"On a plus de force qu’on pense" : témoignages bouleversants sur le suicide
Par Frédérique Gissot ⸱ Publié le lundi 27 janvier 2025 https://www.radiofrance.fr/*
En France, le nombre de suicides baisse. Les professionnels de santé mettent en place de nouvelles approches de ce risque. Une prise en charge adaptée et un accompagnement pour libérer la parole ont prouvé leur efficacité.
"Je
suis passé par cette phase-là il y a quelques années. Je sais que
beaucoup d'autres traversent encore ce genre d'étape et que je pense que
dans mon histoire, il y a des gens qui pourraient se reconnaître et
s'en sortir, parce qu'il y a un fond du tunnel, comme on dit." Samuel a fait une tentative de suicide en 2018. Aujourd'hui, il regarde les choses en face. "Je n'en ai pas spécialement honte, je n'en tire aucune fierté pour autant, cela fait partie de mon histoire."
Nouvelle frayeur pour lui en 2022 avec un grave accident de la route. "J'ai
perdu mon emploi, mon autonomie, je me suis retrouvé en fauteuil
roulant. J'ai perdu mon couple en 2024. Je pensais toucher le fond et
devoir recommencer parce que je voulais tout lâcher, mais non."
Jean-Jacques Chavagnat, psychiatre au centre hospitalier Henri-Laborit de Poitiers et responsable du Centre de Prévention du Suicide, préside un colloque sur les "Nouvelles approches de la prévention du suicide". A noter trois temps forts : Peut-on prédire la crise suicidaire ? Comment les médias peuvent-ils présenter la prévention du suicide ? et la présentation du plan personnalisé de protection.
"Aller avec les personnes qui vont nous aider"
En 20 ans, le nombre de suicides est passé de 13 000 à 9000. Mais les conséquences de l'épidémie de covid ne sont pas encore bien mesurées. En matière de prévention, la psychologue Émilie Sauvaget, coordinatrice en prévention du suicide, a mis en place Les Ulysse, des témoignages d'hommes et de femmes qui ont fait des tentatives de suicide. Comme Léa, qui parle de son état d'esprit à l'époque de sa tentative de suicide. "Pour moi, l'évidence, c'était que ça devait s'arrêter, parce qu'il n'y avait pas d'autre solution, c'était une évidence, c'était une conviction... Je ne voyais rien d'autre. Il n'y avait pas d'issue possible. Il n'y a pas de baguette magique, il n'y a pas le bouton « on » pour être heureux et « off » pour éteindre l'envie de mourir." Ce qu'elle a appris, c'est d'aller vers les bonnes personnes. "Ce n'est pas forcément aller vers les personnes qu'on aime bien. C'est aller avec les personnes qui vont nous aider."
"Il ne faut pas rester tout seul, témoigne Thierry qui a attenté à ses jours an août 2024. Il
faut essayer de trouver des gens qui puissent nous aider. J'étais au
bout du rouleau, j'avais perdu ma femme depuis deux ans. J'étais suivi
par mes médecins, mais le traitement n'était pas adapté. Suite à cette
tentative de suicide, j'ai préféré être hospitalisé au centre Henri
Laborit. Ils m'ont super bien aidé, super bien soigné et bien aiguillé." Il se sent encore fragile, mais a maintenant ce qu'il appelle "des ficelles" pour s'en sortir. "Depuis
que je suis sorti, je suis suivi par une psychologue tous les 15 jours
et ça me fait un bien fou. Elle est très attentive, très à l'écoute."
Le
dispositif « Mon soutien psy » prévoit 12 séances remboursées par an
auprès d'un psychologue conventionné. Cela devrait faciliter l'accès aux
soins.
"Maintenant, globalement, je suis nettement plus heureux qu'avant"
"Les
hommes vont utiliser des moyens assez violents, ce qui fait que,
malheureusement, ceci aboutit plutôt à un suicide, c'est-à-dire à une
mort, plutôt qu'à un suicide tenté, hélas" rappelle Jean-Jacques
Chavagnat. Ces hommes qui ne parlent pas et gardent au fond d'eux leurs
doutes et leur mal-être reste une réalité, même si de plus en plus
d'hommes se sentent capables de parler et de demander de l'aide.
Christophe a fait une tentative de suicide, il en est revenu plus fort. "Maintenant,
globalement, je suis nettement plus heureux qu'avant. Ma vie n'est pas
forcément différente, quand un petit moment de bonheur se présente, je
l'apprécie pleinement. Je sais quelle est la route qui mène au fond du
chemin parce que je l'ai parcourue. Si jamais je dois la reparcourir de
nouveau, j'ai mis en place des facteurs de protection à tous les étages."
Le plan personnalisé de protection a été mis en place aux États-Unis, auprès des vétérans, puis dans les services d'urgence. "L'idée est-ce que le patient soit un acteur de vigilance" souligne Jean-Jacques Chavagnat. Ce plan se décline en sept points. Quels sont mes signes d'alerte ? Que faire pour réguler mes émotions et me calmer ? Quelles sont les personnes que je peux appeler pour me changer les idées ? Quelles sont les personnes que je peux appeler pour demander de l'aide ? Quelles sont les personnes à contacter et les démarches à faire en cas d'urgence ? Comment je peux rendre mon environnement sécuritaire ? Quelles sont les démarches à entreprendre à la suite de ma dernière consultation / hospitalisation ?
"L'objectif
est de sortir de ce marasme psychique où les personnes sont un peu
confuses, sourdes, muettes et aveugles. Sourd ; je n'entends pas autour
de moi tous ceux qui disent qu'ils m'aiment. Muet : je n'arrive pas à
dire ce que je ressens. Et aveugle : je ne vois plus tout ce que
j'aimais auparavant." Pour Jean-Jacques Chavagnat, l’approche actuelle valorise davantage les facteurs de protection que de risque. "Il y a des liens à recréer : avec soi-même, d’abord, puis avec les autres", précise-t-il. Cet s’ajoute à d’autres initiatives, comme le dispositif "VigilanS" qui accompagne les suicidants par téléphone et carte postale pendant six mois après leur tentative.
"Le passage que j'ai eu par Henri Laborit en 2018 m'a grandement ouvert les yeux, reconnait Samuel qui a beaucoup appris sur lui."On commence à comprendre qu'on a plus de force que ce qu'on pense."
3114 : numéro national de prévention du suicide, accessible 24h/24 et 7j/7, gratuitement, en France