Portrait
Elise Cleva, aux avant-postes de la prévention du suicide
7 juillet 2022 | https://www.actusoins.com/*
Elise Cleva, infirmière lilloise de 33 ans, s'est engagée totalement depuis 2015 dans la création du dispositif Vigilans. Aujourd'hui elle participe aussi à la mission d'appui au déploiement du numéro national de prévention du suicide.
Cet article a été publié dans le n°42 d'ActuSoins Magazine (septembre-octobre-novembre 2021). Il est à présent en accès libre.
© Géraldine Langlois
Elise Cleva occupe depuis plusieurs années des fonctions uniques en France dans le domaine de la prévention du suicide au CHU de Lille.
En avril 2021, elle a intégré la mission d'appui au déploiement du numéro national de prévention du suicide (2NPS), qui a ouvert le 1er octobre, pilotée par une équipe du CHU. L'infirmière participe aux travaux, notamment ceux qui concernent la transmission de son expérience des relations téléphoniques entre écoutants et personnes suicidaires.
En partenariat avec la branche formation de la mission et le Dr Christophe Debien, psychiatre lillois chargé du déploiement du numéro, « nous réfléchissons à la manière d'aider les répondants à répondre aux appels des personnes », explique l'infirmière. A des fins de formation, elle a écrit des jeux de rôle, des fiches pratiques et utilise des passages de conversations téléphoniques avec des patients, notamment lors de crises suicidaires où il est difficile de localiser le patient.
Elise Cleva connaît bien ce fonctionnement en mode « projet » à partir d'une page blanche : elle a fait partie de l'équipe qui a conçu le dispositif Vigilans quasiment depuis la première heure.
Page blanche
Après un remplacement de quelques mois en SSR au CHU de Lille à sa sortie de l'IFSI, en 2010, cette infirmière a accepté « les yeux fermés » le poste en pédopsychiatrie qu'on lui a proposé car elle souhaitait avoir plus de temps pour parler avec les patients. Depuis, elle n'a plus jamais quitté la psychiatrie, ni le CHU.
Au tout début, elle travaille dans un service fermé de recours régional. « Le moindre échange avec les enfants était une opportunité d'entretien », se rappelle-t-elle. Au bout de deux ans, elle participe aussi à la consultation des urgences pédopsychiatriques et aux entretiens d'évaluation des mineurs hospitalisés après une tentative de suicide.
En 2015, deux psychiatres du CHU de Lille, le Pr Guillaume Vaiva et le Dr Christophe Debien, imaginent Vigilans, un dispositif régional de prévention de la récidive du suicide. Le principe : reprendre contact avec les personnes ayant déjà fait une tentative de suicide, à des intervalles précis, pour prendre de leurs nouvelles et évaluer leur « moral » afin de déceler d'éventuels signe de risque de récidive et pouvoir les accompagner vers les soins si nécessaire. « Ils cherchaient une infirmière, j'ai postulé et j'ai été prise », raconte-t-elle. Depuis, elle ne les a pas quittés non plus.
Première vigilanseuse
La construction d'un tout nouveau dispositif constitue un défi, aussi impressionnant qu'enthousiasmant. Les idées fusent et elle y participe pleinement. Elle contribue à mi-temps au développement du dispositif : « j'aidais où il y avait besoin : les secrétaires sur des points pratiques, les infirmières au Samu. J'étais la pièce joker du dispositif », résume Elise Cleva.
Au début, poursuit-elle, « c'était une petite équipe. Il régnait une ambiance très familiale et une dynamique qui soude les gens. En réunion, on parlait des patients, des relations avec les centres hospitaliers, de ce qui fonctionnait et, si des choses ne fonctionnaient pas, de ce que qu'on pouvait inventer de nouveau pour que cela fonctionne... » Avec les médecins, elle va rencontrer les équipes des urgences des hôpitaux de la région pour les inciter et les former à entrer des patients dans le dispositif.
L'autre moitié du temps, l'infirmière participe au rappel des patients par téléphone. L'infirmière développe, peu à peu, avec, d'autres « vigilanseurs » infirmiers ou psychologues, un savoir-faire très particulier. Un entretien téléphonique, « c'est différent mais peut être aussi riche qu'un entretien en présentiel, insiste-t-elle. On ne peut pas utiliser les mimiques, le regard ou la posture du patient mais on a ses silences, les intonations de sa voix et aussi les bruits autour de lui, même les aboiements d'un chien... Aussi, le téléphone facilite parfois la parole des gens. » Les débriefings cliniques hebdomadaires avec les psychiatres et les psychologues l'aident à progresser dans sa pratique et à se former sur le plan théorique.
Faire avancer la prévention
Le dispositif ayant trouvé sa vitesse de croisière, elle continue sa mission téléphonique mais intègre à mi-temps l'équipe de psychiatrie de liaison du CHU. Elle se rend à la demande des équipes des services au chevet de patients hospitalisés pour des motifs somatiques mais qui peuvent avoir besoin d'une aide psychiatrique.
Mais Vigilans a encore besoin d'elle à plein temps. Lorsque sa généralisation à toute la France est annoncée en 2018, les deux psychiatres proposent à Elise Cleva de rejoindre la mission nationale d'appui au déploiement du dispositif qu'ils pilotent. Elle en connaît tous les rouages par cœur... En plus des rappels téléphoniques, elle se consacre avec les médecins à la promotion des grands principes Vigilans en France, à la transmission de l'expérience lilloise et à la formation des nouveaux vigilanseurs.
Début 2021, l'équipe lilloise est nommée pour mettre en place le numéro national de prévention du suicide... Et Elise Cleva est de nouveau partie prenante. « J'ai dû arrêter ma mission téléphonique cette fois, regrette-t-elle, mais je devais transmettre mon expérience dans ce domaine et c'est pour cela que j'ai accepté. » Elle en est convaincue : « faire avancer la prévention du suicide, c'est génial. Elle est tellement accessible. Si on comprend les mécanismes qui amènent à la crise suicidaire, on peut intervenir ! »
Géraldine Langlois
https://www.actusoins.com/364446/elise-cleva-aux-avant-postes-de-la-prevention-du-suicide.html