Sous-diagnostiquée, la dépression est aussi sous-traitée
INFOGRAPHIE - En
France, une personne sur dix souffre au cours de sa vie d’un épisode
dépressif caractérisé - une dépression vraie - qui peut être unique ou
récidiver.
C’est une des maladies les plus fréquentes, au nom si banalisé qu’on
oublie parfois ce qu’il signifie vraiment. «Pour le médecin, parmi les
symptômes de la dépression,
deux ont une sensibilité et une spécificité telles que leur présence
continue pendant plus de 15 jours suffit à repérer de façon fiable une
authentique dépression: l’humeur dépressive, c’est-à-dire la tristesse
que rien n’arrive à distraire, et l’anhédonie, la perte de la capacité à
éprouver du plaisir avec ce que l’on aime faire en temps normal»,
explique le Pr Pierre-Michel Llorca, psychiatre (CHU Clermont-Ferrand).
En France, une personne sur dix souffre au cours de sa vie d’un épisode
dépressif caractérisé - une dépression vraie - qui peut être unique ou
récidiver. Et environ 30 % des patients en médecine générale présentent à
un moment un ou plusieurs symptômes dépressifs: ceux cités, mais aussi
fatigue matinale, troubles du sommeil, troubles alimentaires, sentiment
de culpabilité, difficulté à se concentrer, idées noires…«Il est important de consulter alors son médecin en raison des conséquences possibles de la dépression, insiste le Pr Christophe Lançon, psychiatre (hôpital Sainte-Marguerite, Marseille). On sait qu’un suicide sur deux survient chez quelqu’un qui fait ou a fait une dépression. Même si la dépression n’est pas directement responsable du suicide, elle est un facteur de risque important qu’on peut réduire en la soignant.»
Des facteurs de vulnérabilité au suicide permettent de repérer un risque accru de passage à l’acte. «Une tentative de suicide antérieure ou des antécédents familiaux de suicide, la maltraitance précoce augmentent ce risque et doivent être recherchés, explique le Pr Philippe Courtet, psychiatre (CHU Montpellier). Plus le risque est imminent et le soutien de l’entourage faible, plus le médecin aura tendance à hospitaliser.» Mieux former les médecins généralistes au diagnostic, à l’évaluation de la gravité et au traitement de la dépression est efficace dans la prévention du suicide.
Même un épisode unique laisse une vulnérabilité
Le médecin va aussi demander un bilan sanguin pour éliminer une cause médicale à cet état dépressif. «Ne pas faire ce minimum constitue une perte de chance pour les patients», insiste le Pr Lançon. «Outre l’augmentation du risque suicidaire, la dépression retentit aussi sur la santé en perturbant des fonctions majeures de l’organisme comme le sommeil, l’alimentation, la libido…», indique le psychiatre. Or le risque de récidive est élevé - 50 % après un premier épisode dépressif - et même un épisode unique laisse une vulnérabilité.La dépression reste cependant très sous-diagnostiquée, et pas uniquement en médecine générale. «Dans des maladies inflammatoires comme la sclérose en plaques ou les rhumatismes, la dépression, beaucoup plus fréquente, semble favorisée par l’inflammation chronique. Un événement de vie grave comme un infarctus peut déclencher une dépression qui est un facteur de moins bon pronostic d’évolution de l’infarctus. Des cardiologues américains prescrivent d’ailleurs à titre préventif des antidépresseurs après un infarctus», indique le Pr Llorca, pour qui «il faudrait systématiser la détection de la dépression dans ces pathologies graves».
Éviter un risque de rechute
Sous-diagnostiquée, la dépression est aussi sous-traitée. Si l’intensité de la dépression le justifie, le médecin peut prescrire un antidépresseur choisi en priorité parmi ceux qui ont le moins d’effets secondaires notamment comme les inhibiteurs de recapture de la sérotonine. Mais il faut suivre de près les malades en début de traitement, et commencer à faibles doses pour réduire ces effets secondaires. «Il n’y a pas d’outil pour prédire si un patient va mieux répondre à tel ou tel antidépresseur et le choix reste assez empirique. Souvent, la dose ou la durée de prescription sont insuffisantes», indique le Pr Llorca. Un délai de quatre à six semaines est recommandé pour juger de l’efficacité. Pour le Pr Lançon, «il est irréaliste de demander à un patient d’attendre quatre à six semaines avant une amélioration. Il faudrait pouvoir réévaluer le traitement après trois ou quatre jours pour mieux adapter les doses .»Ce traitement antidépresseur doit être poursuivi au moins six à huit mois après la disparition complète de tous les symptômes initiaux pour éviter un risque de rechute. Associées aux antidépresseurs, les psychothérapies, en particulier cognitivo-comportementales, ont démontré leur efficacité, tout comme la sismothérapie dans les dépressions graves. L’efficacité de la stimulation magnétique transcranienne a surtout été évaluée dans les dépressions résistantes aux antidépresseurs et nécessite des équipements complexes. La meilleure connaissance des bases biologiques de la dépression ouvre aussi de nouvelles perspectives. «Ainsi, la kétamine, un anesthésique général très puissant contre la douleur, offre un recours majeur dans la prévention du suicide en “cassant” immédiatement les idées suicidaires. Elle est en cours d’essais cliniques, il faut donc attendre», explique le Pr Courtet.