23 mars 2017 | Emilie LAY | http://www.actusoins.com*
Polyvalents, les soignants font face à des troubles psychiques, des addictions, aux maux liés à la précarité et à la surpopulation, mais aussi à des maladies chroniques. La prévention se développe également.
Au centre de détention de Nantes, la journée démarre fort pour Marie-José, à l’UCSA (unité de consultation et de soins ambulatoires). Elle examine la gorge de l’un, grade la douleur cervicale d’un autre, qui semble à peine sorti de l’adolescence… Les infirmières y ont un rôle de diagnostic et d’orientation. Le quotidien, fait de bobologie, de maladies multiples et de réanimations en cellule avec le médecin, suppose polyvalence et expérience.
Les urgences récurrentes sont « les crises convulsives, les tentatives de suicide, les surdosages médicamenteux parce que le détenu veut dormir pour tout oublier… », détaille Béatrice Carton, médecin et chef de service de l’UCSA de Bois d’Arcy (78).
Les pathologies de la précarité, les addictions – chez la moitié des détenus – les maladies mentales – dix fois plus que dehors – y sont aussi monnaie courante (1). Nombre de patients initient là leur parcours de soins.
Une attention continue
« Tout passe par l’écoute et la relation, insiste Roch-Etienne Noto Migliorino (2). En une seule personne, on retrouve du somatique, du psychique, une histoire d’abandons, de pauvreté et de violences. Il faut de la distance pour absorber cela. » A plus forte raison en psychiatrie où, au contraire des UCSA, les soignants connaissent les motifs d’incarcération, pour des raisons d’objectifs thérapeutiques.
Dans la salle de soins nantaise, Brigitte reçoit un habitué. Elle se bat avec le pansement placé pendant la nuit par SOS médecins, sur un bras couvert de scarifications. L’homme a la main enflée à force de cogner contre la porte de sa cellule. Il répète d’une voix dénuée d’émotion qu’il veut mourir. Lui, est déjà suivi au SMPR (service médico-psychologique régional). « Si besoin, on peut facilement leur demander de l’aide. »
En 2015, il y a eu un suicide tous les trois jours dans les prisons françaises. Des malades psychiques décompensent. Des addictions s’amorcent. Les troubles psychosomatiques sont nombreux, et c’est souvent, pour les détenus, l’occasion d’entrer en communication avec les soignants. A Bois d’Arcy, les infirmières les invitent tous les cinq mois en consultation de suivi. Elles prennent le temps d’y évoquer l’alimentation, le sommeil, les codétenus, les parloirs…
Patients en perte d’autonomie
Maintenir les patients en bonne santé reste un pari, d’autant que les conditions d’hygiène favorisent les abcès, les cas de gale et de nombreux troubles dermatologiques. En mai dernier, la maison d’arrêt de Bois d’Arcy abritait 867 détenus pour une capacité de 500 places. « La surpopulation, c’est le cancer de l’administration pénitentiaire, juge Marie-Laure, infirmière à l’UCSA. La promiscuité accroît le risque de contagiosité. Le dépistage de la tuberculose est systématique à l’arrivée. »
Dans les établissements pour longues peines, la durée de la captivité permet au moins une continuité des soins. On y gère aussi davantage de maladies chroniques et de gériatrie. Selon la direction de l’administration pénitentiaire, 115 détenus étaient en perte d’autonomie, en 2012.
Les prisons s’adaptent. Depuis cinq ans, une auxiliaire de vie sociale du conseil départemental réalise les soins de nursing à Nantes. Un soulagement pour les infirmières et de meilleures conditions de toilette pour ces patients.
Mais certaines prises en charge sont impraticables en prison. « Nous avons vu des fins de vie ici. Autrefois, on envoyait les patients à l’hôpital au dernier moment. Ils y mouraient deux jours après, raconte Dominique, infirmier à l’UCSA. Ces situations n’existent plus. Les UHSI (unités d’hospitalisation sécurisées interrégionales) étaient le maillon manquant : on hospitalise plus tôt. »
Reste que ces réponses, si positives soient-elles, questionnent l’effectivité de la loi de 2002, qui prévoit la sortie anticipée des personnes présentant « un état de santé durablement incompatible avec leur maintien en détention ».
La prévention, mission essentielle
Les actions de prévention, mission essentielle, doivent s’adapter sur le fond et la forme à la vie carcérale. Les risques sont spécifiques. Une innocente tondeuse à cheveux partagée par plusieurs détenus peut devenir vectrice d’une maladie infectieuse. La sexualité entre détenu(e)s ou au parloir reste clandestine… La liste est longue.
Les professionnels de santé rivalisent d’imagination pour les concevoir. A Bois d’Arcy (78), les soignants ont organisé, en 2013, des ateliers sur l’alimentation et la sédentarité avec un éducateur sportif. Ils se sont conclus par un concours de cuisine soutenu par la Fondation M6, sur le modèle de l’émission « Top chef ». Une mise en pratique réalisée en cellule !
« Nous avions étudié 100 dossiers, qui ont révélé une prise de poids de quatre kilos en moyenne après quatre mois d’incarcération, rappelle Marie-Laure, infirmière de l’UCSA. Beaucoup ne mangent pas les repas fournis par la pénitentiaire. Et selon moi, les barquettes sont trop petites pour les gaillards d’ici. » Alors, ils grignotent une alimentation riche en féculents et en sucreries, acquise grâce à la « cantine », système qui permet d’acheter des produits pour améliorer le quotidien.
Les soignantes du centre de Nantes se sont attaquées à la constipation, répandue en détention. Mais dans certaines prisons, le nombre de participants aux ateliers de prévention est restreint. Les locaux adéquats manquent.
Rendre les messages accessibles
Comment faire passer les messages ? Patricia et le détenu-artiste Vilkidam (un pseudonyme) se sont rencontrés en consultation anti-tabac. L’infirmière lui a alors proposé de réaliser une courte bande dessinée de prévention. « Mon intérêt était juste de dessiner, au service d’une idée qui n’était pas la mienne. Nous en avons d’abord discuté car j’étais dans le flou sur ce thème », explique Vilkidam. Avec les infirmières, l’artiste a créé deux planches, présentant face-à-face les comportements sains ou néfastes. Dépourvu de texte, le message est accessible aux personnes illettrées ou non-francophones.
A Villeneuve-lès-Maguelone (34) encore, un détenu chargé de la rubrique santé d’un journal réalisé et diffusé en prison, assiste systématiquement aux actions de prévention. Le compte-rendu, validé par les professionnels de santé, est publié la semaine suivante.
Emilie Lay
Cet article est le deuxième volet du dossier "Soigner en prison" paru dans le numéro 21 d'ActuSoins (Juin/Juillet/Août 2016).Pour recevoir ActuSoins magazine chez vous (trimestriel), c'est ICI
Des solutions construites ensemble
Depuis fin 2014, Médecins du Monde mène de son côté un programme de santé communautaire dans les établissements nantais. « Le principe est de renforcer les capacités des détenus à s’emparer de leur santé », explique Marie Hornsperger, coordinatrice du projet. Outre la tenue régulière d’ateliers, les bénévoles de l’ONG descendent en cour de promenade avec les détenues à la maison d’arrêt des femmes.Les infirmières et les surveillants sont invités à participer à la construction en commun de solutions, second pilier de cette initiative. Cela a abouti à la rédaction d’un livret d’accueil par les détenues. Objectif ? Réduire le stress de l’incarcération. « Elles ne comprenaient rien au livret distribué par l’administration pénitentiaire. » Relu par cette dernière et par les unités sanitaires, le nouveau document édicte notamment des « codes de conduite », pour une ambiance saine en détention.
(1) Prisons : quelle place pour la prévention de la santé, Inpes, 2014
(2) Auteur de « Infirmier en milieu carcéral », éd. Elsevier Masson, 2009
* http://www.actusoins.com/285389/soigner-prison-prises-charge-specifiques-globales.html
Soigner en prison : Une difficile cohabitation
Le rôle des infirmières, premier contact des détenus avec les soignants, est primordial. Mais la cohabitation entre la Justice et la Santé, reste un point épineux, même si la qualité des soins s’est améliorée depuis la loi de séparation entre ces deux institutions, il y a 22 ans.
On pourrait se croire dans une banale salle de soins, si ce n’est la clameur lointaine des détenus et le crépitement des talkies-walkies. Au-delà de la fenêtre inondée de soleil, un mur coiffé de barbelés barre l’horizon. Le brassard du tensiomètre au bras et la mine pâle, Marco* vient de passer sa première nuit en prison. Du haut de ses 27 ans, il a l’air d’un gosse apeuré. « Tout s’écroule, remarque Sylvie, infirmière à l’UCSA (unité de consultation et de soins ambulatoires) de la maison d’arrêt de Bois d’Arcy (78). D’autres pleurent, sont apathiques ou agressifs. »
Les infirmiers sont le premier contact des détenus avec l’unité sanitaire. 48 heures au plus tard après l’incarcération, ces derniers bénéficient d’un bilan complet. Un moment privilégié pour installer une relation de confiance. Antécédents médicaux, psychiatriques, radio dentaire, dépistages… Tout est passé en revue, avant que le médecin les reçoive. Ces patients ont droit à la même prise en charge que tout citoyen.
Outre les maisons d’arrêt, comme celle de Bois d’Arcy, où sont enfermés les personnes en attente de procès et les condamnés à des peines inférieures à deux ans, les soignants exercent en établissements pour longues peines, tels que les centres de détention. Ils s’y répartissent entre UCSA – pour les soins somatiques – et SMPR (service médico-psychologique régional) pour les soins psychiques. Des psychologues, des professionnels paramédicaux (kinésithérapeutes, psychomotriciens…) et des médecins spécialistes (dentiste, infectiologue…) y interviennent ponctuellement.
Les unités sanitaires sont par ailleurs organisées en trois niveaux. Les soins ambulatoires et les hôpitaux de jour psychiatrie sont implantés dans les murs des prisons. Troisième niveau, hors des murs, des UHSI et des UHSA (unité hospitalière sécurisée interrégionale, et spécialement aménagée, pour la psychiatrie) dédiées aux hospitalisations programmées, ont été progressivement créées depuis une dizaine d’années à l’hôpital.
Entre le détenu et le soignant, le surveillant
Centre de détention de Nantes. Brigitte parcourt d’un pas rapide le dédale de couloirs, de grilles et d’escaliers. A peine plus larges qu’un homme, les portes des cellules s’ouvrent sur une odeur indistincte de renfermé et de tabac froid. Accompagnée d’un surveillant, l’infirmière de l’UCSA distribue leurs traitements aux détenus placés à l’isolement et au quartier disciplinaire. Sans jamais se départir de sa bonne humeur.
Les infirmières assurent aussi des consultations, sans les gardiens cette fois. Afin de canaliser le flux des consultations et de responsabiliser les détenus, les patients doivent d’abord écrire ou utiliser le biais de dessins, car 10 % des détenus sont illettrés, et déposer leurs lettres dans des boîtes placées en détention.
Mais chaque jour, plusieurs renoncent à leur rendez-vous ou ne peuvent s’y rendre. Entre le détenu et le soignant, il y a en effet deux intermédiaires – les surveillants de l’unité sanitaire et ceux des étages – et la concurrence des activités de la prison : parloirs, douches, ateliers, cour de promenade… Dans un contexte de sous effectif chronique des surveillants et de surpopulation en maison d’arrêt, où les détenus sont enfermés en cellule 22 heures sur 24, les consultations sont difficiles à organiser.
Administration pénitentiaire et santé sont indépendantes depuis la loi de 1994 qui a confié aux hôpitaux les missions de soins et de prévention. Les soignants sont volontaires sur ces postes et salariés de l’hôpital de proximité. Mais l’organisation des soins « reste tributaire de celle de la pénitentiaire et de ses horaires », conclut Marie-Laure, infirmière à l’UCSA de Bois d’Arcy.
Santé et prison : le choc des cultures
La santé croise sans cesse les contraintes sécuritaires de cette administration. « Nous avons des regards et des orientations totalement différents », note Sarah, infirmière au SMPR de la prison des Baumettes, à Marseille. En cas d’urgence vitale, l’évacuation par le Samu est rapide. « Sinon, on doit parfois se bagarrer », lorsqu’un patient a besoin d’un examen complémentaire ou d’une consultation spécialisée dans un service classique de l’hôpital. Car toute extraction comporte un risque d’évasion.
Pour les coordonner, secrétaires médicales et infirmières jonglent entre la prescription du médecin, le bon vouloir de la prison, les disponibilités de l’hôpital et des surveillants pénitentiaires affectés aux escortes, voire de la police.
Ce choc des cultures professionnelles s’exprime aussi dans la difficulté à préserver le secret médical. Comment évoquer le mal-être d’un détenu, ou une maladie contagieuse qui nécessite aussi de traiter le codétenu ? Transmettre la juste dose d’information requiert une éthique solide.
Omniprésents, les surveillants sont les premiers interlocuteurs des détenus. Mais leurs grilles de lecture divergent. « Il arrive que nous ignorions des trucs graves, tel un détenu qui se cloitre dans sa cellule et ne se nourrit plus. On ne nous signale que ceux qui sont agités », regrette Sarah.
D’un autre côté, les gardiens sont placés dans des situations qui les dépassent ou les effraient. « Le VIH les fait flipper. Et ils sont très ennuyés par la maladie mentale et le risque suicidaire, qu’ils ont à gérer en détention… Je comprends leurs questions. J’essaye de leur donner des clefs de compréhension, sans indiquer le diagnostic. C’est subtil. Globalement, nous devons mener un travail pédagogique. »
Travailler enfermé
Une soudaine agitation naît à l’entrée de l’UCSA de Bois d’Arcy. Des invectives fusent. Une surveillante appelle du renfort. L’incident est vite contenu. « Les détenus sont intolérants à la frustration », commente Marie-Laure, infirmière. Sécurité oblige, les soignants sont souvent équipés d’alarmes. Ils veillent à ne laisser traîner aucun instrument. « Nos patients sont filous : il est arrivé que l’on nous pique de l’alcool à 90° ».
Les prisons sont des huis-clos où tout s’exacerbe. Le bruit, la tension permanente, l’instabilité des humeurs et la pression des patients finit par éprouver les soignants. « Ils nous demandent d’être toujours présents et dans l’empathie. On donne énormément et on se vide un peu », raconte Mathieu, infirmier dans l’UHSA de l’hôpital Paul Guiraud de Villejuif (94). Les groupes d’analyse des pratiques, la solidarité des équipes et des sas de décompression – dans et hors les murs – se révèlent indispensables.
Emilie Lay
Cet article est le premier volet du dossier "Soigner en prison" paru dans le numéro 21 d'ActuSoins (Juin/Juillet/Août 2016).Pour recevoir ActuSoins magazine chez vous (trimestriel), c'est ICI
Karim*, incarcéré à Bois d’Arcy
Libérable en août, ce détenu souffre d’une entorse grave de la cheville. « Je suis tombé dans l’escalier de l’UCSA alors que je me dépêchais d’aller au sport à cause des blocages. » En effet, dès qu’un groupe de détenus circule en maison d’arrêt, les autres mouvements s’interrompent, pour prévenir les émeutes.
« Je ne sais pas combien de temps je vais rester comme ça. On m’a dit que cela allait être long. Cela m’inquiète… » Il jette un regard las sur son attelle. La douleur, ça me tue. Je dors mal, j’ai perdu plusieurs kilos en trois semaines. Sur mes béquilles, j’arrive au moins 10 minutes en retard aux parloirs. »
J’effectue des démarches auprès d’un employeur, en vue de ma sortie, mais cette entorse me pénalise. On me laisserait sortir pour faire quoi ? ». Depuis notre venue, Karim a finalement obtenu sa remise de peine.
Sarah, infirmière aux Baumettes : « place au dialogue »
Dans l’unité d’hospitalisation de psychiatrie des Baumettes (Marseille), encore située au sein des murs de la prison, Sarah, infirmière de nuit, a retrouvé du calme et du sens. « Quand je délivrais la méthadone en détention, je passais mon temps à apaiser des patients, menacés par les codétenus dans une cellule de 9 m². On donnait des anxiolytiques, au lieu de travailler sur l’addiction. Il me semblait n’être là que pour colmater les brèches ouvertes par la prison. » Pour supprimer la souffrance psychique, l’infirmière consacre désormais beaucoup de temps à discuter au fenestron avec ses patients.
En dépit de ses exigences, l’exercice en milieu carcéral accorde une large place au dialogue. Il confronte à une « altérité enrichissante. On y réalise aussi que tout un chacun peut dérailler à un moment de sa vie. En obligeant à de l’ouverture et de la bienveillance envers n’importe qui, le soin rend le soignant meilleur. »
* Les prénoms ont été changés