mardi 3 décembre 2019

Màj La douleur psychique, «une souffrance qui rend la vie quotidienne insupportable»


La douleur psychique et la douleur physique ont des circuits cérébraux communs
Lochouarn, Martine
www.lefigaro.fr/* 2/12/2019
SANTÉ - Dans l’expérience personnelle, on ne confondra jamais une rage de dents et une douleur psychique. Les aires cérébrales mobilisées sont pourtant «largement» les mêmes. Au travers d’études dans différentes situations (rupture amoureuse, deuil, paradigmes d’exclusion sociale ou lors de dépressions), l’imagerie cérébrale fonctionnelle a permis de montrer que plusieurs aires du cerveau étaient activées lors d’une douleur psychique, sans qu’on sache précisément ce que ce lien recouvre.
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Certaines zones cérébrales sont plus particulièrement activées, comme le cortex cingulaire antérieur, le gyrus antérieur frontal, l’insula, le thalamus… Des régions cérébrales également connues pour leur implication dans la douleur physique. «Les aires cérébrales mobilisées dans la douleur physique et psychique sont largement les mêmes, avec probablement des subtilités, des contingents cérébraux de la douleur plus cognitifs, d’autres plus activés par la douleur physique» , estime le Pr Raphaël Gaillard.
Un jeu informatique, le cyberball game, permet de créer expérimentalement un sentiment d’exclusion sociale chez des sujets, donc une souffrance psychique, et d’étudier les particularités de celles-ci dans les dépressions majeures. «Nous avons ainsi comparé en imagerie fonctionnelle au cours de ce jeu l’activation des aires cérébrales chez des patients déprimés dont certains avaient fait des tentatives de suicide et d’autres non, et montré l’activation spécifique, chez les premiers, d’une aire cérébrale, l’insula, impliquée aussi dans le traitement de la douleur» , indique le Pr Fabrice Jollant. «Dans un travail récent, nous avons également trouvé une corrélation entre l’activation de diverses aires cérébrales chez des patients déprimés observés au scanner en train d’évaluer leur douleur psychique, et l’expression de biomarqueurs du système sérotoninergique de la douleur.»
Pas de spécificité identifiée
Du fait de cette communauté, au moins partielle, des voies cérébrales de la douleur psychique et de la douleur physique, on parle plutôt désormais de «matrice de la douleur». Par ailleurs, si l’on connaît certaines des régions impliquées dans la douleur psychique, on n’a pas identifié d’aires cérébrales qui lui soient spécifiques. «De plus ces régions communiquent entre elles, interviennent dans la régulation émotionnelle, la motivation, la récompense… Des éléments participant à la conception de soi, de ses propres attributs, sont aussi probablement impliqués» , estime le Dr Emilie Olié.

Même si les circuits de la douleur physique et psychique se chevauchent en partie, jamais dans l’expérience personnelle on ne confondra une rage de dents, qui se rapporte à un endroit précis du corps, et une douleur psychique, non localisable. Pour le neurobiologiste Luis Garcia-Larrea (chercheur Inserm, Lyon), «plus qu’un chevauchement plus ou moins partiel des voies de la douleur, il faut raisonner en termes de niveaux de complexité, de gradation des réponses cérébrales. Dans la douleur physique, cette intégration cérébrale va des régions sensorielles à un premier niveau d’association qui va intégrer toutes les informations d’une même sensorialité, puis à des régions associatives d’informations provenant de plusieurs sens… et ainsi de suite jusqu’à des régions supramodales qui ne reçoivent pas d’informations directes, mais intègrent les informations “pré-machées” par les niveaux d’intégration inférieurs. Ce sont ces régions supramodales qui s’activent dans la souffrance psychique» , des régions d’activation «par défaut».
Il n’y a donc pas de centre cérébral de la douleur. «Ces régions supramodales, très liées à la conscience de soi et en interaction constante, fluide, avec la mémoire, notamment autobiographique, constituent en quelque sorte le fondement biologique de nos états d’âme.»
https://www.lefigaro.fr/sciences/la-douleur-psychique-et-la-douleur-physique-ont-des-circuits-cerebraux-communs-20191202
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La douleur psychique, «une souffrance qui rend la vie quotidienne insupportable»
Lochouarn, Martine 2/12/2019
PSYCHOLOGIE - Éprouvée à des degrés variables au cours de l’existence, elle est de mieux en mieux comprise et sa prise en charge progresse . Bien mieux comprise depuis quelques années grâce notamment aux techniques d’imagerie cérébrale, la douleur physique nous prévient d’un danger, d’une menace pour notre intégrité corporelle. Mais qu’en est-il de la douleur psychique? «Très présente à certains moments (un deuil, une séparation… ), c’est un processus naturel expérimenté par tous, considéré comme un signal d’alarme de déconnexion sociale , explique le Pr Fabrice Jollant, psychiatre (hôpital Sainte-Anne, Paris). Les liens sociaux ont été indispensables à notre survie en tant qu’espèce animale sociale, et la douleur psychique a été sélectionnée au cours de l’évolution pour alerter que quelque chose dysfonctionne dans nos connexions sociales, nous met en danger, et qu’il faut le corriger.» L’isolement est d’ailleurs «la punition la plus terrible pour l’être humain , note le Pr Fabrice Jollant. C’est un des grands facteurs de mortalité et de morbidité, qui pèse autant sur la santé que le tabac ou l’alcool mais dont on parle peu».

Éprouvée à des degrés variables au cours de l’existence, la douleur psychique peut devenir pathologique par son intensité et sa durée, au point de mettre en péril l’individu. Certaines dépressions s’accompagnent d’une souffrance psychologique extrême, qui occupe toute la pensée au point que le suicide puisse apparaître comme le seul moyen d’y échapper. D’où l’urgence d’une prise en charge par des spécialistes. «Mais tous les déprimés ne souffrent pas. Certains se plaignent plutôt d’une perte de plaisir, d’un ralentissement, de l’impression de vivre dans un monde gris, sans saveur…» , indique le psychiatre.
Mesurer la douleur
Subjective, intime, donc difficile à communiquer, la douleur psychique, moins étudiée que d’autres paramètres de la dépression comme l’anxiété, connaît un regain d’intérêt. D’abord parce qu’on peut la mesurer, comme la douleur physique. «Avec Fabrice Jollant, nous avons mis au point une échelle analogique simple, en français, qui permet d’évaluer l’intensité et l’évolution récente de la douleur psychique et des idées suicidaires du malade» , explique le Dr Emilie Olié, psychiatre (CHU de Montpellier et chercheuse Inserm). Désormais utilisée dans certains services, son usage tend à se répandre.
Des échelles plus complexes permettent même d’approcher les composantes de cette douleur. Ainsi, une équipe américaine a montré que, dans le trouble de la personnalité borderline caractérisé par l’impulsivité, l’instabilité des émotions et des relations sociales, la douleur psychique est la même que dans la dépression majeure, mais avec un sentiment de rejet, une faible estime de soi encore plus marqués.
L’étude de la douleur psychique bénéficie aussi des progrès des neurosciences et de l’imagerie cérébrale. «Des expériences montrent que le circuit cérébral de la douleur physique est utilisé pour garantir l’attachement  , explique le Pr Raphaël Gaillard, psychiatre (hôpital Sainte-Anne, Paris). Des souriceaux séparés de leur mère braillent, ce qui la fait venir. Quand on supprime leurs récepteurs cérébraux aux opioïdes, ils ne se plaignent plus lorsqu’on les sépare de leur mère. Or ces récepteurs sont typiques du circuit de la douleur physique, qui aurait été recyclé au cours de l’évolution pour garantir l’attachement du petit à sa mère. La morphine à faible dose est d’ailleurs efficace contre les souffrances psychiques intenses.»
Réduire le risque suicidaire 
Outre mieux approcher la douleur psychique, les connaissances acquises en imagerie cérébrale sur la douleur physique permettent aussi de rechercher des marqueurs biologiques spécifiques, ce qui «permettrait de traiter sélectivement la douleur psychique et de réduire fortement le risque suicidaire» , explique le Pr Jollant.
Certains antipsychotiques et benzodiazépines utilisés par les psychiatres ont un effet sédatif immédiat parce qu’ils assomment. Mais les antidépresseurs nécessitent trois à six semaines avant d’agir. D’où l’intérêt suscité par la kétamine. «Connue en anesthésie, cette molécule peut être prescrite à petite dose sous une autre forme, l’eskétamine intranasale, dans la dépression résistante pour laquelle elle a, depuis septembre, une autorisation temporaire d’utilisation. Son effet antidépresseur est ultrarapide, en quarante minutes, pour une durée d’action variable. Une étude est en cours pour évaluer son effet sur la douleur psychique qui semble tout aussi rapide» , explique le Dr Olié.

La kétamine apporterait donc à la fois un soulagement immédiat et un traitement de fond de la dépression. «On connaît mal son mode d’action, mais c’est un agoniste du glutamate qui agit probablement en cascade sur une multitude d’autres effecteurs» , précise le Pr Gaillard. Certains récepteurs du glutamate, neurotransmetteur omniprésent dans le cerveau, jouent un rôle direct dans la perception de la douleur. Une autre molécule, la buprénorphine, semble aussi très efficace sur la douleur psychique et devrait être évaluée l’an prochain.
«On a envie que tout s’arrête»
«C’est une douleur qui me prive de la parole, tellement je souffre.»«La souffrance psychologique, tellement insupportable qu’on a envie que tout s’arrête. On pense que la mort serait moins douloureuse.» «C’est une souffrance qui rend la vie quotidienne insupportable. Les douleurs physiques, parfois importantes, que je ressens ne sont rien par rapport à la dépression.» «Vivre chaque jour, chaque minute est une souffrance absolue dont on voit le suicide comme seul soulagement.» «J’avais l’impression d’être en souffrance psychologique constante, sans répit, que la moindre chose négative était comme un coup porté sur une plaie…»
Psychiatre, sociologue et historienne de formation, le Dr Astrid Chevance (Hôtel-Dieu, Paris) a mené une étude épidémiologique en ligne sur près de 2 000 personnes déprimées. «Près de 20 % des répondants ont spontanément cité la douleur psychique comme une priorité à traiter dans la dépression , explique-t-elle. Les idées suicidaires et la stigmatisation des personnes déprimées sont aussi les plus souvent citées, et c’est cette souffrance psychique, vécue comme une torture, que les proches repèrent en premier.»
C’est la lecture de lettres de suicidés qui a conduit Edwin Schneidman, psychologue américain, à formaliser à la fin du XXe siècle la douleur psychique comme correspondant à des besoins fondamentaux non remplis et à proposer la première échelle d’évaluation de cette souffrance psychique. «Dans toutes ces lettres laissées par des personnes suicidées, les gens parlaient de souffrance, de douleur», souligne Astrid Chevance.
Isolement et désespoir
Envahissante, déshumanisante, incommunicable, disent les déprimés, cette douleur isole et exclut. «Alors qu’une douleur physique suscite d’emblée la compassion, ce n’est pas du tout le cas pour la douleur psychique, probablement parce qu’on ne la conçoit pas encore culturellement», estime la psychiatre, pour qui ce défaut dans l’identification même de la douleur psychique, que les malades éprouvent mais ne savent pas nommer, génère du désespoir. On sait que la répétition d’un stress, par exemple au travail, ou une douleur physique chronique génèrent aussi une souffrance psychique. «Plutôt que parler, par exemple, d’une composante psychique de la douleur physique, il faudrait s’attacher à définir celle-ci en elle-même, et à ne considérer qu’elle.»
Si elle est flagrante dans la dépression et les troubles bipolaires, la douleur psychique semble en revanche moins centrale dans d’autres pathologies psychiques. Ainsi, pour le Dr Anne Giersch, psychiatre (CHRU Strasbourg et chercheuse Inserm), la notion de douleur psychique est floue dans la schizophrénie. «Le mot est rarement prononcé par ces malades. Il y a probablement une douleur liée au fait d’entendre des voix envahissantes, qui disent des choses désagréables, ou provoquée par des idées délirantes de gens qui leur veulent du mal.»
Mais la schizophrénie semble surtout caractérisée par des altérations temporelles du traitement cérébral des informations et d’autres altérations de perception de l’environnement, qui rompent la sensation de stabilité du monde. «Un peu comme si nous ressentions un séisme mais à un niveau très élémentaire, très en deçà de la conscience, et que les malades ne peuvent donc pas décrire.»