Pour mieux protéger les patients qui ont fait une tentative de suicide d'une récidive, l'étude PROTECT vise à évaluer l’efficacité du plan de protection (Safety Plan) mis en place par les infirmiers des urgences, à la sortie du patient. Conçu sous la forme d'une liste de stratégies, ce plan de protection doit lui permettre d'agir pour mettre en échec sa crise suicidaire.
Près de 9 000 personnes se suicident tous les ans en France. Des chiffres qui pourraient nous pousser à porter un regard pessimiste sur les données de mortalité par suicide dans l'hexagone. Pour Benoit Chalancon pourtant, il faut aussi souligner que ce taux diminue depuis plus de 20 ans en France. Cet infirmier de recherche clinique et investigateur coordonnateur de l'étude PROTECT initiée par Le Vinatier (un établissement lyonnais référent en psychiatrie et santé mentale),y voit le signe probable que les stratégies de prévention du suicide en France sont effectives. La mise en place du numéro national de prévention du suicide, le 3114, y participe grandement.
Un plan de protection à mettre en place par l'infirmier des urgences
Les patients qui ont fait une tentative de suicide sont plus à risque de réaliser à nouveau un geste suicidaire, tout particulièrement dans le premier mois. C'est face à ce constat que Benoit Chalancon a réalisé son étude sur la mise en place d'un «plan de protection» par l'infirmier des urgences dans la prévention de la réitération suicidaire, présentée lors des 8e rencontres de la recherche en soins en psychiatrie, en mars dernier. «Le plan de protection* se présente comme une liste de stratégies co-construite par le soignant et le patient afin que la personne en crise suicidaire puisse faire face de façon autonome aux premiers éléments de la crise lorsqu'elle surviendra à nouveau». Un outil ? Pas tout à fait, «il s'agit plutôt d'une intervention au sens large», explique Benoit Chalancon. Le plan de protection n'est pas non plus une échelle qu'on remplit en salle d'attente mais se co-construit : «avec un infirmier ou un professionnel de santé formé d'une part à la question de la crise suicidaire et d'autre part de façon spécifique au plan de protection, ce qui demande un niveau d'expertise avancé», résume l'investigateur coordonnateur de l'étude. «L'infirmier formé guide ainsi la personne concernée dans la construction du plan de protection, afin qu'il colle au plus près de sa réalité. «Ce qui serait dommageable, ce serait que ce soit le professionnel de santé qui fasse les réponses. Ce n'est pas plaqué, ce n'est pas une recette, c'est un ensemble de stratégies qui évolue», assure l'infirmier. Le plan de protection peut ainsi être réécrit et adapté à tout moment.
Le plan de protection est mis en place au moment de la consultation de sortie, pour outiller la personne et qu'elle puisse ainsi faire face à la réapparition d'une crise suicidaire.
6 points essentiels
Ce plan, né en 2012 aux Etats-Unis, sous l'impulsion de deux professeur de psychologie (Barbara Stanley et Gregory K. Brown), se déploie en 6 étapes successives dont la traduction est actuellement en cours de publication par l’équipe de recherche PROTECT :
- Identification des signes avant-coureurs de la crise suicidaire ;
- Identification des stratégies de gestion du stress ;
- Sollicitation d’un réseau social de distraction ;
- Sollicitation d’un réseau social de soutien ;
- Identification de ressources professionnelles du soin ;
- Restriction d’accès aux moyens suicidaires.
Cet outil de prévention, dont les premiers résultats outre Atlantique sont très encourageants, n’a pas encore été adopté dans les pratiques soignantes en France, ou bien de façon très ponctuelle.
On sait que ce taux est très élevé à un mois, à trois mois et jusqu'à six mois après les gestes suicidaires, pour ne jamais finalement revenir à la normale parce que cet antécédent restera comme un facteur de risque.
Concentration sur le premier mois après le passage à l'acte
S'il reste difficile de prédire- et donc de prévenir- les gestes suicidaires, une sous-population a été identifiée comme particulièrement à risque de répéter son geste : les personnes qui ont déjà fait une tentative de suicide. «Sur cette population, qu'on appelle les suicidants, on a plusieurs données internationales de la littérature qui nous montrent qu'on a un taux de mortalité extrêmement élevé dès le premier mois suivant un passage à l'acte par geste suicidaire. On sait que ce taux est très élevé à un mois, à trois mois et jusqu'à six mois après les gestes suicidaires, pour ne jamais finalement revenir à la normale parce que cet antécédent restera comme un facteur de risque», précise Benoît Chalançon. «Ce constat amène à se concentrer sur le premier mois et jusqu'à 6 mois après le geste suicidaire. En d'autres termes, il y a un enjeu fort à réussir à proposer un accompagnement très important dès cette période».
Une information bien étayée sur le sujet
On dispose de données très robustes au niveau international qui ont été publiées dans des revues de premier plan comme la revue scientifique britannique The Lancet, mais également de données nationales françaises. Une équipe parisienne (Vuagnat, 2020) a notamment montré que le taux de réitération suicidaire à un an est de l'ordre de 12,4% et on sait que dans ces 12%, les trois-quart des personnes vont répéter leur geste dans les six premiers mois.
Le suicide est un phénomène complexe qui a plusieurs tenants et aboutissants et l'origine des passages à l'acte sont plurifactoriels. Pour mieux comprendre ce phénomène complexe, écoutez Les maux bleus.
Cette liste de stratégies se présente comme un protocole d'actions ordonnées qui permet à la personne d'agir pour mettre en échec cette crise suicidaire.
Mise en échec de la crise suicidaire
«Tout ce qui fait la réussite du plan de protection vient justement du fait qu'il s'appuie précisément sur les maux de la personne concernée, qu'il part de là et qu'il s'inscrit dans sa réalité à elle avec ses ressources, mais aussi ses imperfections», explique Benoit Chalancon. «Parmi la liste de stratégies, la première idée c'est de s'intéresser aux signes annonciateurs de la crise suicidaire, en donnant les moyens au patient de les repérer de façon précoce et ainsi, d'intervenir de façon précoce. Viennent ensuite des stratégies qui ont pour objectif de faire appel aux compétences propres de la personne mais aussi à des ressources dans l'entourage ou encore professionnelles».
La personne peut ainsi avoir recours à cet outil de protection dès qu'elle en ressent le besoin, presque comme un traitement de la crise suicidaire. Cette liste de stratégies se présente comme un protocole d'actions ordonnées qui permet à la personne d'agir pour mettre en échec cette crise suicidaire.
Une évaluation fine de l'efficacité du plan de protection avant sa diffusion
L'étude PROTECT s'intéresse à un échantillon assez particulier de patients : uniquement ceux qui passent par les services d'urgence, un lieu clé pour les actions de prévention de la crise suicidaire puisqu'on sait que 60% des personnes qui font un geste suicidaire passent par les urgences.
L’étude PROTECT, portée par le Centre Hospitalier le Vinatier, a pour objectif principal d’évaluer l’efficacité à 6 mois du plan de protection lorsqu’il est mis en place par l’infirmier des urgences, avant la sortie du patient, pour des personnes déjà inclues dans le programme VigilanS (dispositif national de prévention de la réitération suicidaire). Le dispositif de formation est effectif. Le premier centre de prévention du suicide est déjà formé au plan de protection et une vingtaine d'autres vont être formés à cet outil, d'ici 18 mois environ.
L’étude se déroule en 3 étapes :
- La traduction du plan de protection en français par un comité d’experts
- L’évaluation de son efficacité auprès de 2 387 participants à l’étude, dont une partie servira de groupe témoin (sans intervention) et de point de comparaison au groupe qui recevra le plan de protection (groupe intervention).
- Évaluation de son utilisation auprès d’un échantillon de participants par les professionnels de santé et les participants à l’étude
PROTECT est une recherche nationale (jusqu'à l'Ile de la Réunion, mais aussi à Reims, Caen, Saint-Etienne, Angers, Nantes...), qui implique 11 centres hospitaliers dotés d’un service VigilanS et s’implanter dans 15 services d’urgences. Dans chaque centre, ce sont prioritairement les infirmiers, médecins et cadres de santé qui porteront le projet, qui devrait durer trois ans.
Les compétences de recherche des infirmiers exploitées
«Des pilotes d'étude conduisent celle-ci dans chacun des centres, et dans 50% des cas : ce sont des infirmiers. Il y avait donc vraiment l'idée dans le cadre de la diffusion de ce projet de recherche, aussi, de mettre en avant d'une part l'expertise des infirmiers dans la crise suicidaire, mais aussi de favoriser et de développer les compétences et le leadership des infirmiers dans le cadre de la recherche», se réjouit Benoit Chalancon. Les premiers résultats sont attendus pour le premier semestre 2026, avec, espère-t-il, des résultats préliminaires courant 2025.