Peut-on prévenir le suicide chez les jeunes en analysant leur comportement en ligne ?
Enquête : Cette étude intervient quelques jours après qu'une enquête a révélé que Facebook comprend l'impact négatif d'Instagram sur les jeunes, sans rien faire pour l'arrêter.
Par Jonathan Greig | Samedi 25 Septembre 2021 https://www.zdnet.fr*
Aux Etats-Unis, le Centre national de prévention et de contrôle des blessures et la société de sécurité en ligne Bark Technologies viennent de publier une étude menée conjointement, qui démontre que certains comportements en ligne des jeunes, qu'il s'agisse de harcèlement, de violence, de contenus liés à la drogue, de discours haineux, de contenus sexuels, liés à la dépression ou encore à l'automutilation légère, pourraient être utilisés pour prévenir les risques de suicide ou d'automutilation.
L'étude, publiée dans JAMA Network Open, consistait à examiner pendant 13 mois les activités en ligne de collégiens et de lycéens, sur des appareils fournis par les établissements scolaires, et de comparer les sujets ayant reçu ensuite une alerte pour un risque élevé de suicide ou de comportement autodestructeurs, à ceux qui n'ont pas reçu d'alerte.
Les chercheurs ont comparé les comportements en ligne des deux groupes, et ont constaté que les élèves ayant fait l'objet d'une alerte présentaient un nombre significativement plus élevé d'incidents en ligne antérieurs, ou de comportement en ligne à risque, signalés par Bark. Les huit facteurs de risque en ligne étudiés ont été associés à des alertes relatives au suicide.
Plus les signes sont détectés tôt, plus il est possible que l'individu obtienne l'aide nécessaire
L'auteur principal, le Dr Steven Sumner, des CDC (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies aux Etats-Unis), indique que les taux de suicide et de comportements autodestructeurs ont augmenté chez les jeunes aux Etats-Unis au cours de la dernière décennie. « Il est important d'être attentif aux nouveaux facteurs de risque en ligne auxquels les jeunes sont confrontés aujourd'hui, et que nous les comprenions vraiment, afin de renforcer nos efforts de prévention », affirme-t-il.
Brian Bason, PDG de Bark, ajoute que plus les facteurs de risque et les signes de détresse sont détectés tôt, plus le jeune individu peut obtenir rapidement l'aide dont il a besoin.
« Si l'on considère le nombre total de différents types de facteurs de risque en ligne parmi les huit mesurés, on constate un risque exponentiellement plus élevé d'alertes relatives au suicide ou à l'automutilation ; les jeunes dont l'activité en ligne comportait au moins cinq des huit facteurs de risque avaient une probabilité plus de 70 fois supérieure de recevoir ultérieurement une alerte de suicide ou d'automutilation », indiquent les chercheurs. « Les résultats de cette étude suggèrent que de nombreux types de facteurs de risque sont identifiables à partir de données en ligne, et associés avec un risque conséquent de comportement suicidaire. Si chaque facteur de risque correspond spécifiquement à un comportement suicidaire, le plus grand risque est bien sûr pour les jeunes présentant plusieurs types de facteurs de risque. »
Les réseaux sociaux ne se préoccupent pas assez de la sécurité de leurs jeunes utilisateurs
Titania Jordan, CMO de Bark, explique à ZDNet qu'il est extrêmement important de comprendre la façon dont les jeunes communiquent en ligne, en particulier pour leurs parents. Dans leurs interactions en ligne, les enfants dissimulent beaucoup de leurs peurs et de leur pensées, et elle estime que les parents et autres éducateurs ont besoin d'outils pour les aider à identifier des facteurs de risque et des signes de détresse, afin qu'ils puissent apporter leur aide quand elle est nécessaire.
Les réseaux sociaux ont fait l'objet de vives critiques ces dernières années, en raison de l'augmentation croissante du nombre de suicides et de dépressions chez les jeunes. La semaine dernière, The Wall Street Journal publiait à ce sujet une série de fichiers internes de Facebook, montrant que des chercheurs au sein d'Instagram ont constaté que l'application est « nocive » et « toxique » pour certains jeunes utilisateurs, et en particulier pour les adolescentes. « En réponse, Facebook affirme que les effets négatifs ne sont pas répandus, que la recherche sur la santé mentale est précieuse et que certains des aspects nocifs ne sont pas faciles à traiter », rapportait le journal.
Pour la CMO de Bark, même si l'étude menée avec le Centre national de prévention et de contrôle des blessures s'est penchée spécifiquement sur des appareils et des comptes scolaires, il apparaît plus clairement que jamais que « les plateformes de médias sociaux ne considèrent pas assez la sécurité des enfants comme une priorité. Souvent, les mesures annoncées pour résoudre les problèmes de la plateforme ne donnent qu'une illusion de sécurité. Le "contrôle parental" intégré est généralement facile à désactiver par les enfants à tout moment, sans l'accord de leurs parents. Il est facile pour des enfants férus de technologie d'échapper à la surveillance de parents qui ne le sont pas ».
« Les grandes entreprises technologiques doivent s'associer aux parents pour leur donner un meilleur aperçu de l'univers en ligne de leurs enfants. La sécurité des enfants en ligne est en fin de compte une responsabilité qui incombe aux parents, mais il est incroyablement difficile de naviguer sur le vaste marché des plateformes, où les enfants rencontrent des situations dangereuses sans que les bons outils de surveillance soient mis en place. »
Les effets de la technologie sur notre santé mentale
Titania Jordan ajoute qu'il existe des moyens pour les parents de surveiller les signes d'alerte sans envahir totalement la vie privée de leurs enfants. Cette étude confirme que les comportements en ligne peuvent prévenir des comportements futurs graves, liés au suicide ou à des comportements autodestructeurs.
Elle ajoute que, de manière plus générale, la santé mentale de presque toutes les catégories démographiques s'est détériorée au cours de la pandémie de Covid-19. Depuis janvier-mars 2021, la plateforme Bark a enregistré une augmentation de 143 % des alertes pour automutilation et idées suicidaires chez les jeunes de 12 à 18 ans.
Si les problèmes de santé mentale sont plus acceptés et mieux compris depuis quelques générations, l'influence des nouvelles technologies a eu des effets mitigés sur cette tendance. « Même si on accuse la technologie d'être la seule cause de ces problèmes, il n'est pas réaliste pour un parent d'interdire complètement à son enfant d'aller en ligne – nous vivons dans un monde connecté. Il faut plutôt leur donner des ressources pour qu'ils puissent avoir des conversations avec leurs enfants lorsqu'ils commencent à utiliser internet et à avoir un appareil connecté », explique-t-elle. « Tous les parents savent que lorsqu'un adolescent dit "Je vais bien", il y a de fortes chances qu'il ne dise pas tout. »
Source : ZDNet.com
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