Prévention du suicide dans la police : les «collègues» en première ligne
Le Figaro (site web)
jeudi 4 novembre 2021
TÉMOIGNAGES - Trois fonctionnaires de police se sont donné la mort en l'espace d'une semaine. Face aux réticences à se confier à la hiérarchie et aux services d'accompagnement psychologique, leurs collègues gèrent comme ils peuvent.
En l'espace de 96 heures, trois policiers ont mis fin à leurs jours. Dimanche 31 octobre, Jérôme D. un fonctionnaire affecté à la Police aux frontières mettait fin à ses jours avec son arme de service. Trois jours plus tôt, à Reims, un autre policier de 48 ans se suicidait. La veille, c'était un fonctionnaire de 49 ans affecté au commissariat de Bayonne qui mettait fin à ses jours.
Malgré les plans d'action, les mesures et les numéros verts, la triste litanie des suicides dans la police semble s'allonger inexorablement. Jérôme D. est le 28e d'entre eux depuis le début de l'année, et une étude de juin 2021 indiquait que 24% des policiers confessaient des pensées suicidaires. « Beaucoup de choses ont été mises en place ces dernières années, nous, la hiérarchie, on essaie d'être attentifs, mais le plus efficace, et de loin, c'est le contrôle par les pairs », explique au Figaro un commissaire d'une ville moyenne de région. Dans l'ombre des commissariats et dans l'intimité des véhicules de police se joue la première des préventions.
Confraternité
Antoine* est gardien de la paix dans le nord de Paris, le mal-être des policiers, il le côtoie auprès de ses collègues et en parle volontiers. Pour ce jeune homme, entré dans la police voilà une petite dizaine d'années, le suicide n'est pas une réalité abstraite. « Il y a eu des cas dans ma promo, au commissariat, dit-il. On sait que ça peut arriver dans n'importe quelle équipe ».
Antoine travaille en effectif réduit, ils sont dix dans son équipe, des collègues devenus des amis. « On parle beaucoup. Être coincé des heures durant dans une voiture, ça aide, raconte-t-il. Chez nous on se parle des problèmes, on sait qu'on fait tous un peu les bonshommes, mais quand il y a un problème, on en parle ».
Un avis partagé par plusieurs policiers interrogés par Le Figaro , même si, tous reconnaissent une réticence à poser des jours de congé maladie, par peur que leurs fragilités soient connues de tous. Dans un métier exposé, parfois dangereux, un collègue fragile est un collègue potentiellement défaillant. « On dit “cassos” dans les équipes, explique Mehdi*, gardien de la paix lui aussi. Personne ne veut intervenir avec un “cassos”, alors on rechigne à poser des arrêts maladies ».
Olivier* n'a ainsi jamais rien laissé transparaître de sa dépression jusqu'à ce qu'il fasse une tentative de suicide. « Je ne suis pas allé au bout ; ce qui m'a rattrapé, ce sont mes enfants, glisse-t-il. Là je me suis réveillé, et j'ai commencé à en parler. J'ai été arrêté évidemment, et j'ai suivi une thérapie ». Mehdi se souvient d'un collègue qui a mis fin à ses jours il y a quelques années, sans que personne en ait jamais perçu le moindre signe avant coureur. « Il était taquin, toujours de bonne humeur. Un soir, il a raccroché son uniforme, lâché quelques blagues habituelles et lancé “à demain” à l'équipe en partant. Il s'est suicidé avec son arme de service dans sa voiture, en face du commissariat ».
Depuis quelques années, plusieurs associations travaillent sur la prévention du suicide policier en s'appuyant sur la confraternité, à l’instar d'Assopol, SOS Policiers en Détresse (PEPS-SOS), et Alerte police en souffrance (APS). « On sait que les policiers ont du mal à décrocher leur téléphone pour appeler les lignes d'écoute, ou à toquer à la porte de leur hiérarchie, explique Cyril Cros, président d'Assopol. Ce qu'on propose c'est une oreille de policier, qui a probablement déjà vécu des situations similaires. On discute entre collègues et on essaie de les orienter vers des professionnels ».
La difficile question du désarmement
Cette réticence à confier ses problèmes à l'institution provient en grande partie de la crainte du désarmement, particulièrement mal vécue parmi les effectifs. « C'est à la fois symbolique et très concret, explique Antoine . Ce qui différencie le flic des autres citoyens ou même du personnel administratif dans les commissariats, c'est son arme. Ça fait partie de son identité. Mais c'est aussi très concret, car sans son arme, le policier peut plus faire d'intervention. Donc il reste au commissariat, le plus souvent à faire des tâches pénibles, comme surveiller les gardés à vue ».
Pour la hiérarchie, la décision n'est pas facile à prendre. « On sait bien que c'est très mal vécu, raconte le commissaire L. Mais du point de vue du commissaire, désarmer permet de se couvrir. Quand un policier se suicide avec son arme de service, la première question qu'on vous pose c'est : “comment ça se fait qu'il ait été encore armé?” ». Le fonctionnaire nuance toutefois et précise qu'il existe des régimes intermédiaires: le policier est armé la journée et peut ainsi participer aux opérations, mais une fois la journée terminée, l'arme reste au râtelier. « Un de mes gars suit ce régime depuis des années. Un bon flic, mais on sait qu'il a des tendances dépressives et qu'il est porté sur la bouteille. Il est suivi par des médecins et un psy, ce compromis fonctionne bien, le désarmer purement et simplement l'aura encore plus enfoncé ».
Pour contourner cette réticence à faire part de ses difficultés personnelles à sa hiérarchie, la police s'appuie sur les collègues directs des personnes potentiellement fragiles. Techniquement, tout fonctionnaire de police est en capacité de désarmer un collègue s'il pressent un danger. Ce n'est que dans un second temps, une fois l'arme confisquée, qu'une suspension du port d'arme est alors décidée par le commissaire. Une inversion de la procédure peu commune dans l'univers de la police, mais qui permet une intervention rapide de la part des collègues.
Cette procédure est déjà arrivée à Paul*, gardien de la paix dans un commissariat d'une grande ville de province. « C'était en fin de journée, je suis entré dans le vestiaire, et je suis tombé sur un collègue, il était en larme. On savait qu'il allait mal, il était en instance de divorce », raconte-t-il. « On a commencé à discuter, je lui ai proposé de passer par le râtelier pour poser son arme, et ensuite d'aller en parler avec la hiérarchie ». Le collègue est finalement arrêté pour quelques semaines et un suivi psychologique est décidé. « Je ne lui ai pas “confisqué” son arme à proprement parler, ça aurait été humiliant, on est juste allé la poser ensemble », précise Paul.