jeudi 4 juin 2015

Experience témoignage Suicides d’étudiants français : un psy messin en Roumanie

Société :  Suicides d’étudiants français : un psy messin en Roumanie

Pascal Pannetier, psychiatre du CHR de Metz-Thionville, a géré en urgence une vague de suicides parmi les étudiants français en médecine sur le campus roumain de Cluj. Le suivi est assuré depuis la Moselle par Skype au Centre 15.



Le médecin messin Pascal Pannetier est intervenu  sur le campus de Cluj en Roumanie, après une vague  de suicides parmi les étudiants français. Photo Maury GOLINI Le médecin messin Pascal Pannetier est intervenu sur le campus de Cluj en Roumanie, après une vague de suicides parmi les étudiants français. Photo Maury GOLINI




Le campus de la ville de Cluj en Roumanie, 85 000 étudiants dont 1 000 Français, traverse un douloureux printemps. En moins de trois semaines, deux étudiantes françaises en médecine ont mis fin à leurs jours et deux autres ont fait des tentatives significatives.
Le Dr Pascal Pannetier, responsable des urgences psychiatriques au CHR de Metz-Thionville, du Pôle 2 de Jury, spécialisé dans la post-gestion des suicides, a été missionné par le ministère des Affaires étrangères pour gérer la crise et mettre en place des moyens de prévention.
Vous vous êtes rendu à Cluj, en Roumanie, et parlez d’étudiants en détresse.
Dr Pascal PANNETIER : « Avec l’Institut français, nous avons ouvert une cellule de crise et créé un groupe de parole. Beaucoup d’émotion a été exprimée. La pression des études est très forte. L’expatriation aggrave ce sentiment. Sur la quarantaine d’étudiants rencontrés, cinq se trouvaient en état de dépression majeure. Depuis, je les suis en visioconférence.»
La souffrance est-elle plus importante sur le campus de Cluj que sur les campus français ?
« En France, on estime à 20% les étudiants en mal-être ou dépression. Parmi eux, 5% sont en dépression majeure. A Cluj, on retrouve les mêmes troubles qu’en France. S’y ajoutent les problèmes d’expatriation, le manque d’intégration dans la société roumaine. Ces étudiants français sont souvent en mésestime d’eux-mêmes. Ils ont le sentiment d’être mal aimés par la France, victimes des préjugés. On les accuse d’acheter un diplôme au rabais à l’étranger. »
C’était le sentiment des jeunes filles qui ont mis fin à leurs jours ?
« Il y a eu burn-out. Quand il survient en expatriation, il est plus difficile à repérer. Pas de famille, pas de structures de soins à la française. Le problème du burn-out, c’est qu’il ne s’attaque pas qu’aux personnes fragiles. La dépression n’est pas liée à la personnalité, mais à l’organisation des études et peut intervenir chez les plus performants, les plus solides. »
L’une des victimes, en 5e année, était brillante, dit-on...
« Elle visait une spécialité en gynéco-obstétrique. Or, l’ECN (épreuve classante nationale) qui permet aux étudiants de devenir interne et préparer une spécialisation est source d’angoisse pour tout le monde. En Roumanie, les étudiants ne luttent pas à armes égales avec ceux de France. Ils n’ont pas accès à l’enseignement sur internet. La pression prend des proportions phénoménales. L’étudiante en question, pour se donner toutes les chances, avait obtenu un poste en Suède. Elle apprenait le suédois, au cas où elle aurait été trop mal classée pour la France. Elle en a trop fait et n’a pas su se mettre de limites. »
Dans ce contexte tendu, quelle a été votre action ?
« Après la gestion de l’urgence, je suis retourné à Cluj pour les actions de prévention. Un numéro d’appel 24h/24 a été pris en charge par les étudiants. Il a été utilisé à plusieurs reprises. Trente-cinq étudiants ont été formés en prévention suicide. Un psychiatre roumain dispense des techniques de relaxation. Une liaison Skype, gérée par le Centre 15 à Mercy, permet des téléconsultations 24h/24. Nous travaillons également avec le campus de Cluj et l’Université française pour une plus grande égalité des chances. »
A l’Institut de La Salle à Metz, il y a également eu des cas de suicides. Etes-vous intervenu ?
« Il y a eu un suicide à la fin de l’année dernière et une tentative quelques mois plus tard. Nous les avons pris en compte tout de suite en janvier et je reste en lien avec le directeur pour mettre en place une formation pour les professeurs et les parents volontaires, à la rentrée scolaire. Le problème avec les suicides, c’est que plus on communique, plus on risque d’aggraver "l’épidémie". A Cluj, il était important de mettre le projecteur sur la particularité du campus et d’informer les parents sur la problématique de l’expatriation. »


Propos recueillis par Laurence SCHMITT.