vendredi 13 avril 2012

ARTICLE PRESSE Suicide en entreprise : retour sur le colloque du 11 février au Sénat

Suicide en entreprise : retour sur le colloque du 11 février au Sénat
14/03/2012 | http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/management/autres/221144541/suicide-entreprise-retour-colloque-11-fevrier-senat 
LE CERCLE. (par Virginie Cosme) - Les suicides en entreprises doivent nous interroger sur les facteurs sociétaux responsables de la fragilité des individus au travail. Selon une enquête réalisée par OpinionWay pour la CFE-CGC, 58% des cadres ont le sentiment que leurs efforts ne sont pas reconnus à leur juste valeur, et 75% estiment que le stress n’est pas pris en compte dans leur entreprise.
Écrit par Formatys

Le 11 février dernier se tenait au Sénat, la journée nationale de prévention du suicide, elle avait pour objet d’identifier certaines causes responsables d’une dégradation de la santé mentale d’une partie de nos concitoyens à partir d’un regard croisé sur le monde du travail aujourd’hui en France. Un des temps forts de ce colloque fut une table ronde sur le thème des «Métiers face au suicide».

"La survalorisation du présent est un facteur aggravant"

Pour Jean Paul DELEVOYE, Président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui a ouvert le débat, l’évolution de la fragilité de l’individu est à mettre en corrélation avec l’intersection entre les rapports du collectif, de la démocratie, des individus et de la société de marché.

Une forme « esclavage des temps modernes » qui engendrerait une exigence de satisfaction des besoins devenus envies. D’où l’émergence d’une forte frustration : la consommation est responsable d’une perte d’identité aggravée par une mésestime de soi (mise en avant des échecs plus que de nos réussites) qui provoquerait un mécanisme d’exclusion. Son analyse identifie également un problème avec le temps présent, couplé avec la « culpabilisation occidentale » qui nous amène à penser individuellement plus que dans d'autres cultures « je ne sers à rien ». Par ailleurs, les NTIC et la rareté de l’écoute renforcent me sentiment d’inutilité alors que paradoxalement on échange de plus en plus...

Le rôle de l'empathie pour percevoir la souffrance de l’autre

La survalorisation du présent est alors considérée comme un facteur aggravant de la fragilisation des personnes, à mettre en lien avec la rareté de la parole. Jean Paul Delevoye a rappelé que l’empathie était nécessaire à la perception de la souffrance de l’autre.

En ce qui concerne les relations interpersonnelles, il a également souligné que deux attentions particulières doivent être portées :
- La première sur le respect excessif des procédures qui engendrent des humiliations que ce soit dans les services publiques ou dans les entreprises.
- La seconde sur l’exercice du « nouveau management » qui se doit d’accepter une forme de contestation de l’autorité en particulier avec la génération Y en demande de sens donné aux actions.

Notre modèle éducatif doit également être en alerte on constate en effet une augmentation de la précocité des suicides. Les causes sont nombreuses, notamment l'incursion de la télé dans la vie quotidienne qui a pour conséquence l’isolement des jeunes.

Finalement pour Jean Paul Delevoye, notre société vie sous une dictature de l’émotion et il faut revenir aux convictions, en arrêtant de s’occuper de tout dans l’urgence pour retourner à l’essentiel. Le président du clôturé son discours avec cette citation « Quand le système me met dans cette situation, je n’ai que deux solutions : me désintégrer ou désintégrer le système …»

Un travail d'observation et d’enquêtes menées sur le terrain.

Le DR Bernard SALENGRO Secrétaire national de la CFE-CGC a quant lui livré les résultats de la 17ème édition du baromètre du stress de 2011. Un baromètre qui indique que le niveau de stress en entreprise n’a jamais été aussi haut chez les cadres depuis son évaluation en 2001.

La multiplicité des facteurs de stress :

- charge de travail associée à la perte de sens
- isolement des gens renforcé par les NTIC, le blackberry augmenterait ainsi de 5% le niveau de stress perçu.
- lean management, dont l'objectif est d'améliorer au mieux la performance des processus en exploitant les méthodes, techniques et pratiques déjà à disposition
- imposition d’une langue étrangère au quotidien qui favorise le stress de 6%
- mauvaise gestion des parcours professionnels (mobilité) qui provoque une crise identitaire
- éloignement du travail (précarité/chômage/longue maladie/inter-contrats)
- facteur intensité associé à la porosité avec la vie privée
- mode de sélection des dirigeants en France qui contrairement à l’Allemagne ne passent pas par la case "middle management" et arrivent à la tête des entreprises sans avoir préalablement travaillé sur le terrain.

Les policiers une population particulièrement exposée

Emmanuelle LEPINE Psychologue clinicienne, du cabinet Interstys a évoqué quant a elle les suicides des policiers, et proposé une tentative d’explication, nourrie de son expérience antérieure de responsable du service de psychologie à la Préfecture de Paris. La confrontation rapide et quasi quotidienne au sens de la vie avec la mort sans espace de parole et de partage pose un véritable problème. La mort n’est évoquée que dans sa dimension technique et pas existentielle.

Dans le même temps, la fonction de policier comporte une grande proximité entre vie professionnelle et vie personnelle (on est policier 24 heures sur 24). Un métier qui requière en outre, une grande adaptabilité psychologique et émotionnelle qui n’est pas suffisamment prise en compte. D’après son expertise, il semble impératif que l’humanité de cette profession soit reconnue. Il faudrait notamment proposer des espaces de dialogue pour ceux qui quittent l’institution et ne sont plus protégé par son cadre (remonté de situations morbides, et qui n’ont pour la plupart pas de sens observées à l’occasion de son activité sans personne à qui en parler).

Comment répondre à la souffrance des enseignants ?

François ATHANE, Philosophe et professeur de philosophie, a parlé du suicide des enseignants et proposé quelques pistes de réflexion sur les difficultés spécifiques à cette profession :
- L’acte d’enseigner induit une exposition du corps et une gratification difficilement objectivable, d’où une frustration : j’en connais plus que je ne donne, que devient l’élève ?
- Le système de mutation national qui déracine beaucoup d’enseignants de leurs attaches sociales.
- La transmission du gout et de l’effort et en contradiction avec la société de consommation
- Le régime de santé au travail qui est dérogatoire : pas de visite médicale ni de CHSCT d’où une impossibilité de dire et d’être supporté dans les périodes difficiles

Accompagner les anciens salariés qui ne sont plus dans l'entreprise

Thierry LEPAON, président du groupe CGT au Conseil économique, social et environnemental, a réalisé une enquête sur les licenciés de chez Moulinex 10 ans après la fermeture des usines en 2001. Après étude des bilans sociaux, une augmentation du nombre des suicides apparait qui est passé en moyenne de 1 tous les 2 ans les dernières années d’activité à 7 par an au cours des trois premières années post licenciement… Par ailleurs, beaucoup de personnes sont tombées dans l’enfermement ou le dépérissement (alcool, dépression, prise de poids…)

Lors de la fermeture des usines, c’est le regard des autres qui affecte en premier, avec son lot de questions: Comment je vais annoncer que je suis licencié ? En quoi ce licenciement peut être vécu collectivement alors qu’il me touche individuellement dans ma chair ? A l’isolement des salariés s’ajoute le traumatisme entraîné par le manque d’accompagnement sur le long terme.

Pour la création d'un Observatoire du suicide

Tous les intervenants ont regretté de ne pouvoir s’appuyer sur des données nationales chiffrées des cas de suicides. C’est d'ailleurs la raison pour laquelle ils militent pour la création d’un observatoire du suicide en France comme cela se fait dans d’autre pays de l’OCDE afin de mettre en place une prévention efficace.

Un vrai débat public sur l’organisation du travail est nécessaire. Ce débat doit se prolonger au sein des entreprises, afin d’identifier et de résoudre les défaillances.

Le succès de cet appel est essentiel pour la prévention de la souffrance au travail qui, si elle dispose d'un outil juridique, manque de connaissance factuelle. Il faut briser le tabou qui pèse sur la souffrance et la santé des Français. L'observatoire des suicides en France s'impose d'autant plus aujourd'hui qu'il y a eu une prise de conscience sur la nocivité du management par le stress.

Faîtes circuler et signez l'appel : http://www.observatoiresuicides.fr/

Si l'on souhaite une issue plus heureuse, il est indispensable que chacun puisse, trouver sa place et son rôle dans l’entreprise.

(Virginie Cosme est consultante formatrice sur les RPS chez Formatys)