Extraits article 1/02/22 sur https://www.genci.fr/*

Au rythme de la pandémie, des confinements, d’un climat anxiogène, la santé mentale est devenue de manière ostensible une question de société, un enjeu collectif. Longtemps considérée en France comme tabou, cantonnée derrière les murs de la psychiatrie, elle fait désormais l’objet d’enquêtes suivies en population générale, et la une des journaux. L’opinion française semble petit à petit s’approprier la conception de l’OMS selon laquelle « il n’y a pas de santé sans santé mentale ». En janvier 2022, le buzz s’est produit depuis le journal de TF1, où le chanteur Stromae a parlé des fragilités psychiques et du suicide en interprétant en direct son texte intitulé Les Enfers. 

La médiatisation de la dégradation de la santé mentale [..]constituent un objet d’inquiétudes intimes ou publiques, bénéficiant désormais d’une attention accrue des pouvoirs publics.  

Dans ce contexte, alors que s’est tenu il y a peu le Congrès de l’Encéphale  et à quelques heures de la Journée nationale de prévention du suicide, présenter le projet Neuroimaging-informed phenotypes of suicidal behavior mené par le chercheur Fabricio Pereira présente un réel intérêt. Mobilisant plus d’un million d’heures cœur du supercalculateur Occigen de GENCI, hébergé et opéré par le CINES, les résultats de ce projet vont être prochainement publiés. 

Figure 1 

Lutter contre le suicide : une nécessaire interdisciplinarité 

Fabricio Pereira est physicien, et titulaire d’un doctorat (et HDR) en neurosciences. Des bancs de la faculté de science médicale au Brésil à l’Université de Nîmes en passant par le Harvard–MIT Program in Health Sciences and Technology ce chercheur a connu un parcours non linéaire, marqué par l’acquisition et la mobilisation de savoirs croisés. Il est aujourd’hui Maître de conférences au MIPA (Laboratoire Mathématiques, Informatique, Physique et Applications de l’Université de Nîmes, Département de Sciences et Art) et ingénieur hospitalier au CHU de Nîmes (Délégation à la recherche clinique et à l’innovation, UR UM103 IMAGINE). Cela n’est pas anodin. 

En effet, si dans le champ du trouble suicidaire, l’interaction de nombreux facteurs (biologiques, psychologiques, sociaux, environnementaux) semble déterminante, la connaissance nécessaire pour le prévenir ou lutter contre gagne en intérêt lorsqu’elle revêt un caractère interdisciplinaire et des disciplines émergentes comme la neuro-informatique. 

C’est ce que confirme précisément Fabricio Pereira. Le projet qu’il mène se déroule effectivement à la croisée de plusieurs services, dont celui d’imagerie médicale du professeur Beregi et celui de psychiatrie du professeur Jollant du CHU de Nîmes. 

Des biomarqueurs du suicide ? 

Le projet Neuroimaging-informed phenotypes of suicidal behavior vise à déterminer l’existence de biomarqueurs au travers d’« images » réalisées, entre autres, sur des patients étant ou ayant été atteints de troubles dépressifs, ou ayant opéré une tentative de suicide. 

Ces biomarqueurs consistent dans « des petits signes que les yeux ne peuvent pas voir mais on peut les calculer » explique Fabricio Pereira. Les images obtenues par IRM du cerveau des patients comportent en effet des informations représentant des milliards de voxels. La comparaison de différents groupes et différentes images permet de repérer ces signes, d’un groupe à un autre, d’une personne à un autre, d’un état à un autre.  

Ces différents marqueurs peuvent également varier d’une image à l’autre selon d’autres facteurs, tels que la sévérité de la tentative de suicide. 

Les comparaisons des milliards de données ainsi récoltées conduisent à identifier des informations sur des caractéristiques fonctionnelles propres à certaines zones cérébrales très réduites, dont l’identification a elle-même requis le traitement de quantités considérables de données. 

Cartographie de la douleur mentale 

Une constante a pu être observée : les personnes qui ont opéré une tentative de suicide ont ressenti une « douleur mentale », facteur déterminant dans la prise de décision. Afin de connaître précisément la configuration de cette douleur dans le cerveau, plusieurs outils ont été mobilisés. Par exemple, des médicaments antalgiques ont été proposés à des patients par le médecin. L’analyse des biomarqueurs observés alors grâce à « l’image » peut révéler des modifications du fonctionnement cérébral à l’origine de la douleur.

L’identification de ces variations peut être réalisée en fonction de certaines caractéristiques à l’instar de l’âge et de la présence d’un trouble mental ou d’un syndrome dépressif. Le suicide reste en effet particulièrement élevé dans les catégories « personnes âgées » et celles présentant un trouble dépressif, un trouble mental ou psychique.

Un outil basé sur la perception du sentiment d’injustice sociale a été implémenté dans le groupe des personnes âgées. Les changements à l’image en découlant ont ensuite pu être analysés dans les groupes des personnes qui avaient préalablement fait une tentative de suicide, dans celui des personnes qui ont un trouble dépressif mais n’ont pas fait de tentative de suicide, et dans celui des personnes qui ne sont pas en situation dépressive et n’ont pas fait de tentative de suicide. 

La perception de la douleur mentale est plus élevée chez les personnes ayant fait une tentative de suicide que chez celles n’en ayant pas fait. Concomitamment, certaines zones du cerveau identifiées sont plus actives chez celles qui ont tenté de se suicider en comparaison avec celles ne rentrant pas dans ce groupe.

La neuro-informatique : un espoir 

Identifier des signaux de petite ampleur implique des données massives. Plus le signal émis est petit, plus on a besoin de données pour le trouver. Aussi, des téraoctets de données ont été collectés et analysés. L’utilisation du big data pour aider à connaître et prévenir le suicide et plus largement les troubles de santé mentale requiert des outils adaptés. Les supercalculateurs de GENCI démontrent leur pertinence pour résoudre des problèmes complexes, impliquant des milliards de connexions. Sans cela, précise Fabricio Pereira, « les calculs dureraient des années ». 

Les résultats présentés ne permettent cependant pas de démontrer, pour le moment, l’existence d’un lien de causalité entre les biomarqueurs et l’acte de suicide. Ce lien constituera un pan de recherche essentiel pour l’avenir, impliquant des développements considérables dans le champ de l’épigénétique notamment. 

Le développement d’applications utilisant l’identification des biomarqueurs pourrait alors peut-être revêtir un caractère déterminant dans la pratique de prévention du suicide, conclut le scientifique.

Pour aller plus loin :  

https://www.nature.com/articles/s41398-018-0170-2.pdf

https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2021.09.15.21263562v1

https://www.brainconnect.me

Figure 1 Brain networks and gene expression associated with psychological pain and suicidal ideas. aux idées suicidaires. Networks: basal ganglia (BGN); default mode (DMN); central executive (CEN); and salience (SN). Gene: serotonergic system (HTR2B and HTR3A) and opioid system (OPRL1 and TPH1)

Nota : projet financé par les fondations Apicil (www.fondation-apicil.org) et l’Avenir (www.fondationdelavenir.org)

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