Les personnes âgées frappées de plein fouet par la solitude
Par Caroline Piquet, Service infographie du Figaro Publié le 07/07/2014 à 12:35sur
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/07/07/01016-20140707ARTFIG00145-les-personnes-agees-frappees-de-plein-fouet-par-la-solitude.php
INFOGRAPHIE - La solitude touche désormais 5 millions de
personnes, un phénomène qui s'est surtout aggravé chez les plus âgées, d'après
une enquête de la Fondation de France.
Sur ces quatre dernières années, l'isolement des Français s'est installé et
accentué: ils sont désormais 5 millions à se sentir seuls, c'est 1 million de
plus qu'en 2010. Au total, 1 Français sur 8 n'a pas de relations sociales au
sein des cinq réseaux de sociabilité (familial, professionnel, amical,
affinitaire ou de voisinage). Plus inquiétant, une personne sur trois risque
l'exclusion sociale dans les années à venir, alerte la Fondation de France qui
publie lundi son
étude annuelle* sur la question.Mais ce qui inquiète le plus l'organisme de mécénat qui soutient des initiatives en direction des Français isolés, c'est l'explosion de la solitude chez les plus de 75 ans. 27% des personnes âgées sont seules (contre 16 % en 2010). Première causes de l'isolement: le décès du conjoint, la perte d'autonomie, l'éloignement des enfants. Mais comment expliquer cette progression récente? «Les réseaux de soins étant plus efficaces, de plus en plus de gens vieillissent et sont proportionnellement de plus en plus seuls», explique Vincent Lapierre, psychologue et responsable du pôle de psycho-gérontologie au centre de Popincourt à Paris.
Le boomerang de la libération des moeurs
Outre le facteur démographique, «les vieux d'aujourd'hui ne sont pas les vieux d'hier», poursuit le psychologue. Nés avant le début des années 1940, ils ont connu les trentes glorieuses, l'après 1968 et la libération des mœurs. «C'était une époque où l'on pouvait se séparer plus facilement, avorter, avoir une mobilité professionnelle et de logement, ce qui a profondément modifié la cellule familiale. Maintenant, ces plus de 75 ans souffrent de mutations sociales positives à l'époque mais qui ne les aident pas aujourd'hui à vieillir en conservant et en créant des liens».Résultats, toutes leurs relations sociales se dégradent. Ils sont 50% à ne pas voir leurs amis et 52 à ne pas avoir de relations avec leurs voisins. Cette perte de contact s'explique dans ce que Vincent Lapierre appelle «l'isolement choisi». «On préfère être isolé plutôt que d'être vu comme tel, explique le psychologue au Figaro. Par exemple, je ne veux pas être vu en fauteuil roulant donc je préfère rester seul chez moi».
Le poids d'une «société ogresque»
Plus surprenant, le lien intergénérationnel s'effrite. Ils sont 41% a avoir peu ou pas de contacts avec leurs propres enfants, contre 38% en 2010. Génération d'ingrats? Pas pour Vincent Lapierre qui attribue davantage ce délitement des relations familiales au fait que nous vivons dans une société «ogresque» . «Tout va vite, les enfants vivent dans une société où il faut toujours être plus performant afin de garder son travail. «Pour eux, les parents sont largués et ne comprennent pas ce qu'ils vivent». Ce décalage les pousse à délaisser la famille, au profit de la sphère professionnelle et amicale, plus valorisante à leurs yeux.Ces chiffres, tous en progression, ne sont pas sans inquiéter les professionnels de santé. De la négligence jusqu'au laisser mourir, la solitude a de sérieuses répercussions sur la santé. «Le sentiment d'isolement a un lien avec le passage à l'acte», rappelle Vincent Lapierre, redoutant une progression du nombre de suicides.
Voir sur le figaro l'infographie http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/07/07/01016-20140707ARTFIG00145-les-personnes-agees-frappees-de-plein-fouet-par-la-solitude.php*L'enquête a été réalisée par l'institut d'études TMO régions pour l'Observatoire de la Fondation de France par téléphone en janvier, auprès de 4.007 personnes âgées de 18 ans et plus.
***
Le rapport de la fondation de France Les Solitudes en France Juillet 2014 Une étude réalisée par TMO Politique Publique pour la Fondation de Francevoir http://www.fondationdefrance.org/Nos-Actions/Aider-les-personnes-vulnerables/En-France/La-Fondation-de-France-agit-contre-les-solitudes
Autre Article sur le meme sujet
La solitude progresse : les jeunes peuvent se sentir seuls... même quand ils sont entourés
LE PLUS. Un Français sur huit est seul. C'est ce que révèle une enquête de la Fondation de France. Si
les plus de 75 ans sont les plus touchés, les jeunes ne sont pas
épargnés. Que disent ces personnes ? Comment les aider ? Explications de
Michelle (nom d'emprunt), bénévole à SOS Amitiés depuis sept ans.
Édité et parrainé par Hélène Decommer
En 2014, la solitude touche 5 millions de personnes, selon une enquête de la Fondation de France (Gary Burchill/SIPA)
Chez SOS Amitié, où je suis bénévole, la solitude est le deuxième sujet le plus évoqué par les gens qui nous appellent. Près de 36% en parlent. C'est un chiffre qui a beaucoup augmenté ces dernières années.
Surtout les personnes âgées... et les jeunes
Quelles sont les personnes concernées ? En premier lieu, beaucoup de personnes âgées. Et notamment celles qui sont sous curatelle, sous tutelle, ou qui ont des difficultés psychologiques. Ce sont des pathologies lourdes et fatigantes, qui engendrent parfois une prise de distance de la famille et des proches.
Mais on reçoit aussi bon nombre d'appels de jeunes, ce qui peut paraître moins attendu. Alors qu'ils communiquent beaucoup virtuellement – tchat, réseaux sociaux –, on s'aperçoit qu'ils n'ont parfois que peu de relations réelles. Il n'y a pas toujours de relations directes à l'autre.
Chez SOS Amitié, on peut nous joindre par téléphone, par mail ou par tchat. Or sur ce dernier média, principalement utilisé par les jeunes, 20% évoquent un sentiment de solitude.
La précarité peut conduire à l'isolement
Enfin, les personnes en situation de précarité nous font aussi part de leur solitude. C'est un phénomène qui est devenu plus prégnant ces dernières années.
Le chômage engendre des difficultés financières, qui engendrent elles-mêmes des difficultés au sein du couple ou de la famille, qui amènent une prise de distance vis-à-vis des amis, etc. C'est un cercle vicieux.
On ressent chez les personnes précaires qui nous appellent une sorte de honte de leur situation. Elles ne sont pas à l'aise en société, elles ne se sentent pas "dans le coup". Elles n'ont pas confiance en elles pour aller vers les autres. Cela peut entraîner une forme de marginalisation.
Solitude ou sentiment de solitude ?
"Je me sens seul", "je n'ai personne à qui parler"… Tels sont les mots de ces 36% de personnes qui nous appellent.
La plupart sont réellement en situation d'isolement familial et social. Elles sont en grande souffrance. Dans les grandes villes, le sentiment de solitude devient terrible, car on voit beaucoup de gens, mais sans avoir de communications directes. On ne se connaît pas entre voisins, on ne participe pas aux difficultés des autres. C'est la société de l'évitement.
Mais j'ai aussi relevé un autre état de solitude, qui me semble avoir pris de l'ampleur ces derniers temps, surtout chez les jeunes. C'est le sentiment d'être seul dès lors que l'on n'est plus entouré, même s'il ne s'agit que de quelques heures ou quelques minutes. Or la vraie solitude, ce n'est pas ça ! Certaines personnes ne supportent plus d'être seules, elles voudraient constamment être en duo ou en groupe.
Le lien inquiétant entre solitude et pensées suicidaires
Reste un phénomène inquiétant : la simultanéité des thèmes "solitude" et "pensées suicidaires" chez un certain nombre d'appelants. Ces pensées morbides ne signifient pas que l'on va passer à l'acte, mais on peut penser que la solitude est une cause qui peut mener au suicide.
Parmi les personnes qui disent penser au suicide, une partie (13% en 2012) évoque la cruauté de leur solitude. Si cette dernière devient durable et vraiment profonde, alors il y a de quoi s'inquiéter.
Etre écouté, c'est déjà beaucoup
Chez SOS Amitiés, nous ne sommes pas là pour donner des conseils "clé en main". Nous sommes dans l'écoute, et c'est déjà une grosse partie du travail. Pour la personne qui appelle, se sentir écoutée et entendue, ça fait du bien. Surtout que les personnes qui se sentent seules ont souvent honte de le dire.
Après, selon les cas, il arrive que l'on pose des questions pour amorcer une piste de solution. Par exemple : "Avez-vous envisagé de voir auprès de votre mairie si elle proposait des structures sociales ou des lieux de rencontre ?" Si la personne répond "Ça ne m'intéresse pas", alors nous n'insistons pas.
Propos recueillis par Hélène Decommer.
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Solitude : « La solidarité, ça ne s'enseigne pas »
Le Monde.fr |
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Propos recueillis par François Béguin
Près d'une personne âgée sur quatre est seule, révèle, lundi 7 juillet, une enquête (PDF) de la Fondation de France. Philippe Pitaud, docteur en sociologie de la santé, directeur de l'institut de gérontologie sociale de Marseille et directeur de l'ouvrage Solitude et isolement des personnes âgées (Eres, 2010), commente ce phénomène.
Lire aussi : La solitude progresse en France
Cette forte augmentation du nombre de personnes âgées isolées (27 % en 2014 contre 16 % en 2010) vous surprend-elle ? Philippe Pitaud : Le phénomène est ancien. Mais la société française n'en a réellement pris conscience qu'en 2003, lors de l'épisode de la canicule. Une situation jusqu'alors latente est arrivée à la conscience d'une nation. Aujourd'hui encore, les responsables politiques en restent comme tétanisés.
Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Les gens sont reliés à des tas de réseaux sociaux avec leurs écrans et leurs téléphones mais sont de plus en plus isolés. Nous sommes dans une société individualiste, très productrice de souffrance. Car la solitude, ce n'est pas simplement le fait d'être isolé, c'est d'abord avoir le sentiment de ne compter pour personne. Et ce, quel que soit l'âge.
Les écrans et les tablettes n'expliquent pourtant pas à eux seuls cette solitude croissante des personnes âgées...
Les personnes âgées sont victimes d'une société qui va beaucoup plus vite qu'autrefois. Si, dans la société pseudo-communicante dans laquelle nous nous trouvons, les jeunes peuvent se trouver en situation d'isolement et de souffrance, alors les personnes âgées, elles, vont se retrouver déconnectées... Dans un monde où les gens bougent davantage, le lien social se délite d'autant plus.
L'étude de la Fondation de France témoigne aussi de « l'affaiblissement des grands réseaux de proximité ». Quatre Français sur dix n'ont pas de contact avec leur famille au-delà de quelques rencontres annuelles (39 % en 2014 contre 33 % en 2010). Comment l'expliquez-vous ?
Les jeunes partent de l'endroit où ils ont grandi pour chercher du travail, laissant leurs parents. D'ailleurs, on peut constater que les familles les plus pauvres restent davantage solidaires car les jeunes partent moins.
A Marseille, par exemple, les gens isolés ne se trouvent pas parmi les plus pauvres, mais parmi ceux qui habitent les quartiers « favorisés », où les enfants sont partis. A Marseille, une des villes les plus pauvres de France, il y a encore des solidarités de base très fortes.
Comment les politiques peuvent-ils répondre à cette hausse croissante des solitudes ?
La solidarité immédiate, ça ne s'enseigne pas. On fait la Fête des voisins une fois par an, mais la Fête des voisins, ça devrait être toute l'année. La solidarité n'est pas quelque chose qu'on peut imposer d'au-dessus, ça vient du sentiment d'appartenance à un groupe social et de citoyenneté.