"Pas d’autonomie sans réciprocité
"Monsieur O. est « placé » en EHPAD depuis quelques mois. Il a
dépassé 70 ans et est traité pour schizophrénie depuis des dizaines
d’années. Il vivait auparavant « en autonomie », aidé dans sa vie
quotidienne par sa famille. Une petite vie tranquille, avec les copains
et le PMU. Quelques crises de temps en temps, bien régulées par la
famille. Mais il semble que la sœur vieillissante ne trouve plus les
ressources nécessaires pour s’occuper de lui. Et c’est la crise de trop.
Monsieur O. est hospitalisé en psychiatrie à la demande de la sœur, et
via le CMP[1]
qui le « suit ». L’enjeu est de « trouver une solution ». Et c’est
ainsi qu’il se retrouve en institution de personnes âgées. Tout se passe
« bien » les premiers mois. Au moment d’une fête familiale, il part
passer quelques jours dans sa famille. Et au retour, il se renferme,
refuse de manger, de se laver. Auparavant, Monsieur O. était très
compliant, calme, relativement communicatif, venant rigoureusement à
l’heure aux repas, allant fumer sa cigarette dans le jardin. Bien qu’il
préfère y être seul et s’arrange pour sortir quand il n’y a personne
d’autre. Deux mois plus tard, il est de nouveau convié dans sa famille.
Le psychiatre est consulté pour donner sa « permission », que d’ailleurs
ni lui ni personne n’a à donner, mais 50 ans de carrière psychiatrique
de Monsieur O. et de sa famille sont passés par là. Lors de ce 2e
séjour, catastrophe, il fait une tentative de suicide, est hospitalisé
en urgence, et ramené rapidement dans l’institution. Sa sœur nous dira
pourtant qu’il était content et allait bien.
Dans cette institution chacun y va de son interprétation. Une
infirmière de l’Ehpad pense que si Monsieur O. va mal, c’est que le
traitement a été changé (suppression d’un des deux antidépresseurs,
augmentation du neuroleptique). Comment faire comprendre que le
changement de traitement est la conséquence et non la cause de la
dégradation de la santé mentale de Monsieur O. pense le psychiatre ?
L’infirmière du CMP pense pour sa part que cette dégradation liée au
désir de Monsieur O. de rentrer chez lui relève de sa pathologie, qu’il
s’agit d’un « délire structuré » de réinterprétation du monde car il se
comporte comme si le monde était hostile en dehors d’un oncle, depuis
longtemps décédé, mais qui, lui, l’accueillerait. De son côté le médecin
traitant lui demande directement ce qui ne va pas ; ce qui ne va pas,
c’est sa vie dans la maison de retraite. On lui avait dit que c’était
une maison de repos, et qu’il rentrerait chez lui au bout de 6 mois,
dès qu’il irait mieux. Durée qui correspond au moment de la tentative de
suicide. A quoi bon continuer de vivre dans ces conditions,
affirme-t-il.
Qu’en est-il de la « réalité » de cet homme ? Entre maladie,
traitement, vie sociale, chacun recompose son propre récit de la
situation, sous-tendu par son expertise professionnelle... Lire la suite* http://lagelavie.blog.lemonde.fr/2016/01/11/pas-dautonomie-sans-reciprocite/