lundi 8 avril 2024

AUTOUR DE LA QUESTION JO de Paris 2024 : Comment et pourquoi la santé mentale est devenue un sujet majeur dans le sport pro

JO de Paris 2024 : Comment et pourquoi la santé mentale est devenue un sujet majeur dans le sport pro
psychologie•La parole autour de la souffrance psychique des athlètes se libère depuis plusieurs années dans le milieu du sport de haut de niveau

Le champion du monde de natation Michael Phelps, à Phoenix, aux Etats-Unis, le 21 octobre 2023. - B. Anderson/AP/Sipa / Sipa

Lise Abou Mansour

Publié le 02/04/2024 https://www.20minutes.fr*

L'essentiel Dépression, burn-out, troubles du comportement alimentaire… Les athlètes de haut niveau sont de plus en plus nombreux à parler de leurs problèmes de santé mentale.
« Le sport de haut niveau est une prise de risque à fois physique et psychologique, poursuit Elise Anckaert, psychologue du sport à l’Insep. Il faut donc mettre des garde-fous pour préserver et réguler ce terrain à risque. »
Hormis une séance par an obligatoire avec un psychologue, il n’existe aucune politique globale à ce sujet. « Certaines institutions priorisent les prépareurs physiques et l’équipe médicale et d’autres décident d’investir sur le champ de la santé mentale. C’est très contexte dépendant », explique Stéphanie Meriaux, psychologue du sport.


«J’ai pensé à me suicider, et ça fait peur. » Cette phrase, c’est le champion du monde de natation américain Michael Phelps, sportif le plus titré et le plus médaillé de l’histoire des Jeux olympiques, qui l’a prononcée en novembre dernier dans les colonnes du quotidien espagnol sportif AS. Il a ensuite ajouté « parler de santé mentale m’a sauvé la vie. »

La parole autour de la souffrance psychique des athlètes se libère depuis plusieurs années dans le milieu du sport de haut de niveau. Simone Biles, Naomi Osaka et en France Teddy Riner ou Camille Lacourt ont raconté leur passage à vide, entre dépression et burn-out. Une libération de la parole aussi nécessaire que progressive.

Le sport de haut niveau, un terrain à risques

Entraînements intensifs, pression, douleurs, stress… Les sportifs professionnels font face à des états psychologiques et physiques extrêmes. « On idéalise le sport de haut niveau mais c’est un monde de travail, de sacrifices, d’abnégation, d’exigence et de dépassement perpétuels », estime Elise Anckaert, psychologue du sport et psychologue clinicienne à l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance).

« Le sport de haut niveau est une prise de risque à la fois physique et psychologique, poursuit la thérapeute. Il faut donc mettre des garde-fous pour préserver et réguler ce terrain à risque. » Selon la psychologue, tous les athlètes sont concernés par cet équilibre précaire, de celui qui gagne les Jeux olympiques à celui qui ne se qualifie pas.
Dépression, burn-out et troubles alimentaires

Perrine Laffont, 25 ans, championne olympique de ski à bosse et cinq fois championne du monde, est revenue en octobre dernier sur sa dépression dans les colonnes de 20 Minutes : « Le premier symptôme, c’est le dégoût de son sport. Le cerveau a assimilé sport à souffrance et compétition à stress. Après vient la perte d’appétit, de poids, d’envie… Tu as l’impression que ta vie n’a plus de sens et tu finis par te dire "mais au fond quel est l’intérêt de continuer à vivre ?" »

Parmi les troubles psychiques dont souffrent les sportifs, « il est très souvent question d’anxiété et de dépression », d’après Jean Fournier, psychologue du sport et maître de conférences. Certaines pathologies sont aussi liées à une pratique spécifique. « Il y a beaucoup de problèmes de troubles du comportement alimentaire (TCA) dans les sports évalués, soit parce qu’il faut être maigre comme dans ceux d’endurance, soit parce qu’il s’agit d’un sport à catégorie de poids comme le judo ou la boxe », ajoute le psychologue.
Un sujet longtemps resté tabou

Si les sportifs sont de plus en plus nombreux à aborder leur souffrance psychique, le sujet est longtemps resté tabou. Michael Phelps a d’ailleurs attendu la fin de sa carrière pour parler de sa dépression. « Quand on avoue qu’on a des problèmes de santé mentale, on apparaît faible aux yeux des adversaires », considère Jean Fournier. « Ce qui peut être assimilé à une limite ou une fragilité n’est pour beaucoup pas compatible avec la performance », complète Elise Anckaert.

L’autre raison serait plus politique selon le maître de conférences. « Aucune fédération n’a envie qu’on dise que ses athlètes ont des problèmes de santé mentale, d’autant plus que certaines souffrances psychiques proviennent des violences existant dans le milieu. »
 

Une prise de conscience généralisée

En parlant publiquement de sa dépression, Michael Phelps a été l’un des précurseurs. « Les premiers qui ont témoigné sont des athlètes de très très haut niveau qui ont attendu d’être en quelque sorte invincibles pour s’autoriser à en parler », analyse la psychologue de l’Insep.

Petit à petit, par effet de dominos, les langues se sont déliées. « Des sportifs les voyant comme des modèles de travail, de courage et de perfection se sont dit que s’ils expliquaient que c’était nécessaire de travailler sur soi, alors c’est que cela devait être le cas », résume la thérapeute. « Cela normalise le fait que les sportifs ne sont pas des surhommes », considère de son côté Stéphanie Meriaux, psychologue du sport et maître de conférences.
La formation des entraîneurs

Mais un autre facteur viendrait expliquer cette prise de conscience : la formation des entraîneurs. « La santé mentale est abordée depuis plus d’une dizaine d’années dans les formations », explique Stéphanie Meriaux qui a parmi ses élèves de l’Université de Côté d’Azur de futurs entraîneurs. Au sein de la licence Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives), 20 heures de cours sur l’approche psychologique de la performance sont données en deuxième année et 50 heures en troisième année sur les TCA, le dopage et les violences, avec une approche psychosociale.

« Si on sait qu’il s’agit d’un problème de santé mentale, on pourra l’identifier et surtout on sait qu’il pourra être pris en charge et solutionné », appuie la maître de conférences.
Des disparités selon les sports et les territoires

Côté suivi et prévention, depuis 2006, les athlètes sont tenus d’effectuer une séance par an avec un psychologue. Les mineurs, eux, doivent en faire deux. Aucune autre obligation légale. « Les institutions font des choix au sein de leur staff, selon Stéphanie Mériaux. Certaines priorisent les préparateurs physiques et l’équipe médicale et d’autres décident d’investir sur le champ de la santé mentale. C’est très contexte dépendant. »

La psychologue regrette qu’il n’y ait pas de politique globale à ce sujet. « Au Canada, la psychologie du sport a une place au sein des structures et a été intégrée au sein du projet au long terme. En France, ça reste ''un plus'' qui n’est pas toujours admis et cautionné par l’ancienne génération. » Il existerait aussi de grandes disparités selon le territoire géographique, la fédération et la culture du sport concernés. « Dans les sports de combat par exemple, c’est beaucoup moins accepté », soutient Elise Anckaert.
Des ateliers au sein de l’Insep

Au sein de l’Insep, cinq psychologues, dont une seule à temps plein, s’occupent d’accompagner les athlètes. L’institution organise des ateliers de prévention à destination des sportifs en fonction de leur âge, de leur sport et de leurs besoins spécifiques.

« On leur explique en quoi santé et préparation mentales vont de pair et on démocratise le fait que demander de l’aide est normal », explique la psychologue de l’Insep. Des rendez-vous collectifs donc, mais aussi individuels. « On peut faire des séances à la demande du sportif mais aussi d’un de ses proches, que ce soit les parents, les professeurs, les entraîneurs », ajoute Elise Anckaert.
Un intérêt pour les athlètes

Si les athlètes traversant une dépression ou un burn-out ne sont pas suivis à temps, il y a un risque que le trouble s’aggrave. Jérémy Flores, champion du monde de surf, expliquait en novembre à 20 Minutes : « Je me disais "de toute façon je suis un guerrier, toute ma vie je me suis battu, c’est juste une mauvaise phase et ça va aller". Sauf que les semaines se sont transformées en mois et les mois en années. »

La santé mentale n’est pas qu’une question de troubles psychiques. « Elle est souvent vue par l’aspect problème mais il y a aussi l’aspect solution, insiste Elise Anckaert. Mieux se connaître, connaître sa personnalité et ses propres attentes, comprendre ses émotions et apprendre à les réguler permet d’optimiser ses performances. » Une manière d’en convaincre peut-être certains.

https://www.20minutes.fr/sante/4080886-20240402-jo-paris-2024-comment-pourquoi-sante-mentale-devenue-sujet-majeur-sport-pro