Besançon Suicide : une équipe au domicile des patients pour prévenir les passages à l'acte
Depuis la crise sanitaire et les multiples confinements, il y a comme un aspect épidémique au suicide. Pour lutter contre ce fléau, des tentatives de prévention sont mises en place par le CHU de Besançon. Comme la création fin 2019 d'une équipe mobile de prévention au suicide, au chevet des personnes en détresse.
Par Mélissa LATRÈCHE - 12 juil. 2022 https://www.estrepublicain.fr/*
Agathe Laine, psychologue, Flora Boisson, psychiatre et Nadia Harbaoui, infirmière, de l’équipe mobile de prévention suicide. Photo ER /Franck HAKMOUN
Le suicide, ce dur désir de mourir. Aujourd’hui encore, la force du tabou conduit à interpréter un certain nombre d’entre eux comme des accidents. Pour les professionnels, il s’agit de comprendre l’impensable. Agir en amont, prévenir les passages à l’acte, mais aussi éviter les récidives. Pour garantir un accès plus égalitaire aux soins, le CHU de Besançon pilote depuis trois ans une équipe mobile de prévention du suicide (EMPS). Elle intervient au plus vite lorsqu’une personne en difficulté est repérée.
« Tout le monde ne peut pas se déplacer. Or c’est primordial de garantir la continuité des soins », atteste Nadia Harbaoui. Infirmière de l’équipe, elle sillonne les routes du Doubs, avec une psychologue et une psychiatre, sur demande des urgences psychiatriques ou sur prescription médicale. La consultation est quelque peu particulière. « C’est totalement différent de l’hôpital, qui peut être anxiogène pour certains. Là on n’a pas de blouse, ni de bureau quand on va chez les gens, ça peut les libérer. On créé un lien de confiance encore plus fort », lance Agathe Laine, la psychologue. Car une fois passée leur porte d’entrée, elles débarquent dans l’intimité la plus profonde des patients. Mettre des mots sur son mal-être n’est pas chose facile, alors être dans un environnement familier peut aider.
Le risque zéro n’existe pas
L‘attention et l’écoute d’autrui sont le premier degré de la prévention. « Faire verbaliser leurs émotions participe à décharger les tensions et désamorcer la crise suicidaire », assure Nadia Harbaoui.
« On travaille avec une population de patients suicidaires, donc fatalement on va être amené à ce risque de passage à l’acte », livre Agathe Laine. Car le risque zéro n’existe pas. « Ça reste des êtres humains, on n’aura jamais 100 % de réussite, mais on sait que notre dispositif permet de réduire considérablement les risques », reconnaît la psychologue.
Or la faiblesse du tissu social est un facteur majeur dans les problématiques suicidaires. Surtout quand le mal-être est profond. « Il y a déjà des patients qu’on a suivi et qui ont quand même fait des tentatives de suicide », regrette l’infirmière.
Une jeunesse en détresse
Le suicide est l’affaire de tous, il n’y a pas de profil type pour vouloir mettre fin à ses jours. En Franche-Comté, le nombre de passage aux urgences de patients désespérés est en moyenne de 400 par mois, selon Santé publique France.
Mais le climat anxiogène de la crise sanitaire a particulièrement affecté la santé mentale des jeunes adultes. L’équilibre de vie s’est dégradé, et les liens autrefois tissés semblent encore gelés pour certains. Cette détresse psychologique serait liée à la précarité sociale, la pauvreté vécue à cet âge et l‘isolement forcé.
« Les moins de 30 ans souffrent énormément. La demande des soins pour eux a explosé depuis deux ans », martèle Nadia Harbaoui. Parce que souffrance sociale et désespoir peuvent conduire à la mort. « Ils étaient en cours à distance, souvent dans des petits studios, sans voir personne », assure-t-elle. Une période difficile qui les a marqué.
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Elle s’intéresse au suicide pour sa thèse de médecine
M.L. L'Est Républicain Edition de Besançon Doubs, mercredi 13 juillet 2022
Après six ans de médecine et quatre ans de spécialisation en psychiatrie, Flora Boisson a été diplômée. Mais avant d’obtenir le précieux sésame, elle a dû faire sa thèse. La psychiatre de 30 ans s’est intéressée à l’équipe mobile de prévention suicide du CHU de Besançon. Une immersion de 6 mois où la théorie a laissé place à la pratique, dans cette filière « où l’on place l’humain avant tout ».
« On m’a souvent dit que ce métier c’est pour soigner les fous. Mais ça me tenait à cœur de choisir cette spécialité et ce sujet-là », raconte Flora Boisson. Fraîchement diplômée en psychiatre, la Bisontine a fait sa thèse sur l’équipe mobile de prévention suicide de Besançon. 105 pages où la jeune femme y décrit tout. Son expérience, son ressenti, ses motivations. « La problématique du suicide m’intriguait, et cette forme de soins encore plus, car c’est totalement différent de l’hôpital », explique-t-elle. Au cours de son stage d’interne de médecine, elle a pu être au chevet de l’équipe mobile, pour aussi affronter la dure réalité du terrain. « Cela n’a pas toujours été évident. J’ai aussi eu des moments d’incertitude avant d’arriver chez des patients. Mais cela m’a permis de mettre en pratique la théorie, de faire du concret », se souvient-elle.
« Avec la psychiatrie, je me sens utile »
Les années de médecine ne sont pas une partie de plaisir pour tout le monde, et Flora Boisson la première. Elle a souvent songé à décrocher. Car il faut étudier toutes les spécialités médicales avant de n’en choisir qu’une.
Mais dès la sixième année, elle a pu se spécialiser en psychiatrie. Une révélation pour elle.
« Être mal ce n’est pas être fou »
« Je ne voulais pas faire médecine, mais de l’humain. C’est un domaine d’écoute et ça fait partie de mon tempérament. Avec la psychiatrie je me sens utile. J’aide les personnes dans un moment important de leur vie », confie la docteure. Et surtout pour casser les stéréotypes, car la spécialité est souvent trop stigmatisée, selon elle « La psychologie souffre de préjugés, et peu encore choisissent cette filière. On soigne des personnes normales. Être mal ce n’est pas être fou », regrette-t-elle.
Soigner, être à l’écoute… Pour Flora Boisson, c’est avant tout de de la bienveillance, un univers où la Bisontine a baigné très tôt. Sa mère est éducatrice spécialisée, et son père psychologue. Une sensibilité qui n’a rien du hasard.
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Vidéo Franche-Comté : suicide, déceler le passage à l’acte
Quand une personne veut passer à l’acte, elle ne prévient pas. En Franche-Comté, le nombre de passage aux urgences de patients en grande détresse psychologique est en moyenne de 400 par mois, selon Santé publique France. Sébastien Hof, psychologue à Besançon, revient sur les signes inquiétants, et sur la manière de pouvoir se rendre utile.
Par Vidéo ER/Mélissa LATRECHE - 13 juil. 2022: https://www.estrepublicain.fr/societe/2022/07/13/franche-comte-suicide-deceler-le-passage-a-l-acte