En juillet, 37 personnes sont mortes sur les rails. Les "suicides TGV" sont de plus en plus fréquents et les conséquences de plus en plus lourdes...
Lundi 20 août. Le TGV n°5445 de Paris à
Strasbourg file à près de 300 km/h. Il est 21 heures quand un homme est
happé sous ses roues, non loin de la gare de Champagne TGV. Arrêt de la
circulation, enquête de police, réorganisation du trafic… C’est
finalement au coeur de la nuit, à 3h55 et avec presque cinq heures de
retard, que ses 230 passagers arrivent à bon port. Dans le même temps,
par "effet domino", quatre autres trains sur la ligne accumulent près de
quinze heures de retard. Au final, ce suicide a affecté le trajet de
1.015 voyageurs. La SNCF a pris en charge les repas de tous ces clients,
affrété trois minibus, payé deux hôtels, ainsi que des taxis à plus de
470 passagers…
Chaque suicide impacte 19 trains
Chaque
jour un à deux "accidents de personne" – le plus souvent des suicides –
surviennent sur le réseau ferroviaire hexagonal. "Aux heures de pointe,
ou lors du grand week-end de chassé-croisé entre juillet et août, où
nous transportons jusqu’à 1,2 million de voyageurs, l’impact sur la
circulation des trains peut être vraiment très important ", relève
Isabelle Delobel, la directrice du Centre national des opérations
ferroviaires de la SNCF. Pas moins de 20 millions de vacanciers ont pris
le train cet été en France. Selon l’entreprise, en juillet, 92% des TGV
et 93% des TER sont arrivés à l’heure. Ce même mois, l’entreprise a dû
faire face à 37 "accidents de personnes". Chacun a "impacté" en moyenne
19 trains, auxquels il a fait perdre un total de 672 minutes. Le train
qui subit l’accident, lui, accuse au minimum deux heures de retard. Un
peu moins si la victime n’est que blessée. Mais c’est rarissime.
La
procédure est désormais rodée : arrêt de la circulation, envoi d’un
cadre pour relever le conducteur, arrivée des secours et des officiers
de police judiciaire. "Ces équipes sont sur place entre quarante- cinq
minutes et une heure après l’accident. Alors seulement l’enquête débute.
Si la preuve du suicide n’est pas immédiate, elle peut durer plus d’une
heure", explique Isabelle Delobel. La SNCF, dont l’objectif est de
reprendre au plus vite la circulation, doit attendre que celle-ci soit
bouclée et que les pompes funèbres interviennent. Pendant ce temps, elle
évalue les dégâts matériels et établit un nouveau plan de circulation.
Le trafic est parfois perturbé jusqu’à l’autre bout du pays. "Pour nous,
les accidents sur les lignes à grande vitesse sont les plus lourds. Le
train met 3 à 4 km à s’arrêter, et il faut tout inspecter entre le point
d’impact et le point d’arrêt", poursuit-elle.
Outre
le désagrément pour les passagers, ces accidents ont un coût important
pour la compagnie ferroviaire. L’entreprise ne le divulgue pas. Mais
selon l’heure et la ligne sur laquelle le suicide survient, il est
exponentiel. Remorquage de la motrice endommagée, remplacement ou
réaiguillage des trains circulant sur le même axe, suppression de rames,
affrètement de bus… Pour ces retards dus à une cause "externe", les
billets ne sont pas remboursés aux clients, sauf exception. Mais la
prise en charge des voyageurs, de leurs repas ou de leur hébergement,
alourdit encore la facture. Or pour la SNCF, la prévention des suicides
relève du casse-tête. "On sécurise tous les accès aux voies. Mais on ne
dévoile jamais les détails. Car dès qu’un accident de personne est
rapporté dans les médias à tel endroit, cela donne des idées à des
personnes fragiles." Cruel dilemme, que résume un syndicaliste :
"Comment communiquer sur les conséquences de ces suicides, sans en faire
la publicité?"
25 psychologues pour aider les conducteurs
En
coulisses, la compagnie doit aussi assumer la prise en charge des
conducteurs qui ont "tapé", selon le jargon des intéressés. Depuis 1994,
leur formation initiale intègre une journée dédiée au sujet. Ceux qui
rencontrent de tels drames peuvent appeler un numéro vert à toute heure.
Au bout du fil, 25 psychologues répondent ou les reçoivent en face à
face sur demande. Peurs, cauchemars, insomnies, flashs en plein jour,
repli et sentiment de culpabilité sont fréquents. "Les accidents de
personnes peuvent créer un stress à caractère traumatique. Si le
suicidant a “regardé” le conducteur, assister à ce passage de la vie à
la mort est terriblement dérangeant. Pour refermer cette brèche, on les
ramène au factuel, en débriefant l’accident minute par minute. On leur
apprend aussi à dire que c’est le train qui a “tapé”, pas eux", explique
Sylvie Teneul, qui dirige le pôle de soutien psychologique. Avec pour
objectif, comme après une chute de cheval, de les faire "remonter en
selle" rapidement… et en toute sécurité.