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On sait que la solidarité entre policiers et policières est très forte. Chaque fois qu’un policier perd la vie, les familles, les collègues de travail et l’ensemble de l’organisation sont grandement touchés. Lorsque ce décès survient par suicide, l’effet est dévastateur, car les policiers habitués à venir en aide à la population se questionnent à savoir ce qu’ils auraient pu faire pour aider l’un de leurs confrères en détresse. Prévenir l’irréparable, voilà un défi de taille auquel le SPVM et la Fraternité des policiers et policières de Montréal se sont entendus à relever ensemble. Les résultats obtenus sont remarquables. Sur une période de 20 ans, il y a eu une baisse de près de 80 % des décès par suicide. Pas étonnant que le SPVM et la Fraternité des policiers et policières de Montréal aient remporté un prix Innovation en santé et sécurité du travail. Rétrospective d’un programme paritaire hors de l’ordinaire.
Un programme dès les années 1990
Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) (anciennement Service de police de la Communauté urbaine de Montréal, SPCUM) a mis à la disposition des policiers, policières et leur famille, un programme de consultation professionnelle et confidentielle au début des années 90. Les premiers résultats sont encourageants mais, de façon paritaire, la Direction et le syndicat souhaitent donner au programme l’envergure nécessaire pour qu’il exerce une réelle action de sensibilisation et de prévention.
En 1997, un volet préventif est développé et la cible visée est la prévention des décès par suicide chez les policiers. Les psychologues du Programme d’aide aux policiers et policières (PAPP) sous la direction du docteur Normand Martin, Ph, D., élaborent le programme « Ensemble pour la vie ». Son objectif : tisser de façon serrée les mailles du filet humain en rejoignant personnellement tous les membres du Service, afin que chacun se sente concerné par la prévention et mieux outillé pour intervenir auprès d’un collègue en difficulté.
Peu importe le grade, l’âge ou la fonction, chaque policier et policière du Service peut contribuer à la prévention du suicide en osant aborder la question directement et avec ouverture d’esprit. |
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Le docteur Normand Martin recevant le prix Innovation. |
Le programme de prévention « Ensemble pour la vie » comporte quatre volets qui misent sur la solidarité entre les collègues.
Le premier volet est une campagne de sensibilisation et de promotion. Le thème de cette campagne est évocateur Ensemble pour la vie symbolise un appel collectif à la vie et rappelle que les policiers et policières forment une grande communauté. L’affiche promotionnelle de la campagne contient 700 prénoms signés à la main, symbole de l’engagement personnel de chaque policier et policière. Le ton est donné : tout le monde a un rôle à jouer dans la prévention du suicide.
Le docteur Normand Martin se rappelle bien les premiers pas de cette campagne. « Au départ », dit-il, « il nous fallait gagner la confiance des policiers et policières. Un monde sépare les policiers et les psychologues », explique le docteur Martin. « Le policier agit dans le concret ; il est habitué à régler des situations rapidement et à maîtriser ses émotions. Le psychologue, pour sa part, est vu comme une personne qui intervient dans l’abstrait, qui prend le temps et qui fait ressortir les émotions. » Il a donc fallu rapprocher ces deux mondes. La stratégie a été simple : les psychologues ont quitté leurs bureaux et sont allés sur le terrain rencontrer les policiers et les policières dans leur milieu de travail. Ils ont même patrouillé avec eux.
Par la suite, les psychologues ont fait une tournée des unités de travail afin de rencontrer les 4 500 policiers du Service. L’objectif était de favoriser une meilleure compréhension du phénomène du suicide en milieu policier et d’instaurer chez eux une ouverture favorable à demander de l’aide à des professionnels en cas de période difficile. Elle a aussi servi à développer un sentiment de compétence d’équipe à intervenir auprès d’un collègue en difficulté. « Il nous a fallu plus de trois ans pour faire cette tournée », confie le docteur Martin, « mais elle a servi à déboulonner des mythes tenaces, comme celui de la trahison du secret. » En effet, les policiers et policières ont toujours hésité à trahir les confidences d’un collègue qui confiait sa détresse psychologique. L’équipe du docteur Martin a fait réaliser l’importance d’intervenir, comme on le fait lorsqu’un proche s’apprête à prendre le volant avec les capacités affaiblies. « Nous avons recadré ce mythe », explique le docteur Martin. « Nous avons fait comprendre aux policiers et policières qu’ils peuvent intervenir pour le bien d’un collègue de travail. Ils ont le devoir d’intervenir », ajoute-t-il.
Troisième volet du programme : la formation des gestionnaires et des représentants syndicaux. Ce volet consiste à former tous les commandants, tous les superviseurs d’enquêtes et de gendarmerie ainsi que les délégués et moniteurs syndicaux à déceler les signes de détresse et à intervenir de façon préventive chez les policiers et policières en difficulté.
Le programme Police Ressource ou le 280-BLEU représente le quatrième et dernier volet. C’est un groupe de soutien téléphonique opéré par des policiers. Les policiers et policières qui le souhaitent peuvent contacter de façon anonyme des collègues ayant déjà résolu des problèmes particuliers dans leur vie personnelle. « C’est utile de pouvoir se confier à un collègue qui a vécu des problèmes semblables aux nôtres, dans un contexte privé », affirme le docteur Martin.
Finalement, les psychologues ont fait une tournée avec pour thème : Que puis-je faire pour moi ? « Nous avons ciblé plus particulièrement les policiers qui prennent leur retraite parce qu’avec la fin de la vie professionnelle active apparaît parfois une perte d’identité. Les retraités nous semblaient être une population à risque. Nous les avons rejoints. »
Des résultats remarquables
Le programme a été évalué par un expert indépendant de réputation internationale, le docteur Brian Mishara, professeur à l’Université de Québec et directeur du Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie (CRISE). Une première évaluation a été faite avant l’entrée en vigueur du programme Ensemble pour la vie. Le taux de suicide au SPVM était alors de 30 policiers par 100 000 de population. En comparaison, le taux de suicide atteignait 26 policiers par 100 000 de population pour l’ensemble des corps policiers au Québec. Une deuxième mesure a été prise après l’entrée en vigueur du programme. Au SPVM, le taux de suicide avait baissé à 6,4 par 100 000 de population alors qu’il avait augmenté à 29 pour 100 000 chez les policiers municipaux au Québec.
Qu’est-ce qui a changé ?
« Plusieurs choses ont changé », soutient le docteur Martin, « à commencer par les mentalités. Notre programme a montré aux policiers qu’ils avaient le pouvoir et la capacité d’intervenir auprès d’un collègue en détresse. Il a aussi convaincu les policiers et policières en détresse psychologique de chercher de l’aide. » Maintenant, les policiers admettent que parfois, ils doivent « mettre un genou à terre », comme ils le disent. « Les policiers et les policières sont des êtres très résilients. Ils sont comparables à des athlètes de haut niveau. On attend d’eux une performance hors de l’ordinaire chaque fois qu’ils interviennent. Mais comme tous les athlètes de haut niveau, la performance est parfois plus difficile à obtenir. C’est à ce moment que nous pouvons intervenir. » Les policiers le réalisent aujourd’hui. La plus belle preuve ? Ceux et celles qui passent un mauvais moment acceptent d’en parler à leur superviseur. Ils rendent d’eux-mêmes leur arme plutôt que d’attendre de se la faire enlever.
Il faut être fort pour être capable d’admettre qu’on passe un moment de faiblesse. Il faut faire preuve d’une très grande résilience pour accomplir le travail réalisé jour après jour par les policiers et policières. |
Autre facteur de succès : l’approche paritaire. Ensemble pour la vie a reçu l’appui de la direction du SPVM et celui de la Fraternité. Rapidement, les policiers et policières ont accepté ce programme et ils en ont fait « leur » programme. Un programme qui est en fait un vibrant appel collectif à la vie.