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Viviane Kovess-Masfety, directrice du département d'épidémiologie et de biostatistiques à l'Ecole des hautes études en santé publique, et directrice d'une équipe de recherche de l'université Paris-Descartes | LEMONDE.FR | 14.10.11
Viviane Kovess-Masfety est directrice du département d'épidémiologie et de biostatistiques à l'Ecoles des hautes études en santé publique, et directrice d'une équipe de recherches de l'université Paris-Descartes. Elle a auparavant dirigé la Fondation MGEN pour la santé publique, et signé N'importe qui peut-il péter un câble ? (éd. Odile Jacob, 2008). Elle réagit au suicide de la professeure de mathématiques dans un lycée de Béziers (Hérault).
Le métier d'enseignant est-il plus exposé aux troubles psychiatriques et au suicide qu'un autre ?
Les enseignants ne représentent pas, a priori, une population "à risque" pour les troubles psychiatriques ni pour le suicide. Il faut avoir été plutôt bon à l'école pour vouloir enseigner ; avoir gardé un assez bon rapport avec l'institution, une assez bonne image des enseignants. Les personnes présentant des troubles de l'impulsivité, des problèmes d'alcoolisme ou de toxicomanie sont généralement tenues à l'écart du métier, de même que celles qui ont souffert de problèmes les gênant, enfants, dans leurs études, ou qui ont développé à l'adolescence des troubles de type psychotique - personnes considérées comme les plus exposées au risque de suicide. Les enseignants qui ne supportent pas le métier abandonnent, le plus souvent, dès la formation, au cours des premières années d'exercice, ou sont en arrêt maladie ou en invalidité.
Pour devenir enseignant, une sélection s'opère donc en amont, en fonction de la "solidité" des candidats. Cela n'empêche pas les fragilités. Certains enseignants peuvent éprouver des difficultés à se confronter à la vie adulte - d'où leur choix de travailler avec des enfants. Si la grande majorité embrasse la carrière par vocation, cet atout peut se transformer en faiblesse : à être trop exigeant, on finira par être déçu.
Stress, démotivation, épuisement, dépression... Le "malaise enseignant" est-il plus de plus ou plus présent ?
Les enseignants sont une population à très haute visibilité : quand un professeur va mal, des centaines de personnes de son entourage - élèves, parents d'élèves, collègues - le perçoivent immédiatement. Autrement dit, dès qu'un enseignant rencontre une difficulté, il y a un effet démultiplicateur, un effet d'écho qu'on ne retrouve pas, ou pas autant, dans les autres professions. Cependant les études épidémiologiques sur lesquelles j'ai pu travailler montrent que les enseignants n'ont pas plus de problèmes que des personnes ayant un statut socioprofessionnel équivalent. Ils ont accès à la connaissance, se soignent, sont ouverts aux traitements psychologiques et psychiatriques, consultent médecins et médecins spécialistes, ont une bonne couverture maladie, à défaut d'avoir une médecine du travail !
Derrière cette réalité globale se cachent des situations très diverses et parfois dramatiques, avec des enseignants soumis à un stress élevé, face à des parents et des élèves difficiles, pas toujours soutenus par leur institution. Il existe un hiatus entre une situation générale, moyenne, qui semble plutôt s'être améliorée au cours des deux dernières décennies en termes de salaires et de conditions d'emploi, et des situations de vie dans les établissements qui sont extrêmement disparates. Le vécu est différent dans les collèges, considérés comme les endroits les plus à risque, et des écoles primaires ou encore l'université qui le sont moins ; dans la voie générale ou dans la voie technologique... Il existe heureusement des facteurs protecteurs : la solidarité entre collègues, le fait de se sentir soutenu par sa hiérarchie, l'existence de dispositifs de partage et de support en cas de difficultés. En réalité, quelle que soit la profession, dès que la gestion collective est privilégiée, il est plus facile pour chacun de faire face aux difficultés.
Peut-on prévenir les actes de désespoir comme celui de l'enseignante qui s'est suicidée à Béziers ?
Il est difficile de commenter une situation aussi dramatique. On manque d'informations sur le contexte, on ne fait qu'entendre qu'il s'agissait d'une personne "fragile psychologiquement" ce qui semble éloigné de la gravité de la situation.
On a tendance à confondre stress et mal-être, et troubles psychiatriques ; une confusion plus ou moins volontairement entretenue. Et pour cause : les troubles psychiatriques restent très discrédités. Confier qu'on a été hospitalisé en psychiatrie est aujourd'hui stigmatisant, même parmi les professions intellectuelles. Cela influe sur l'accès au soin, alors que celui-ci ne devrait pas être un problème pour les enseignants. A partir des données des autopsies psychologiques, sorte de diagnostic rétrospectif que l'on pratique dans le cadre de la recherche sur le suicide pour en améliorer la prévention, il apparaît que 90 % des personnes qui se sont suicidées souffraient d'au moins une maladie mentale. Les 10 % restant présentaient des profils très similaires. Pour prévenir le suicide, il faudrait, entre autres, arrêter de stigmatiser ces troubles. Propos recueillis par Mattea Battaglia
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