Inde : l’inclusion bancaire pour tenter de prévenir le suicide des petits paysans
source http://www.novethic.fr/empreinte-terre/agriculture/isr-rse/inde-l-inclusion-bancaire-pour-tenter-de-prevenir-le-suicide-des-petits-paysans-143241.html du 29/04/2015
Alors que le nombre de suicides d’agriculteurs a
augmenté en Inde ces derniers mois, le Premier ministre Narendra Modi a
appelé les banques à leur venir en aide. Un meilleur accès au crédit
devrait les empêcher de contracter des dettes auprès de prêteurs
informels qu’ils ne parviennent pas à rembourser. Explications.
"La détresse des agriculteurs devrait secouer la conscience des banques". Devant les hauts responsables réunis à l’occasion de l’anniversaire des 80 ans de la banque centrale indienne, le Premier ministre Narendra Modi a appelé avec force les institutions bancaires à venir au secours des paysans indiens. Ces derniers mois, la valse macabre des suicides d’agriculteurs s’est accélérée, notamment en raison de pluies imprévues destructrices pour les récoltes. Au total, plus de 300 000 agriculteurs se seraient suicidés en Inde depuis quinze ans.
Pour Narendra Modi, les banques doivent donc accorder plus de prêts aux agriculteurs. Il s’agit de leur éviter d’emprunter à des usuriers locaux à des taux d’intérêt exorbitants, qui les laissent étranglés par les dettes. L’ancien ministre en chef du Gujarat n’est pas le premier à insister sur l’inclusion financière des paysans. Cette année, le budget 2015 fixe un nouvel objectif : les prêts aux agriculteurs devront représenter 14,2% du total des emprunts bancaires. Une somme globale de 126 milliards d’euros.
Des prêts subventionnés par l’État…
Les agriculteurs peuvent depuis plusieurs années prétendre à des modalités préférentielles d’emprunt. Ainsi, s’ils remboursent leur prêt en temps et en heure, le taux d’intérêt passe de 7 à 4%, les 3% restants étant subventionnés par l’État. "Sur le papier, le dispositif semble très attractif", commente Devinder Sharma, ingénieur agronome, ancien journaliste scientifique et analyste spécialiste de l’agro-alimentaire. "Mais il faut savoir que 94% de ces prêts vont à l’industrie agro-alimentaire, et non pas aux petits paysans, qui en auraient le plus besoin", poursuit-il, citant une note du ministère des Finances.
Car pour emprunter, encore faut-il disposer d’un compte en banque. Or, selon la banque centrale indienne, 73% des paysans n’ont toujours pas accès à des sources formelles de crédit. Chaque année, de nouvelles banques reçoivent pourtant leur licence d’exploitation afin d'ouvrir des agences à la campagne. Dernière née de ce mouvement, la banque Mudra, inaugurée le 8 avril et dédiée aux très petites entreprises et aux organismes de micro-finance, doit permettre de "financer les non-financés", selon le ministre des Finances Arun Jaitley.
… Mais des taux d’intérêt à 0,1% pour les industriels
Pour Devinder Sharma, les conditions de crédit actuelles restent, quoi qu’il en soit, en deçà des besoins d’une population aussi fragile que les paysans. "Les taux d’intérêt pour les agriculteurs s’élèvent au mieux à 4%, alors que l’industriel Tata Motors a bénéficié d’un prêt à 0,1% pour ouvrir son usine de production de la Tata Nano [l’automobile low-cost, NDLR] au Gujarat en 2010", s’indigne-t-il. "Les institutions de micro-finance, elles, avec leur système de remboursement hebdomadaire, prêtent à des taux d’environ 24%. Comment voulez-vous sortir de la pauvreté dans ces conditions ?"
Déjà victimes d’une crise du crédit, les agriculteurs indiens restent indubitablement victimes d’une crise du revenu, encore plus aiguë. Exploitations trop petites, productivité faible, vulnérabilité aux aléas climatiques...autant de difficultés qui les condamnent à la misère et que des crédits supplémentaires ne suffiront vraisemblablement pas à endiguer. D’après l’enquête nationale sur l’agriculture parue en décembre 2014, un foyer d’agriculteurs indiens gagne environ 90 euros par mois (revenu agricole et autres pour l'ensemble du ménage). C'est beaucoup moins que la moyenne des ménages indiens: 189 €/mois environ, selon la dernière étude nationale sur le revenu des ménages (2013 publiée en 2014).