Surconsommation de psychotropes chez l’enfant et l’adolescent : un rapport alarmant !
Les conclusions du rapport du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Age (HCFEA) intitulé « Quand les enfants vont mal : comment les aider ? », sont alarmantes. Alors que la question de la santé mentale de l’enfant, en France comme à l’international, est considérée comme la première problématique de santé publique, l’étude du HCFEA, menée entre 2014 et 2021, alerte sur la surconsommation de psychotropes chez l’enfant et l’adolescent, souvent hors AMM et recommandations d’usages. Le Haut conseil appelle à un « renforcement des moyens structurels dédiés à la santé mentale de l’enfant et au déploiement d’une politique publique ambitieuse en la matière ».
Ces quelques chiffres plus qu’édifiants sur l’évolution de la consommation de psychotropes entre 2014 et 2021 chez l’enfant et l’adolescent, dressent un état des lieux alarmant.
– + 48,54% pour les antipsychotiques ;
– + 62,58% pour les antidépresseurs ;
– + 78,07% pour les psychostimulants ;
– + 27,7% pour les anticholinergiques ;
– + 9,48% pour les dopaminergiques ;
– + 155,48% pour les hypnotiques et sédatifs.
Pour la seule population pédiatrique,
la prévalence de consommation entre 2010 et 2021 a, elle, augmenté de
+35% pour les hypnotiques et les anxiolytiques, de +179% pour les
antidépresseurs, de +114% pour les antipsychotiques et de + 148% pour
les psychostimulants. Pour la seule année 2021, l’augmentation est de
+16% pour les anxiolytiques, +224% pour les hypnotiques, +23% pour les
antidépresseurs et +7,5% pour les antipsychotiques.
Aider les enfants qui vont mal est un devoir encadré par le droit international des enfants à la santé
Selon le HCFEA, « ce phénomène de sur-médication ne concerne pas
des cas isolés mais bien des dizaines de milliers d’enfants. Ces niveaux
d’augmentation sont sans commune mesure (2 à 20 fois plus élevés) avec
ceux observés au niveau de la population générale« . Les
rapporteurs le soulignent, la santé mentale de l’enfant recouvre des
phénomènes complexes, des définitions plurielles, et engage une
multitude de dispositifs institutionnels de soin, d’éducation,
d’intervention sociale et de prévention. Les enjeux de santé mentale
chez l’enfant sont d’autant plus importants qu’ils impactent tous les
aspects de la vie de l’enfant – ses émotions, son rapport au langage, au
corps, aux savoirs,
à lui-même et aux autres, ses liens familiaux et
sociaux. Le Conseil de l’enfance du HCFEA rappelle qu’aider les enfants
qui vont mal est un devoir encadré par le droit international des
enfants à la santé et « qu’il ne devrait dépendre ni des inégalités
d’offre de soin sur son territoire, ni même de la formulation préalable
d’un diagnostic, dont on sait qu’il est
difficile à poser, complexe et incertain, en santé mentale« .
« Alors qu’à l’étranger, on observe des effets de pallier voire une diminution de la médication chez les plus jeunes, on constate en France entre 2010 et 2019 que les prescriptions de méthylphénidate (ritaline) ont augmenté de +116%, alors que les consultations en CMPP ont été divisées par 4. »
L’offre pédiatrique et pédopsychiatrique très dégradée
Il ressort des différents rapports récents mais aussi des services
concernés un ensemble de tendances qui créent pour l’enfant en
souffrance psychique un « effet-ciseaux » :
– L’offre pédiatrique et pédopsychiatrique est en recul
et ne permet plus d’accueillir dans des délais raisonnables ni
d’accompagner au mieux les enfants et les familles qui en ont besoin
(délais d’attente de 6 à 18 mois sur le territoire). Faute de
spécialistes, la majorité des consultations de l’enfant est réalisée par
le médecin généraliste. Seuls 30 % des enfants sont reçus par un
pédiatre, qui concentre sa patientèle sur les moins de 2 ans. De plus,
la situation de la médecine scolaire, de la PMI et de l’ensemble des
acteurs du champ médicosocial est très altérée et ne permet plus
d’assurer les missions de service public d’accueil et de suivi de
l’ensemble des enfants et des familles.
– Parallèlement, le nombre d’enfants en difficulté psychique augmente.
Cette augmentation, creusée par le déficit structurel des modalités de
soin, d’éducation et d’accompagnement, se double de facteurs sociaux et
environnementaux susceptibles d’en accentuer les effets : crise
sanitaire, guerre en Ukraine, éco-anxiété, crises économiques et
inégalités sociales.
Le Rapport Moro et Brisson, alertait déjà en 2016, « les lieux de soins étant déjà saturés, la prise en charge des situations de mal-être, moins urgentes, passe au second plan. Cet état de fait a pour conséquence, à terme, d’aggraver la situation, de requérir des soins beaucoup plus lourds et d’entraîner des conséquences plus importantes »
Autres données inquiétantes, celles mises à disposition par l’Assurance Maladie, l’ANSM, et plusieurs études dédiées à l’analyse de la consommation de médicaments psychotropes dans les bases de données de santé entre 2010 et 2021. Elles montrent une augmentation considérable de la consommation de médicaments psychotropes chez l’enfant, a fortiori hors AMM et hors recommandations, ainsi qu’un risque de substitution des pratiques psychothérapeutiques, éducatives et sociales de première intention par des pratiques médicamenteuses. Parmi les psychotropes les plus régulièrement prescrits hors AMM : antiparkinsoniens 100 % ; hypnotiques 100 % ; antidépresseurs 92 % ; antipsychotiques 69 % ; anxiolytiques 65 % ; antiépileptiques 51 % ; psychostimulants 30 %. Au niveau international, la consommation des psychotropes chez l’enfant et l’adolescent toucherait 50 à 90% de la population pédiatrique.
« La prévalence de consommation de médicaments psychotropes chez les 6-17 ans doit ainsi faire l’objet d’une attention et d’une mobilisation d’autant plus urgente de la part des pouvoirs publics et des autorités de santé qu’elle se situe pour une large part hors des conditions réglementaires de prescription ».
Le rapport du HCFEA : une alerte forte
L’objectif de ce rapport est de rappeler à quel point la santé et le bien-être mental des enfants est une préoccupation qui doit mobiliser toute la société et les réponses que doivent d’abord y apporter tous ses acteurs des champs de l’action éducative et sociale. A la question « Quelle politique et quelles pratiques de soins souhaitons-nous pour nos enfants et les prochaines générations ? », le HCFEA recommande donc « de renforcer considérablement les moyens structurels dédiés à la santé mentale de l’enfant et au déploiement d’une politique publique ambitieuse en la matière, ce qui implique de renforcer les moyens de la pédopsychiatrie mais également les moyens dédiés aux approches psychothérapeutiques, éducatives et sociales destinées à l’enfant et à la famille« .
« Les études montrent une détermination scolaire et sociale de la prescription de médicaments psychostimulants chez l’enfant et l’adolescent en France : les enfants les plus jeunes de leur classe ou issus des milieux défavorisés présentent des risques accrus de médication.«
• Quand
les enfants vont mal : Comment les aider ? Note de synthèse (PDF) –
Rapport du Conseil de l’enfance et de l’adolescence, HCFEA, 7 mars 2023.
• Quand
les enfants vont mal : Comment les aider ? (PDF) – Rapport du Conseil
de l’enfance et de l’adolescence, HCFEA, 7 mars 2023.
• Quand
les enfants vont mal : Comment les aider ? Annexes (PDF) – Rapport du
Conseil de l’enfance et de l’adolescence, HCFEA, 7 mars 2023.