lundi 3 septembre 2012

La SNCF face à un suicide par jour - Société | 2 septembre 2012 JDD

La SNCF face à un suicide par jour - Société  |  2 septembre 2012 JDD

En juillet, 37 personnes sont mortes sur les rails. Les "suicides TGV" sont de plus en plus fréquents et les conséquences de plus en plus lourdes...
Lundi 20 août. Le TGV n°5445 de Paris à Strasbourg file à près de 300 km/h. Il est 21 heures quand un homme est happé sous ses roues, non loin de la gare de Champagne TGV. Arrêt de la circulation, enquête de police, réorganisation du trafic… C’est finalement au coeur de la nuit, à 3h55 et avec presque cinq heures de retard, que ses 230 passagers arrivent à bon port. Dans le même temps, par "effet domino", quatre autres trains sur la ligne accumulent près de quinze heures de retard. Au final, ce suicide a affecté le trajet de 1.015 voyageurs. La SNCF a pris en charge les repas de tous ces clients, affrété trois minibus, payé deux hôtels, ainsi que des taxis à plus de 470 passagers…

Chaque suicide impacte 19 trains

Chaque jour un à deux "accidents de personne" – le plus souvent des suicides – surviennent sur le réseau ferroviaire hexagonal. "Aux heures de pointe, ou lors du grand week-end de chassé-croisé entre juillet et août, où nous transportons jusqu’à 1,2 million de voyageurs, l’impact sur la circulation des trains peut être vraiment très important ", relève Isabelle Delobel, la directrice du Centre national des opérations ferroviaires de la SNCF. Pas moins de 20 millions de vacanciers ont pris le train cet été en France. Selon l’entreprise, en juillet, 92% des TGV et 93% des TER sont arrivés à l’heure. Ce même mois, l’entreprise a dû faire face à 37 "accidents de personnes". Chacun a "impacté" en moyenne 19 trains, auxquels il a fait perdre un total de 672 minutes. Le train qui subit l’accident, lui, accuse au minimum deux heures de retard. Un peu moins si la victime n’est que blessée. Mais c’est rarissime.
La procédure est désormais rodée : arrêt de la circulation, envoi d’un cadre pour relever le conducteur, arrivée des secours et des officiers de police judiciaire. "Ces équipes sont sur place entre quarante- cinq minutes et une heure après l’accident. Alors seulement l’enquête débute. Si la preuve du suicide n’est pas immédiate, elle peut durer plus d’une heure", explique Isabelle Delobel. La SNCF, dont l’objectif est de reprendre au plus vite la circulation, doit attendre que celle-ci soit bouclée et que les pompes funèbres interviennent. Pendant ce temps, elle évalue les dégâts matériels et établit un nouveau plan de circulation. Le trafic est parfois perturbé jusqu’à l’autre bout du pays. "Pour nous, les accidents sur les lignes à grande vitesse sont les plus lourds. Le train met 3 à 4 km à s’arrêter, et il faut tout inspecter entre le point d’impact et le point d’arrêt", poursuit-elle.
Outre le désagrément pour les passagers, ces accidents ont un coût important pour la compagnie ferroviaire. L’entreprise ne le divulgue pas. Mais selon l’heure et la ligne sur laquelle le suicide survient, il est exponentiel. Remorquage de la motrice endommagée, remplacement ou réaiguillage des trains circulant sur le même axe, suppression de rames, affrètement de bus… Pour ces retards dus à une cause "externe", les billets ne sont pas remboursés aux clients, sauf exception. Mais la prise en charge des voyageurs, de leurs repas ou de leur hébergement, alourdit encore la facture. Or pour la SNCF, la prévention des suicides relève du casse-tête. "On sécurise tous les accès aux voies. Mais on ne dévoile jamais les détails. Car dès qu’un accident de personne est rapporté dans les médias à tel endroit, cela donne des idées à des personnes fragiles." Cruel dilemme, que résume un syndicaliste : "Comment communiquer sur les conséquences de ces suicides, sans en faire la publicité?"

25 psychologues pour aider les conducteurs

En coulisses, la compagnie doit aussi assumer la prise en charge des conducteurs qui ont "tapé", selon le jargon des intéressés. Depuis 1994, leur formation initiale intègre une journée dédiée au sujet. Ceux qui rencontrent de tels drames peuvent appeler un numéro vert à toute heure. Au bout du fil, 25 psychologues répondent ou les reçoivent en face à face sur demande. Peurs, cauchemars, insomnies, flashs en plein jour, repli et sentiment de culpabilité sont fréquents. "Les accidents de personnes peuvent créer un stress à caractère traumatique. Si le suicidant a “regardé” le conducteur, assister à ce passage de la vie à la mort est terriblement dérangeant. Pour refermer cette brèche, on les ramène au factuel, en débriefant l’accident minute par minute. On leur apprend aussi à dire que c’est le train qui a “tapé”, pas eux", explique Sylvie Teneul, qui dirige le pôle de soutien psychologique. Avec pour objectif, comme après une chute de cheval, de les faire "remonter en selle" rapidement… et en toute sécurité.
Juliette Demey - Le Journal du Dimanche
dimanche 02 septembre 2012