Les décodeurs : Quelles sont les données qui montrent la dégradation de la santé psychique des Français ?
Etats anxieux et dépressifs, recours aux antidépresseurs, hospitalisations pour tentative de suicide… Différents indicateurs restent au rouge depuis le début de la pandémie.
Par Iris Derœux Publié 30/11/2021 https://www.lemonde.fr/
Les données s’empilent et se recoupent : la santé mentale des Françaises et des Français s’est détériorée avec la crise sanitaire. Un an et demi après le premier confinement, on ne constate pas de retour aux niveaux connus avant la pandémie.
Le dernier Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH), publié le 23 novembre par l’agence Santé publique France (SPF), est consacré aux états anxieux et dépressifs des actifs qui demeurent à des niveaux élevés tout au long de l’année 2020. Les auteurs de ce focus redoutent que la santé mentale fragilisée des Français devienne un « problème de santé publique ».
Mais comment mesurer la santé psychique des Français alors que les troubles sont de nature et d’intensité variables et que toute dégradation de celle-ci ne mène pas forcément à une consultation ou à la prescription de soins ou de médicaments ? De nombreuses études, sur des populations et avec des méthodes différentes, tentent d’éclairer l’ampleur de cet enjeu de santé publique. « Chaque méthode d’analyse ayant ses limites, il est important de compiler et croiser le maximum d’indicateurs », note Maria Melchior, épidémiologiste à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et spécialiste de la santé mentale. Nous en avons choisi cinq différents, dont les conclusions se rejoignent : la santé mentale des Français s’est dégradée depuis que le Covid-19 a bouleversé nos vies.
Les études de perception de la santé mentale en population générale
L’étude Coviprev initiée par l’agence sanitaire Santé publique France a précisément pour but de suivre l’évolution des comportements et de la santé mentale des Français pendant l’épidémie de Covid-19. Elle fonctionne par questionnaires autoadministrés envoyés de façon régulière depuis mars 2020 à des échantillons différents de 2 000 personnes de plus de 18 ans en France métropolitaine.
Si la taille de l’échantillon est moyenne, le niveau de détails permet aux personnes interrogées de décrire de manière assez fine leur état de santé, explique le Dr Melchior. « Il s’agit, par exemple, de répondre précisément à des questions sur la qualité du sommeil, de l’appétit, le niveau de motivation à effectuer des tâches quotidiennes. » Les chercheurs peuvent ensuite évaluer les troubles anxieux et dépressifs de certains répondants.
16 % des personnes interrogées montrent des signes d’un état dépressif
Les derniers résultats publiés, portant sur septembre et octobre 2021, sont dans la lignée des données déjà rassemblées les mois précédents : 16 % des personnes interrogées montrent des signes d’un état dépressif, ce qui correspond à un « niveau élevé », affirme SPF, supérieur de six points au niveau hors épidémie. Ils sont aussi 26 % à montrer des signes d’un état anxieux, un taux supérieur de douze points au niveau hors épidémie. Pendant la période observée, 70 % des répondants déclarent avoir rencontré des problèmes de sommeil au cours des huit derniers jours, soit 20 points de plus par rapport au niveau hors épidémie, et 10 % affirment avoir eu des pensées suicidaires au cours de l’année, ce qui représente également un niveau élevé.
voir graphique https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/11/29/quelles-sont-les-donnees-qui-montrent-la-degradation-de-la-sante-psychique-des-francais_6104060_4355770.html
Anxiété et dépression : des niveaux élevés depuis mars 2020
Source : Etude CoviPrev, Santé publique France
Les coups de projecteur sur des populations spécifiques
A partir de l’enquête Coviprev, des analyses spécifiques à certains groupes de population sont menées. Ainsi, le dernier BEH se concentre sur les personnes actives occupées (en activité, au chômage partiel ou en arrêt de travail) tout au long de l’année 2020. Celles-ci représentent entre 52 % et 55 % des échantillons Coviprev, autrement dit, entre 1 030 et 1 100 hommes et femmes de plus de 18 ans. Le but est d’affiner la photographie de la santé mentale des Français par sous-groupes, même si l’échantillon est, par conséquent, assez réduit.
Il y apparaît que les femmes sont plus touchées par l’anxiété tout au long de la période (ce qui recoupe d’autres analyses portant sur le creusement des inégalités de genre pendant la pandémie). La prévalence des états anxieux est aussi plus élevée chez les moins de 50 ans, les employés, les personnes ayant un diplôme inférieur au bac, vivant dans un logement exigu, percevant leur situation financière comme « juste » ou « difficile » ou ayant déjà eu un suivi pour des troubles psychologiques avant le premier confinement.
Des professions s’avèrent aussi plus affectées : les travailleurs des secteurs des activités financières, des arts et du spectacle et de l’enseignement sont plus touchés par les états anxieux que, par exemple, ceux des secteurs de la santé et de l’action sociale. Lire aussi Salaires, médias, santé… des avancées vers l’égalité hommes-femmes stoppées par la pandémie de Covid-19
Les études suivant le même groupe de personnes sur une longue durée
Contrairement aux enquêtes Coviprev, l’étude Epicov (Epidémiologie et conditions de vie liées au Covid-19), menée par l’Inserm et la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress) depuis le printemps 2020, conserve sur toute la durée le même échantillon de 135 000 personnes de plus de 15 ans. Les chercheurs en ont conclu qu’en mai 2020, à l’issue du premier confinement national, 13,5 % des personnes âgées de 15 ans ou plus vivant en France présentent un syndrome dépressif, soit presque une personne sur sept. La prévalence de syndromes dépressifs est en hausse de 2,5 points par rapport à 2019, établit l’étude. Elle est notamment plus forte chez les 15-24 ans et chez les femmes.
Puisque l’étude Epicov se poursuit sur la même cohorte de population, de nouvelles analyses seront publiées et permettront de suivre l’évolution de la santé mentale de ce très large échantillon en 2021 et en 2022. « La limite de cette étude de grande ampleur est que les 135 000 personnes contactées au début de l’enquête ne répondent pas à chaque sollicitation. On en perd en chemin, notamment les plus fragilisées, ce qui peut biaiser certains résultats. C’est le propre des études de cohorte où les personnes sont suivies dans le temps », note l’épidémiologiste Maria Melchior, elle-même membre de l’équipe de recherche d’Epicov.
La consommation d’antidépresseurs
Les derniers chiffres publiés au printemps 2021 par l’Assurance-maladie révèlent une forte hausse des prescriptions d’antidépresseurs, d’antipsychotiques, d’anxiolytiques et d’hypnotiques depuis le début de la pandémie, qui s’est même accentuée en 2021. « Depuis le début du premier confinement, entre mars 2020 et avril 2021, on observe une augmentation de 1,9 million de délivrances d’antidépresseurs, 440 000 délivrances d’antipsychotiques, 3,4 millions de délivrances d’anxiolytiques et 1,4 million de délivrances d’hypnotiques par rapport à l’attendu, détaillait l’organisme en mai. La délivrance de médicaments de la dépendance à l’alcool a été globalement stable en 2020, mais en hausse marquée depuis le début de l’année 2021 (une augmentation de 18 300 délivrances entre janvier et avril 2021). »
Une surconsommation d'antidépresseurs entre mars 2020 et avril 2021
Hausse de la consommation de médicaments sur ordonnance vendus en pharmacie contre les troubles anxieux et dépressifs depuis le début de la pandémie par rapport aux volumes attendus.
Voir graphique https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/11/29/quelles-sont-les-donnees-qui-montrent-la-degradation-de-la-sante-psychique-des-francais_6104060_4355770.html
Source : Epi-Phare et Cnam
Les données hospitalières
Dans les services d’urgences, les effets indirects de la pandémie de Covid-19 se sont traduits par une hausse des passages pour gestes et idées suicidaires chez les adolescents. Le dernier point mensuel sur la santé mentale publié par SPF, qui se fonde notamment sur les chiffres de passages aux urgences (recensés par le réseau Oscour), en atteste une fois encore en novembre 2021.
Le dernier bulletin fait état d’une « hausse des passages pour geste suicidaire, idées suicidaires et troubles de l’humeur chez les 11-17 ans et, dans une moindre mesure, chez les 18-24 ans », qui n’est pas inhabituelle à la rentrée scolaire, mais il est précisé que « les niveaux observés, en particulier chez les 11-17 ans, sont toutefois nettement supérieurs à ceux des années précédentes ».
Selon le réseau SOS-Médecins, « on observe une hausse des actes pour angoisse dans toutes les classes d’âge, avec des niveaux légèrement supérieurs à ceux des années précédentes chez les 11-14 ans et les 18-24 ans ».
Ces chiffres corroborent d’autres données préoccupantes sur la santé mentale des jeunes. Des chercheurs de l’université de Bordeaux ont ainsi commencé à étudier spécifiquement la prévalence de la dépression chez les étudiants depuis le printemps 2020 : leurs premiers résultats montrent que les symptômes dépressifs et de stress élevé y sont plus élevés qu’au sein de la population générale.
Face à ce sombre tableau, les autorités sanitaires insistent sur la nécessité de s’informer et d’en parler autour de soi en cas de signes de dépression (tristesse, perte d’intérêts, d’énergie) ou d’anxiété (tension, irritabilité).
Où trouver de l’écoute et de l’aide ?
Le 31-14, numéro national de prévention du suicide : numéro gratuit, garantissant une écoute « professionnelle et confidentielle » vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, par des infirmiers et des psychologues formés comme répondants. Il est destiné aux personnes souffrant d’idées suicidaires, mais aussi à leurs proches et aux personnes endeuillées par un suicide.
Fil Santé Jeunes : écoute, information et orientation des jeunes dans les domaines de la santé physique, psychologique et sociale. Anonyme et gratuit sept jours sur sept, de 9h à 23h tous les jours. Joignable également par tchat de 9h à 22h. Tél. : 0800-235-236. Filsantejeunes.com
Suicide Ecoute : écoute des personnes confrontées au suicide. Permanence d’écoute téléphonique vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Tél. : 01-45-39-40-00. Suicide-ecoute.fr.
Nightline France : service d’écoute par et pour les étudiant(e)s, nocturne et gratuit. Tél. : 01-88-32-12-32 et service de tchat. Nightline.fr
Soutien étudiant info : recensement par l’association Nightline de tous les soutiens psychologiques gratuits disponibles dans les 30 académies de France. Soutien-etudiant.info
En cas de risque suicidaire avéré se rapprocher des services d’urgence : appeler le SAMU 15 ou le 112 (numéro européen).
Iris Derœux
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