Martin Manley crée un site web
d'adieu pour son suicide
Il voulait écrire «la lettre d'adieu la plus détaillée
de l'histoire», mais son dernier vœu, qu'on se souvienne de sa vie plutôt que
de son suicide, ne risque pas d'être exaucé.
Par Will
Oremus | publié le 17/08/2013 à 12h42, mis à jour le 17/08/2013 à
17h58
http://www.slate.fr/life/76552/lettre-adieu-suicide-detaillee-site-web-martin-manley
http://www.slate.fr/life/76552/lettre-adieu-suicide-detaillee-site-web-martin-manley
Capture
d'écran du site de Martin Manley
Martin
Manley, un ancien journaliste sportif et statisticien pour le Kansas City Star,
s'est suicidé à 60 ans, et a laissé derrière lui un site web
méticuleusement minutieux, expliquant virtuellement chaque aspect de
sa décision.
Cette
affaire est notable pas tant parce que Martin Manley était une personnalité
semi-publique –même s'il a été crédité pour avoir popularisé le système d'évaluation des joueurs de basket de la NBA– mais
parce qu'il a utilisé la technologie pour exploser de façon intentionnelle le
mur de vie privée qui entoure généralement les suicides.
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Chaque jour,
plus de 100 personnes meurent d'un suicide aux Etats-Unis en moyenne [plus de 28 personnes en France NDT], et une
partie importante d'entre elles laisse des lettres à leurs amis et leur
famille.
Certaines
lettres sont vindicatives, d'autres désolées, d'autres encore sont
incroyablement cryptiques. Quoi qu'il en soit, la plupart est lue seulement par
un cercle restreint de forces de l'ordre et des êtres aimés.
Pour Martin
Manley, confronter ses amis et sa famille à sa mort n'a pas suffi. Il voulait y
confronter le grand public. Il voulait désespérément justifier sa propre vie et
mort –auprès du reste de la planète, mais peut-être par dessus tout auprès de
lui-même.
Et donc,
d'après son site web, Martin Manley a prépayé Yahoo pour cinq années
d'hébergement, a construit un site de suicide tentaculaire, et a mis en ligne
un dernier billet sur son blog sportif ce jeudi 15 août avec un lien vers le
site. Puis, d'après le Kansas City Star, il s'est tué devant un commissariat de la ville d'Overland
Park. C'était le jour de son soixantième anniversaire.
Sur son
site, qui a vite circulé sur les réseaux sociaux, Martin Manley a écrit qu'il
voulait créer «l'exemple le plus détaillé de l'histoire d'une lettre
d'adieu». Il a écrit:
«Après votre
mort, on peut se souvenir de vous au travers d'une nécrologie de quelques
lignes dans un journal, quand vous êtes trop vieux pour importer à quiconque de
toute façon... OU ALORS on peut se souvenir de vous pendant des années grâce à
un site comme celui-ci. C'était mon alternative, et j'ai choisi ce qui me
paraissait évident.»
Ensuite, il
a expliqué les raisons de son suicide, cherchant –du moins au début– à le
dessiner comme la décision hautement rationnelle d'un homme qui a vécu sa vie «contenté
jusqu'à la dernière minute» et souhaitait simplement quitter la planète
comme il le voulait:
«Les raisons
principales pour lesquelles les adultes se suicident –la santé, les problèmes
judiciaires, financiers, la perte d'êtres aimés, la solitude ou la
dépression... aucune de ces raisons ne sont pertinentes dans mon cas et, pour
la plus grande partie de ma vie, elles ne l'ont jamais été.»
Sa raison
principale pour se tuer: il était terrifié par la vieillesse.
N'idéalisez pas sa décision
Dans des
dizaines d'essais sur son site, Martin Manley a réfléchi sur tout depuis la
religion au contrôle des armes à feu en passant par ses histoires d'amour et
son affection pour les fedoras. Certaines de ses pensées sont profondes,
d'autres prosaïques. Je ne les ai pas toutes lues. Ça prendrait des heures.
Mais j'en ai assez lu pour voir qu'il était plus seul et moins sûr de sa
décision qu'il ne voulait le faire croire.
Ses parents
sont morts, il n'avait pas d'enfants et il ne voulait pas «mourir seul».
Un passage étrange où il a posté ce qui ressemble aux coordonnées GPS d'un tas
de pièces en argent et en or –déclenchant une chasse au trésor macabre et finalement infructueuse
ce jeudi– renforce l'impression qu'il était un homme qui cherchait à être
important. Beaucoup des photos sur son site web semblent être des «selfies».
Personne ne
devrait avoir une vision romantique de la décision de Manley de se tuer. Un
homme clairement intelligent et réfléchi est mort, ceux qui le connaissaient
sont probablement affligés par la douleur, et le fait qu'il a publié un site
web rationnalisant sa décision ne va rien y changer.
D'un document privé à un évènement public
Mais son
auto-mémorial élaboré dessine un spectre dérangeant dans cette ère des réseaux
sociaux: la transformation de la lettre de suicide d'un document privé en
sensation publique. Sans Twitter, Facebook, et un Web rempli de blogs qui
cherchent la page vue, les écrits de Martin Manley auraient bien pu restés dans
l'obscurité.
Son désir de
dire tout ce qu'il voulait dire au monde avant de mourir est compréhensible.
Mais il semble clair que sa capacité à le faire –la chance de partir en faisant
sensation et en se rendant célèbre– a facilité sa décision de se tuer. Le
risque est que cette capacité ait le même effet pour d'autres, y compris de
nombreuses personnes qui ne sont pas aussi saines d'esprit que Manley
prétendait l'être.
Nonobstant
Manley, le suicide est rarement un acte rationnel. Dans un article de 2003 sur
les gens qui se suicident en sautant du pont du Golden Gate, à San Francisco,
le New Yorker a parlé à plusieurs personnes qui ont survécu et leur a trouvé un
point commun déchirant: les sauteurs avaient tendance à regretter leur décision en
plein vol.
Il n'aura pas son dernier voeu
Un des
objectifs de Martin Manley en publiant un site web de suicide était d'assurer à
tout le monde qu'il ne regrettait pas sa décision. On ne saura jamais si cela a
changé au moment où il a appuyé sur la détente.
Mais on peut
supposer qu'un de ses derniers voeux ne sera pas respecté:
«Ce que
j'espère à long terme, c'est qu'on se souviendra de ma vie et que le suicide ne
sera qu'une asterisque, une note de bas de page.»
Malheureusement,
l'inverse est beaucoup plus probable.
Will Oremus
Traduit par
Cécile Dehesdin