Interview Bypass, sleeve, anneau : "On observe plus de suicides" après la chirurgie pour perdre du poids
En France, la chirurgie de l’obésité concerne environ 45 000 patients par an. Si elle a « un effet freinateur », le composant psychologique peut persister. Interview.
En 2017, Éric a eu recours au bypass, une opération qui réduit l’estomac. Il a perdu 60 kilos. Aujourd’hui, il regrette son choix et son plaisir de manger. « Il y a un véritable décalage entre mon esprit et mon corps. J’ai envie de manger, mais mon corps est trop rapidement saturé. Je sais qu’en mangeant trop je me fais du mal, mais ça rend la frustration plus tolérable. Aujourd’hui, je regrette l’opération », expliquait-il récemment à notre rédaction actu Strasbourg.
Le quinquagénaire a traversé une importante dépression et a repris ses « mauvaises » habitudes alimentaires. Son estomac est plein dès qu’il a terminé son entrée, alors il essaie de picorer, sans grand succès, et a très souvent la nausée.
Ce témoignage, parmi d’autres, met en avant le problème bien identifié de la prise en charge psychologique de ces opérations, « car peu de psychologues/psychiatres ont une compétence dans ce domaine, et notamment dans les troubles du comportement alimentaire », explique à actu.fr le professeur Didier Quilliot, de l’unité multidisciplinaire de chirurgie de l’obésité au CHRU de Nancy.
Actu : La chirurgie bariatrique connaît un véritable engouement en France, est-ce une particularité « française » ?
Didier Quilliot : Depuis
2013, plus de 40 000 patients se font opérer chaque année, oui. Il y a
eu un effet Covid-19 avec moins d’interventions en 2020, mais ce sont
effectivement entre 40 et même plutôt plus de 50 000 interventions qui
se déroulent chaque année.
La France est clairement l’un des pays qui pratique le plus dans le
monde la chirurgie bariatrique si l’on se rapporte à la population
générale et à la population obèse, car nous sommes un pays plutôt
préservé par l’obésité pour le moment.
En France, on opère depuis 1995 environ, donc on a du recul. Et le
remboursement joue, évidemment. L’assurance maladie rembourse
l’opération chirurgicale du bypass et l’hospitalisation à hauteur de 70
%. L’intervention ne peut néanmoins évidemment être remboursée que si le
médecin conseil a accepté l’opération.
Quelles sont les « techniques » ?
DQ : La
Haute autorité de santé (HAS) en a validé trois : la sleeve
gastrectomy, le bypass gastrique en Y et l’anneau gastrique. En résumé,
le gastric bypass, comme la sleeve gastrectomy, agissent essentiellement
en diminuant la sensation de faim, en renforçant le rassasiement et la
satiété. Les bypass consistent en une réduction de la taille de
l’estomac associée à un court-circuitage d’une partie de l’estomac et de
l’intestin grêle.
En règle générale, on mange quand on a faim, mais cela nous arrive de
manger pour d’autres raisons… que souvent on définit comme de la
gourmandise mais qui cachent en réalité une forme de compensation, ou de
traitement de nos émotions.
Des patients mangent quand ils sont stressés, angoissés quand ils ont un
mal-être, quand ils ne parviennent pas à gérer leurs émotions… La
chirurgie a un effet freinateur, mais le composant psychologique peut
persister, et c’est toute la difficulté.
L’Inspection générale des affaires sociales, l’Igas, avait pointé en 2018 un « mauvais encadrement » des chirurgies de l’obésité en France. Est-ce que des « garde-fous » ont été mis en place depuis ce rapport ?
DQ : Il
faut avoir en tête que la chirurgie, c’est une chance. En moyenne, avec
ces opérations, les patients gagnent six ans d’espérance de vie et neuf
ans quand il y a un diabète…
Mais opère-t-on les « bons » patients ? Sûrement pas. Les diabétiques de
type 2 ou prédiabétiques, les patients à haut risque de complications,
devraient être les principaux bénéficiaires. Or, aujourd’hui, il reste
difficile de convaincre les diabétologues de considérer la chirurgie
bariatrique, et notamment le gastric bypass, comme un traitement de
première ligne.
En France, les médecins (endocrinologues, diabétologues,
nutritionnistes), ont mis beaucoup de temps à s’impliquer dans la
chirurgie bariatrique. Au départ, probablement en raison d’un manque de
preuves, d’un manque de compétences, et de l’investissement du domaine
par les chirurgiens. Les équipes pluridisciplinaires ont tardé à se
mettre en place et restent encore souvent insuffisamment structurées.
Le point faible concerne surtout la prise en charge psychologique ?
DQ : Oui,
car peu de psychologues/psychiatres ont une compétence dans ce domaine,
et notamment dans les troubles du comportement alimentaire.
La Haute autorité de santé (HAS) rappelle régulièrement que la chirurgie
est un traitement de seconde intention de l’obésité – c’est-à-dire
après échec d’un traitement médical, nutritionnel, diététique et
psychothérapeutique bien conduit pendant six mois à un an – et concerne
les patients dont l’indice de masse corporelle (IMC) est supérieur ou
égal à 40 kg/m2, ou dont l’IMC est supérieur ou égal à 35 kg/m2, associé
à au moins une comorbidité susceptible d’être améliorée après la
chirurgie.
En cas de réussite, elle aide à une perte de poids importante et
persistante. Pourtant, cet acte lourd ne doit être réalisé qu’à l’issue
d’une décision médicale partagée, avec une information claire sur les
techniques existantes, leurs avantages et inconvénients, leurs
conséquences, les complications et sur la nécessité d’un suivi médical
tout au long de la vie…. Mais il y a encore du travail.
Les risques sont connus, doivent être prévenus et gérés, notamment les
risques nutritionnels. Et cela impose un suivi régulier obligatoire,
encore trop mal organisé en France. En dehors du risque de carence, les
principaux risques sont de basculer dans une autre addiction (alcool,
médicaments, substances, jeux, achats, sexe….) ou de développer d’autres
troubles psychologiques, comme la dépression, ainsi, on a observé trois
à quatre fois plus de suicides suite à ces opérations. La chirurgie
seule ne peut pas suffire.
La chirurgie de l’obésité entraîne une perte de poids durable aux
répercussions certaines et visibles sur la vie quotidienne des personnes
obèses, mais cette intervention peut aussi les remettre en question au
plus profond d’elles-mêmes, puisqu’elle va d’une part les changer
physiquement, et d’autre part les empêcher, en partie de gérer leur
mal-être par la nourriture.
La nécessité, clairement identifiée, est celle de prendre en charge les
patients de façon pluridisciplinaire et d’insister sur la prise en
charge psychologique. En effet, les troubles du comportement alimentaire
sont très souvent liés à des traumatismes psychologiques anciens. C’est
indispensable pour prévenir ainsi tout risque de rechute ou de
compensation du symptôme de l’addiction alimentaire par un autre tout
aussi dévastateur.
Mais le manque de psy, formés, aujourd’hui pose un réel problème.
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