Ces étudiants qui sont formés pour repérer la détresse à l'université
Face au mal-être subi par de nombreux étudiants, des formations Sentinelles Étudiants se développent, où des élèves sont formés à reconnaître les signes de détresse. Plus de 500 étudiants ont déjà été formés par l’association Nightline, qui pilote le dispositif aux côtés du Groupement d’étude et de prévention du suicide.
Cyrielle Thevenin - 15 févr. 2025 https://www.ledauphine.com/*
500 Sentinelles étudiants ont été formés en deux ans.
« Une crise suicidaire, on dit généralement que ça dure sept à huit semaines. On peut agir à tout moment. Il peut y avoir des signes, mais ils ne sont pas toujours visibles. Ce qui va nous guider, c’est de repérer la souffrance. Qu’est-ce qu’on peut observer ? » Des mains se lèvent à travers la salle : « des menaces », « un isolement », « de l’irritabilité », « une pâleur, des cernes, une perte de poids »… Ce jeudi 13 février, quatre étudiants de première année de l’école d’ingénieurs ESITC Paris suivent une formation Sentinelle Étudiants. Le dispositif, proposé par l’association Nightline et le Groupement d’Étude et de Prévention du suicide (GEPS), doit leur permettre de repérer et d’orienter leurs pairs en détresse.
« C’est plus simple dans un premier temps de se confier à quelqu’un qui nous ressemble qu’à un professionnel de santé. L’idée de ce dispositif, c’est que les Sentinelles Étudiants puissent être les premiers maillons de la chaîne d’orientation vers le soin », explique Alice Fermanian, psychologue en charge du dispositif au sein de l’association Nightline. La formation est proposée aux étudiants sur la base du volontariat. D’une durée de neuf heures, elle se compose d’une introduction sur la santé mentale et d’un volet plus concret sur les signaux de mal-être à détecter, la démarche à effectuer pour aller vers l’étudiant et les ressources sur lesquelles s’appuyer, comme le 3114, le numéro national de prévention du suicide.
« Quels que soient les propos, il ne faut pas les banaliser »
« Est-ce que tu as envie d’en finir, de te suicider ? », demande Sarah-Hélène à Guillaume. « C’est une vraie question. Tu ne me regardes pas dans les yeux, donc est-ce que tu es sûr ? », insiste la jeune fille de 19 ans auprès de son camarade. Il ne s’agit ici que d’un jeu de rôle auquel se prêtent les apprentis Sentinelles de l’ESITC. Cette question, que la formatrice leur encourage à poser directement, doit permettre d’évaluer le degré de mal-être de l’étudiant en détresse. Des propos suicidaires urgents, avec l’évocation d’un scénario, d’une échéance ou d’un moyen évoquent en effet une « urgence immédiate ». « Dans ce cas-là, on ne laisse pas partir la personne. On appelle les urgences ou les personnes-ressources », insiste Manon Farigoule, la psychologue en charge de la formation à l’ESITC.
Mais des propos suicidaires allusifs ou élusifs doivent également être pris au sérieux, tout comme des comportements évocateurs d’une souffrance. « En tant que Sentinelles, quel que soit les propos, il ne faut pas les banaliser », insiste la formatrice. Les opinions, croyances ou avis doivent être laissés de côté : « avec vos casquettes de Sentinelles, il faut se dire que la seule chose que l’on repère, c’est une situation de souffrance. »
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Lors de la formation, les étudiants s’exercent à entamer une discussion avec un élève en difficulté par le biais de jeux de rôle. Photo EBRA/Cyrielle Thevenin
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Un étudiant ne peut pas être formé seul à devenir Sentinelle. Il s’intègre au cœur d’un réseau. Photo EBRA/Cyrielle Thevenin
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La formation leur montre les signes et la dynamique de la crise suicidaire. Photo EBRA/Cyrielle Thevenin
36 % des étudiants en situation de détresse
En 2023, l’enquête ''Conditions de vie étudiante'' de l’Observatoire national de la vie étudiante révélait que 36 % des étudiants faisaient état de symptômes de détresse dans les quatre semaines précédant leur réponse. 60 % des étudiants déclaraient également s’être sentis en permanence ou souvent épuisés. À l’ESITC, les quatre étudiants volontaires du jour ont tous été confrontés, que ce soit dans leur vie personnelle ou dans leur entourage, à la détresse psychique. « On ne choisit pas une formation sur son temps libre sur la crise suicidaire totalement par hasard. Souvent, ils ont été confrontés à une personne qui avait besoin d’aide, ont été aidés ou ne l’ont pas été. Il y a un peu d’eux dans cette formation et on fait preuve de beaucoup de vigilance car on ne sait pas qui a vécu quoi », confirme Manon Farigoule.
« J’appréhende d‘être face à des cas concrets, d’agir mal et d’aggraver la situation », reconnaît Adele, 18 ans, l’une des élèves en formation. « J’ai peur de rater et de négliger quelqu’un », approuve à ses côtés Charles, 18 ans également. « Si on sait que la personne ne va pas bien mais qu’elle ne veut pas s’ouvrir, qu’est-ce qu’on fait ? », demande Sarah-Hélène. « Faites ce qui vous semble bon : vous pouvez vous assurer qu’elle a toutes les ressources disponibles, lui donner les numéros d’aide… Mais acceptez aussi vos limites », recommande Manon Farigoule.
« La priorité, c’est vous-mêmes »
« Quand on accompagne une personne en souffrance, on peut se mettre en souffrance aussi. Peut-être qu’il va y avoir des situations qui vont vous rappeler ce que vous avez vécu. En tant que Sentinelles, la priorité, c’est vous-mêmes », insiste la psychologue. Les étudiants sont invités à conserver « une juste distance » avec les personnes qui feraient part de leur mal-être, en ne leur donnant pas leur numéro de téléphone par exemple. Ils doivent aussi s’appuyer sur des personnes relais et orienter vers une personne ou une institution qui serait plus adaptée pour la situation.
À la fin de la formation, l’étudiant se voit remettre une attestation.
« À la suite de la formation, un groupe WhatsApp est créé avec l’ensemble des Sentinelles de l’école, les formateurs formatrices et moi-même. Si les Sentinelles ont des questions ils peuvent la poser dans ce cadre-là. On propose trois à quatre fois dans l’année des cafés sentinelles où les formateurs viennent pour parler de leur rôle et évoquer les situations qui ont pu les inquiéter », indique Alice Fermanian. « Il n’y a aucune obligation à rester Sentinelles tout au long de ces études, on peut mettre en pause sa participation à tout moment », souligne-t-elle également.
En deux ans, plus de 500 étudiants Sentinelles ont été formés, uniquement en Île-de-France. La formation est en cours de déploiement en Auvergne-Rhône-Alpes, Normandie, Occitanie et en Guadeloupe. « Le public étudiant est vulnérable, il est de fait plus exposé à la précarité, à l’isolement. C’est une période cruciale pour eux, qui s’accompagne aussi souvent d’un éloignement avec leur famille. Plus on aura de personnes formées, plus ils seront informés et moins ce sera un tabou », salue Manon Farigoule.
Une ligne d’écoute (0 800 235 236) dédiée aux jeunes est accessible 7 jours sur 7 de 9h à 23h (service et appel anonyme et gratuit). Le 3114, numéro national de prévention du suicide, est aussi accessible 24h/24 et 7j/7.