samedi 5 juillet 2025

PRÉVENTION DU SUICIDE: UN RECOURS INSUFFISANT DES PERSONNES ÂGÉES AU 3114

PRÉVENTION DU SUICIDE: UN RECOURS INSUFFISANT DES PERSONNES ÂGÉES AU 3114

PARIS, 4 juillet 2025 (APMnews) - Alors qu'une part importante des décès par suicide concernent des personnes âgées, les appels au 3114 les concernant "ne sont pas du tout à la mesure du risque suicidaire", a estimé auprès d'APMnews le chef du pôle psychiatrie du CHU de Lille et coordonnateur du numéro national de prévention du suicide 3114, le Pr Pierre Thomas.

En 2022, le nombre de suicides en France s'élevait à 9.200 selon une étude de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) (cf dépêche du 04/02/2025 à 10:41).

Elle y évaluait ce risque comme étant "beaucoup plus élevé" chez les plus âgés, et "de très loin": le taux de suicide des personnes âgées de 85-94 ans est de 35,2 pour 100.000 habitants, près du triple du taux mesuré pour l'ensemble de la population.

Par ailleurs, en 2016, les décès par suicide des personnes âgées de 75 ans ou plus représentaient 20% de l'ensemble des décès par suicide, tandis que la population de cette tranche d'âge ne constituait que 9% de l'ensemble de la population, selon des chiffres du Centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (CépiDc-Inserm), cités par le quatrième rapport de l'Observatoire national du suicide en 2020 (cf dépêche du 10/06/2020 à 18:01).

En avril 2025, le 3114 a recensé 959.000 appels reçus depuis sa création (dont 338.876 pour la seule année 2024). Le numéro national 3114 comptabilise pourtant peu d'appels concernant des personnes âgées, selon Pierre Thomas, même s'il n'existe pour l'instant pas "de système d'information permettant de disposer de données par tranche d'âge", a-t-il expliqué.

Les appels des personnes âgées passent "souvent par le 15, le numéro que tout le monde connaît. Et, depuis peu, mais de plus en plus, par les SAS [services d'accès aux soins] psy", a ajouté Pierre Thomas. Ces SAS psy sont aujourd'hui au nombre de 15 sur le territoire, rappelle-t-on (cf dépêche du 12/12/2024 à 09:45 et dépêche du 15/04/2025 à 11:00).

Il note donc "une évolution", "très récent[e] et encore limité[e]" des appels de personnes âgées au 3114 liée aux SAS psychiatriques.

Des professionnels mal armés

"Les freins à l'appel restent nombreux", lorsque l'on est âgé, a souligné Pierre Thomas. La maîtrise de l'outil téléphonique peut faire défaut, selon la coordinatrice des pôles missions territoriales, accessibilité et inégalités de santé au 3114, Chantal Mannoni, qui a relevé aussi une problématique générationnelle rendant "difficile" le fait d'"oser appeler pour exprimer son mal-être".

"Le risque suicidaire est aussi encore parfois tabou. Et la souffrance morale est aussi banalisée -on entend trop de 'c'est normal [qu'il n'aille pas], vu son âge il ne peut plus faire grand-chose, plus attendre grand-chose de la vie'", a commenté Pierre Thomas.

Des freins concernent aussi les professionnels accompagnant les personnes âgées en Ehpad, insuffisamment sensibilisés et formés au risque suicidaire, a ajouté Chantal Mannoni. "Mal armés face au risque suicidaire, les soignants ont aussi parfois peur de 'mal faire', car il n'est pas aisé de se sentir prêt à accueillir une parole de souffrance aiguë."

"Le 3114, c'est notamment ça: un numéro que les professionnels peuvent appeler parce qu'ils ont un doute, une question, sur une situation précise ou pas, ou parce qu'ils sont en recherche d'informations sur le suicide et sa prévention", a-t-elle encouragé.

Un travail partenarial "difficile"

A cet égard, le rôle des chargés de missions territoriales des 18 centres du 3114 "est essentiel", a commenté Pierre Thomas. Ils nouent des liens localement avec des équipes "ressources" pour orienter les appelants; et avec les structures sociales, sanitaires et médico-sociales, pour faire connaître le 3114, sensibiliser à la prévention du suicide et faciliter une prise en charge de proximité.

Ce travail de partenariat est jugé "difficile" concernant les personnes âgées. "Le réseau est comme 'morcelé': arriver à toucher les bonnes personnes au bon moment, c'est complexe", a constaté Marina Thibault, chargée de missions territoriales au 3114 et à VigilanS (le dispositif national de prévention de la récidive suicidaire) pour la Corse.

"Au sortir de la crise Covid, le 3114 a concentré ses efforts sur 'les jeunes', chez qui la prévalence du risque suicidaire est aussi très forte. Mais il oriente depuis environ un an très fortement son action sur les plus âgés", a-t-elle souligné.

Pour Chantal Mannoni, il est nécessaire de tisser des liens avec l'agence régionale de santé (ARS), les conseils départementaux, les collectivités territoriales, mais aussi les dispositifs d'appui à la coordination (DAC), les équipes mobiles psychiatriques, les éventuelles lignes d'écoute locales; et les équipes des structures qui accompagnent les personnes âgées (Ehpad, structures du domicile, infirmiers libéraux, médecins traitants, pharmaciens).

La Haute autorité de santé (HAS) a par ailleurs formulé des préconisations pour les établissements, dont les Ehpad, pour mieux prendre en compte le risque suicidaire (cf dépêche du 13/09/2022 à 11:08), rappelle-t-on.

La feuille de route santé mentale et psychiatrie a de même souligné la nécessité d'"adapter aux seniors la stratégie nationale de prévention du suicide" (cf dépêche du 02/05/2024 à 09:47).

ed/ms/vl/nc/APMnews

source https://www.sfmu.org/fr/actualites/actualites-de-l-urgences/prevention-du-suicide-un-recours-insuffisant-des-personnes-agees-au-3114/new_id/70553