jeudi 24 août 2017

PRESSE Reportage "VigilanS, un rempart humain contre le suicide"

VigilanS, un rempart humain contre le suicide
Par Jérôme Vincent, François Malye
Le Point.fr, no. 201708
jeudi 24 août 2017
À Lille, un dispositif pilote qui associe hôpitaux, médecins traitants et urgences accompagne les patients pour éviter les récidives.
« Depuis que je suis venue au monde, je n'ai que des problèmes, je n'en peux plus... » Au bout du fil, une voix de femme se brise en hoquets douloureux. « Il n'y a plus de solution, les médicaments sont prêts. » Dans la salle de régulation du Samu 59, à Lille, Béatrice Blockelet rajuste son casque téléphonique sur des cheveux miel. Elle entre le nom de la patiente dans un ordinateur et accède à une fiche d'information sur laquelle se trouvent son âge, son adresse, le nom et les coordonnées de son médecin traitant, du psychiatre référent et des proches, ainsi que la date de sa dernière tentative de suicide. Encouragée d'une voix douce, la patiente se raconte. Elle confie ses doutes, ses efforts et ses peurs. Rien n'échappe à l'infirmière : ni les bruits de fond ni les silences. « Je suis inquiète pour vous, je pense que vous avez besoin d'aide en urgence, énonce-t-elle calmement. Je vais contacter le centre médico-psychologique le plus proche de chez vous et je vous rappelle. Si jamais je n'ai pas de vos nouvelles, j'envoie quelqu'un chez vous. Est-ce que ça va aller ? » Quelques secondes s'écoulent. « Oui... » murmure la patiente. L'appel aura duré une vingtaine de minutes. « C'est parfois bien plus, on ne raccroche que quand on sent le patient en sécurité », explique Élise Cleva, elle aussi infirmière au sein du dispositif
VigilanS.
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  Le vendredi, l'équipe fait le point et présente les cas difficiles. © Louise Oligny Louise Oligny
« Le fait de nous appeler, c'est comme une chasse d'eau : les patients évacuent une partie de leurs idées suicidaires. Pour certains, cela empêche même le passage à l'acte. » La spécialité de cette équipe de sept personnes, composée pour beaucoup de psychologues et d'infirmiers : chercher des solutions dans l'urgence. « Les gens se livrent assez facilement par téléphone, je pense que c'est moins angoissant que de se déplacer chez un thérapeute. Mais, dès que c'est possible, nous essayons de passer le relais à d'autres professionnels. L'idée n'est pas de remplacer ce qui existe déjà », assure Stéphane Duhem, psychologue et coordinateur de la cellule de veille.
Maintenir un lien
Avec 815 décès par suicide en 2012, d'après un rapport de l'Observatoire national du suicide publié en 2016, soit 2,23 par jour, le Nord-Pas-de-Calais - 4,5 millions d'habitants - est l'une des régions de France où on se suicide proportionnellement le plus, après la Bretagne et la Basse-Normandie. En 2013, 7 375 personnes (3 310 hommes et 4 065 femmes) y résidant ont eu recours à 8 626 hospitalisations pour tentative de suicide. VigilanS a été lancé au centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) en février 2015. Depuis, tous les sites hospitaliers et les cliniques privées de la région ont rejoint le dispositif imaginé par le Pr Guillaume Vaiva, chef de service de psychiatrie adultes au CHU de Lille, avec le psychiatre Christophe Debien, coordinateur régional de l'expérimentation. L'idée paraît simple, mais repose sur une vingtaine d'années de recherches menées par le Pr Vaiva : après une tentative de suicide, à la sortie d'une structure de soins, il est important de maintenir un lien avec le patient. Celui-ci reçoit une « carte ressource », sur laquelle figure un numéro d'appel d'urgence gratuit, disponible aux heures ouvrables. Les personnes qui ont fait une tentative de suicide sont recontactées dix à vingt jours après leur sortie de l'hôpital par les membres de l'équipe VigilanS. Avant chaque contact, le patient est prévenu par courrier ou par SMS. S'il reste injoignable, plusieurs cartes postales personnalisées lui sont envoyées - une par mois pendant quatre mois.

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Dispositif VigilanS Lille © Louise Oligny Louise Oligny
« Dans votre boîte aux lettres, vous ne trouvez pas grand-chose d'autre que des factures. L'objet carte postale est investi de façon émotionnelle très importante. L'idée, c'est de montrer aux patients qu'ils comptent pour quelqu'un », souligne le Dr Debien. Au recto, des cerfs-volants sur une plage, une vue fleurie d'Amsterdam ou une voiture ancienne sur la route des vacances. Au verso, un petit mot, accompagné du numéro vert. La veille s'effectue sur six mois, davantage si nécessaire. « Mais environ 60 % des patients hospitalisés pour une tentative de suicide n'en referont jamais de leur vie. »
Douze vies sauvées
Depuis février 2015, plus de 7 000 personnes âgées de 8 à 96 ans ont bénéficié de la cellule de veille. On observe déjà une baisse d'environ 10 % du nombre de passages dans les services pour tentative de suicide. Une étude est en cours, menée par Santé publique France, qui devrait consolider ce chiffre en 2018. « Au cours des deux dernières années, je pense que ce dispositif a permis d'éviter au moins 10 à 12 drames absolus, assure le Dr Patrick Goldstein, responsable du Samu 59. J'ai peu d'exemples d'un tel bénéfice clinique net, c'est-à-dire de quelque chose qui apporte de manière indiscutable un bénéfice au patient. »
En misant sur la mutualisation des moyens, l'équipe de VigilanS est parvenue à mobiliser une multitude de services et de professionnels autour d'une même cause au niveau régional : hôpitaux, centres spécialisés, urgences et médecins traitants sont tenus informés du suivi du patient. À l'avenir, elle projette une personnalisation encore plus poussée du système, ainsi que le développement de nouveaux outils de contact : une application mobile et un portail internet.
L'agence régionale de santé Hauts-de-France a accepté de financer l'expérimentation à hauteur de 300 000 euros sur une durée de trente mois, auxquels s'ajoutent 50 000 euros de subventions de la Direction générale de la santé. Outre le Nord-Pas-de-Calais, le dispositif est actuellement expérimenté en Bretagne, en Normandie, en Occitanie et dans le Jura. Une extension à la Picardie est prévue dans les prochains mois. Son introduction en milieu pénitentiaire est également en discussion.
« Ce sont des dispositifs qui sont peu coûteux, basés sur un lien fort avec les patients, et qui produisent des effets caractérisés sans engager de structures trop importantes », juge Monique Ricomes, directrice générale de l'ARS Hauts-de-France. Et, quand les résultats définitifs de l'évaluation seront publiés, VigilanS pourrait bien se voir étendu au niveau national.