentation des lieux collectifs n’a pas retrouvé son niveau d’avant crise
Si le niveau de solitude enregistré au sein de la population française n’a pas décliné depuis le début de la crise sanitaire, c’est peut-être aussi en partie car la fréquentation des lieux collectifs n’a pas retrouvé son niveau d’avant crise. Les salles de spectacle (67%) et de cinéma (63%) apparaissent ainsi comme étant les premières concernées par une désaffection avec près des deux tiers des personnes qui y vont moins qu’avant le début de l’épidémie. Les musées (60%), les réunions associatives (58%) n’ont pas non plus retrouvé leur niveau d’avant crise. Au final, la seule sphère pour laquelle les Français déclarent majoritairement une fréquentation comparable à la période précédant la crise sanitaire, c’est la sphère privée (53% se rendent chez des proches autant qu’avant).
Le point de vue de François Legrand
Les résultats de l’enquête montrent que la crise sanitaire a fait basculer près de 3 millions de personnes dans la solitude chronique. Si la levée des mesures de distanciation sociale a permis d’améliorer les ressentis des Français concernant le manque de compagnie des autres, elle ne s’est pas traduite par une diminution du nombre de personnes concernées par la grande solitude. Fréquentation des lieux collectifs en berne, recours accru au télétravail depuis le domicile… La crise sanitaire semble accélérer l’avènement d’une « civilisation du cocon ». Dans ce contexte, la solitude apparait comme une question centrale. Au regard du caractère encore tabou du problème, la lutte contre la solitude pourrait passer par des campagnes de sensibilisation visant à faire prendre conscience aux personnes concernées qu’il est acceptable d’en parler.
Documents à télécharger
Présentation Principaux enseignementsMéthodologie de recueil
L’enquête a été menée auprès d’un
échantillon de 1500 personnes, représentatif de la population française
âgée de 18 ans et plus.
La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession de la
personne interrogée) après stratification par région et catégorie d'agglomération.
Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto administré en ligne du 7 au 13 décembre 2021.
https://www.ifop.com/publication/barometre-les-francais-et-la-solitude