vendredi 23 juin 2023

PRESSE Que faire face à un proche qui a des pensées suicidaires?


Que faire face à un proche qui a des pensées suicidaires? 
Le Figaro (site web)
mardi 20 juin 2023 -


PSYCHOLOGIE - Plutôt que de vouloir minimiser sa peine, il faut avant tout écouter la personne et la laisser exposer ses pensées, même si cela est inconfortable. Il est primordial qu'elle consulte un médecin.

Sur le papier, Alix Choppin a tout pour être heureuse. Cette quadra diplômée d'une école prestigieuse, ex-directrice commerciale d'une PME, qui vit entre la Normandie et Paris, a pourtant fait une «énorme dépression» en 2021. «Pendant deux mois, je me suis trouvée dans un état de mélancolie profonde, j'avais perdu l'instinct vital. C'était tellement douloureux que je voulais en finir» , raconte-t-elle .Un jour, atteinte d'une crise suicidaire, elle se rend chez sa psychiatre qui l'oriente immédiatement vers une clinique. Elle évoque cet épisode dans une conférence TEDxChantilly de 2022.

En France, une personne se suicide toutes les heures et une tentative de suicide a lieu toutes les 4 minutes. C'est la deuxième cause de mortalité chez les 15-25 ans, et un individu sur 25 est hanté par des pensées suicidaires au moins une fois dans sa vie. Il s'agit pourtant d'un énorme tabou. À la suite de son intervention sur TEDx, Alix Choppin a d'ailleurs constaté à quel point le sujet était sensible. «Toutes les vidéos doivent être validées par le siège de TED aux États-Unis. Les conférences du TEDxChantilly où j'ai participé ont été mises en ligne dans la semaine qui a suivi l'événement… sauf la mienne, dont la validation a pris plus d'un mois.» La maison mère a tenu à ajouter un avertissement dans le texte descriptif de la vidéo, indiquant que cette dernière pouvait «déranger» et ne reflétait que le point de vue de l'intervenante. Pourtant, les médecins sont formels: «Faciliter la libération de la parole permet d'encourager les personnes en souffrance à demander de l'aide» , souligne le Dr Pierre Grandgenevre, psychiatre au CHU de Lille.

Que faire lorsqu'un proche exprime sa volonté d'en finir? L'entourage se trouve souvent démuni et les premiers réflexes ne sont pas forcément les bons. La famille, les amis veulent à tout prix s'opposer à ces pensées, rassurer leur proche, lui dire de garder espoir et que ce mauvais moment est forcément passager, ou encore lui rappeler que ses enfants, son conjoint, ses élèves ou son animal de compagnie ont besoin d'elle. Mais ce type de réponses génère de la culpabilité et le sentiment d'être incompris dans sa douleur. «L'idée suicidaire génère certes de l'inconfort, mais l'autre doit“ faire avec ” , prendre sur lui et laisser la personne parler car cela va lui faire du bien» , recommande Alix Choppin, qui est devenue pair-aidante en psychiatrie. Gare toutefois si l'on se sent soi-même fragile sur ce sujet, car l'on sait qu'être exposé à des pensées ou à un acte suicidaires s'avère parfois «contagieux». Il faut en ce cas savoir passer la main à quelqu'un de plus aguerri. Il convient surtout de rester en lien avec la personne, de l'inviter à se faire aider, et de reprogrammer une discussion – par exemple en proposant de venir prendre le café le lendemain, ou si c'est trop intrusif de l'appeler au téléphone.

Confronté à plusieurs reprises à des patients suicidaires, le psychologue clinicien Maxime Bellego commence toujours par poser deux questions simples: pourquoi voulez-vous mettre fin à vos jours? qu'est-ce qui vous fait souffrir au point d'en arriver là? « Quand un patient pense au suicide, l'idée de mourir le soulage. Son cerveau lui envoie cette pensée comme la solution ultime. Donc un proche qui s'oppose frontalement à ce projet ne va pas l'aider» , explique Maxime Bellego.

Parler à la personne concernée constitue aussi une occasion d'évaluer la gravité de la situation, car il existe plusieurs «types» de pensées suicidaires qui ne relèvent pas tous de la même urgence. Le premier est l'idée passive de mort, avec des pensées comme «je préférerais ne pas être là» ou «à choisir, j'aurais préféré ne pas naître» . Peuvent ensuite venir des idées suicidaires floues: une volonté d'en finir mais sans planification concrète du passage à l'acte. Puis la scénarisation: quel jour, quelle heure, de quelle manière. Quant à la crise suicidaire, elle correspond à un désir urgent de mourir, la douleur morale est alors tellement forte que l'individu doit faire quelque chose. «Dans une telle situation, il faut appeler les pompiers pour emmener la personne aux urgences psychiatriques», indique Maxime Bellego.

Bien sûr, un proche n'a pas forcément les compétences nécessaires pour juger de la gravité de la situation. «Avoir des idées suicidaires, qu'elles soient concrètes ou non, justifie en soi de consulter un professionnel de santé. Dans certains cas, la souffrance s'exprime autrement: par exemple un isolement de la personne, une consommation d'alcool en hausse ou des troubles du sommeil. Autant de comportements qui peuvent alerter les proches» , complète Pierre Grandgenevre. Les proches peuvent aussi orienter la personne, ou se tourner eux-mêmes, vers une ligne téléphonique de prévention du suicide, le 3114, qui a été créée au lendemain du Covid. Le mieux étant que la personne consulte un psychiatre dès que possible.