Le Covid augmente le mal-être des adolescents : reportage dans un hôpital psychiatrique
Le Covid-19 et ses restrictions ont été un accélérateur d'idées noires pour certains. Immersion au sein du service pédiatrique de l'hôpital Mignot, au Chesnay (Yvelines).
En cette période estivale, ces jeunes ne partent pas en vacances. Ils sont hospitalisés au sein du service pédiatrique de l’hôpital Mignot, au Chesnay-Rocquencourt (Yvelines), dans une unité spécialisée.
Dans le secteur des adolescents, âgés de 12 à 16 ans, c’est l’effervescence. Ils sont de plus en plus nombreux. Une autre conséquence du Covid-19.
« Là, ça explose »Tous les lits sont pourvus. « Sur un total de 12 places pour adolescents, dont 8 sont normalement prévues pour la médecine pédiatrique et 4 pour des lits de pédopsychiatrie, toutes sont occupées par de la psy. Il y a aussi des enfants qui attendent en amont aux urgences, parfois plusieurs jours, pour une place en hospitalisation au sein de l’unité », témoigne le docteur Sylvie Nathanson, cheffe du service de pédiatrie depuis 2013.
Ces jeunes en détresse, des filles en prédominance, arrivent en premier lieu aux urgences pédiatriques.
Entre 60 et 80 adolescents consultent les urgences pédiatriques chaque mois pour un motif psychiatrique, c'est-à-dire des adolescents qui ont fait une tentative de suicide, pour la majorité par une intoxication médicamenteuse volontaire. Nous rencontrons des tentatives de phlébotomie (s'ouvrir les veines), de défenestration, de pendaison. Nous accueillons aussi ceux qui ne sont pas passés à l'acte mais ont des idées suicidaires très actives, très scénarisées.
« Nous avons aussi des troubles du comportement alimentaire, les anorexies, en augmentation chez les jeunes filles », note la cheffe de service qui dirige également le pôle enfant. « Pendant les confinements, elles ne mangeaient plus par peur de prendre du poids sans sortir. Les ados étaient très connectés pendant cette période et les réseaux sociaux prennent une part importante. Ils catalysent le mal-être de certains jeunes. Ça ne s’arrête pas ! Depuis 2015, on a vu chaque année une augmentation des hospitalisations à cause de cela. Puis il y a eu la crise sanitaire, c’est monté en flèche et là, ça explose. »
Selon la Haute autorité de santé (HAS), le suicide représente la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans en France. La cinquième chez les moins de 13 ans.
« Un mal-être renforcé pendant le Covid »
Un autre constat inquiète l’équipe médicale. « Il y a un rajeunissement de l’âge de la première tentative de suicide. À présent, on voit des enfants de 12 ans contre 14-15 ans auparavant », alerte le docteur Imane El Aouane, pédiatre dans le secteur des adolescents. « Avant le Covid, on avait des périodes identifiées, notamment avant les examens, mais les vacances étaient relativement calmes. À présent, le pic est continu. C’est souvent un appel à l’aide. »
Dans ce service, tous sont unanimes. « Le confinement a majoré les problématiques, avec un mal-être renforcé pendant la période du Covid. Il y a un besoin d’hospitalisation mais pas assez de places », se désole Catherine Hollick, cadre supérieur de santé du pôle enfant.« Il y a une telle accélération du flux de ces patients en mal-être que nous sommes obligés de faire une sélection assez drastique pour les hospitalisations. Les critères de la Haute autorité de santé ont été vraiment mis à mal avec ce flux de patients important », partage le docteur Sylvie Nathanson.
Pour faire cette sélection, une évaluation du patient est effectuée aux urgences. Les formes les plus sévères sont alors hospitalisées au 7e étage. C’est le cas de Zoé*, 15 ans. « Ça fait deux semaines que je suis là, c’est ma première hospitalisation. Je n’ai pas passé mon brevet. »
Comme elle, beaucoup d’adolescents ont décroché au niveau scolaire, dépassés par les cours en visio et une motivation perdue.
Difficulté de construction de son identité
La crise sanitaire est ressentie comme un retour en arrière pour les jeunes rencontrés.
« Les structures familiales fragiles ont volé en éclat pendant le Covid. Le télétravail et le fait de se retrouver sous le même toit ont été compliqués. L’adolescence est une période de construction avec ses pairs, où on acquiert une autonomie. Les jeunes n’ont pas pu rencontrer leurs pairs avec les confinements. C’est un moment alors très compliqué pour l’ado en pleine construction de son identité », développe le docteur Sylvie Nathanson.
Pendant ce temps d’hospitalisation, le mal-être de l’enfant est décortiqué.
Nous abordons de manière globale l'adolescent, mais nous avons très vite des entretiens familiaux pour comprendre dans quel environnement il vit, quelle est la source de son mal-être et comment on peut l'aider dans son environnement familial, amical et scolaire. On constate qu'à chaque fois que l'on reprend l'histoire du patient, il y a cette période de Covid, de confinement, traduite par de l'anxiété qui revient.
Parmi les adolescents, Chloé*, 14 ans, est arrivée il y a plus d’un mois pour une tentative de suicide. « Plein de petits problèmes se sont accumulés et ça a fait déborder le vase. Je n’étais pas prise dans l’école où je voulais être, puis j’ai ressenti de la honte envers moi-même, et un grand événement m’a bouleversé : la mort de mon meilleur ami », raconte la jeune fille, vêtue de noir.
20 lettres de suicide préparéesTous ces événements se sont produits entre 2020 et 2022. « Au début, je vivais le confinement comme des vacances. Mais après, c’est devenu étrange. J’étais chez moi et je pensais. Mes problèmes ont refait surface, et d’autres se sont ajoutés avec le Covid. Cette période a été l’accumulation de trop », confie-t-elle.
De retour à l’école, en présentiel, Chloé a remis à son professeur d’arts plastiques sa lettre de suicide. « Des lettres préparées, j’en avais plus de vingt à donner. »
C'est énorme oui, je m'en rends compte maintenant, mais j'ai un mal-être et ces lettres étaient un moyen d'exprimer mes sentiments. Mon professeur d'arts plastiques en a parlé avec la directrice de mon établissement scolaire. Elle a appelé les pompiers. Ils m'ont amenée ici.
Ces adolescents sont pris en charge par une équipe pluridisciplinaire, dont Lila Akeb, éducatrice spécialisée depuis 2007 dans l’établissement. Elle encadre des activités mises en place au sein de cette unité pour les 12-16 ans, une façon de comprendre et voir comment ils fonctionnent.
Après plus d’un mois d’hospitalisation, Chloé s’est de nouveau sociabilisée. « On fait des jeux. Je me suis même fait des amis. J’ai appris à rigoler ici, de nouveau. Je me reconstruis. Le reste du temps, je dessine, ça m’aide à enlever des pensées », témoigne l’adolescente.
Plus de passage dans les hôpitaux pour mal-être
Selon Santé publique France, les passages aux urgences pour geste suicidaire, idées suicidaires et troubles de l’humeur chez les 11-17 ans ont augmenté avec le Covid-19, jusqu'en 2021. En 2022, la situation tend à se stabiliser même si les chiffres restent à un niveau élevé. Toutefois, Santé publique France ne communique aucun chiffre sur le nombre d'hospitalisations. Dans 80% des cas de comportements suicidaires, ce sont les jeunes filles qui sont concernées.
À la question « Est-ce que tes idées noires sont parties à présent ? », Chloé répond avec beaucoup de recul. « Rien ne part jamais à 100 %, je suis sûre qu’au fond de moi, ça peut rester quelque part, mais je fais plus face. Oui j’ai vécu des choses, mais ça ne veut pas dire que tout ça c’est moi à présent. »
L’hospitalisation est une étape dans le processus de soin. « C’est un temps de pause. On évalue et met en place une stratégie pour après. On l’explique aux parents et aux enfants : ce mal-être psychologique, ce n’est pas comme une angine, sept jours de médicaments, et c’est réglé. Non. Cela prend du temps. C’est complexe, donc il faut une prise en charge, notamment toute l’année qui suit la tentative minimum », notifie la pédiatre Imane El Aoune.
Structures saturées
À leur sortie, les jeunes sont orientés vers des centres médico-psychologiques (CMP). « Ces structures sont totalement saturées. Ils ne peuvent plus recevoir de nouveaux patients ou alors avec beaucoup d’attente. Il y a un vrai problème d’aval », avertit le docteur Imane El Aouane.
Un problème déploré en amont aussi. « Il y a une démographie qui malheureusement pèse en défaveur de la prise en charge des adolescents. On manque cruellement sur l’ensemble du territoire de pédopsychiatres, il n’y en a plus assez. Les psychologues commencent aussi à être saturés. Ces jeunes arrivent donc ici, par manque de prises en charge », se désole le docteur Sylvie Nathanson.
Au sein du service pédiatrique de l’hôpital Mignot, les jeunes rencontrés sont en hospitalisations complètes. « L’ouverture vers l’extérieur est plutôt en fin d’hospitalisation, pour qu’ils reprennent pied progressivement avec leur environnement. Mais nous avons des intervenants », explique la cheffe du service pédiatrique.
Soigner les maux sans médicaments
Valérie Maillot est l’une des intervenantes. Elle est socio-esthéticienne, un métier peu connu, apporté comme soin de support auprès des personnes fragilisées. Elle va à la rencontre des différents enfants présents dans cette unité.
J'apporte une aide. J'essaye de pallier leurs souffrances. Si on les aide à l'enfance, cela les aide pour plus tard. C'est un bienfait instantané. C'est un métier riche humainement. Le financement de ces soins bien-être pour le service pédiatrique a été réalisé en premier lieu par l'association Solidarité enfance dévouement. Puis, l'hôpital est venu compléter le financement.
La socio-esthéticienne rencontre Chloé dans sa chambre. Ses dessins sont affichés au mur. « C’est mon échappatoire. Je fais aussi du diamond painting (broderie avec des strass, Ndlr), ça occupe », raconte la jeune fille qui a opté pour un massage du dos.
Les langues se délient pendant le soin, sur un fond de musique douce.
« Quand vous me massez, cela me détend. Je m’imagine en Thaïlande pour continuer mes études. Mon père est là-bas. C’est mon projet après ici. Si je devais retenir une chose, après tout ce que j’ai vécu, c’est qu‘il y a toujours un espoir, une solution, même si on ne dirait pas comme ça », conclut Chloé avec l’esquisse d’un sourire pour la première fois.
La socio-esthéticienne a réussi sa mission : soigner, le temps d’un instant, ces âmes troublées.
* Les prénoms ont été modifiés.