Encéphale 2025 Suicides en milieu hospitalier : épidémiologie, facteurs de risque et prévention
Stéphanie Lavaud
Auteurs et déclarations 10 mars 2025 https://francais.medscape.com*
À la fois évitables, tout en étant parfois imprévisibles, les suicides en milieu hospitalier sont la hantise des professionnels de santé, chez qui ces évènements génèrent souvent un sentiment d’échec et de culpabilité. Que sait-on de la fréquence et de la survenue de ces événements ? Le Dr Pierre-Emmanuel Michels, psychiatre aux CHU d’Angers et de Laval, a fait le point lors d’une session du congrès de l’Encéphale 2025 consacrée à cette thématique [1].
Aucun secteur hospitalier n’échappe à ce risque
« Tous les secteurs délivrant des soins sont concernés par la survenue de suicides et tentatives de suicide : les établissements de santé, les institutions médico-sociales et la ville. Aucun n’échappe à ce risque, même si les services de psychiatrie sont les premiers déclarants de suicides et tentatives de suicide », écrit la Haute Autorité de santé (HAS) dans un document consacré à ce sujet.
« La nature intentionnelle du geste conduit souvent à considérer la prévention du risque de suicide comme quasi-impossible. Pourtant le suicide est classé de façon universelle dans les morts évitables ou, tout du moins, partiellement évitables », poursuit-elle.
De fait les établissements sont fortement incités à la mise en œuvre d’un programme (ou projet) d’établissement, de moyens et de formations et une meilleure connaissance des contextes de survenue des suicides afin de prévenir au mieux ces événements.
En termes d’épidémiologie, les chercheurs se sont penchés sur le risque de suicide en hôpital psychiatrique dans deux cohortes, l’une aux États-Unis, l’autre en Suède [2,4]. Celles-ci retrouvent un taux de suicide nettement plus élevé que dans la population générale (multiplié par 50 à 72).
« Les facteurs de risque retrouvés sont des antécédents familiaux de suicide, des antécédents personnels de tentative de suicide et/ou d’autoagressivité, le désespoir, la culpabilité et la dépression », a listé le Dr Pierre-Emmanuel Michels. Ces deux cohortes ont aussi retrouvé un taux très important de suicide à la sortie d’hospitalisation, lors de la première semaine. « Sachant que d’un point de vue médico-légal, un décès intervenant dans les 10 jours suivant la sortie d’hôpital est considéré comme un décès à l’hôpital », a précisé le psychiatre.
Ces travaux montrent aussi un grand danger de passage à l’acte en tout début d’hospitalisation (77 %). « Cela pointe le risque éventuel à accorder des permissions en début de séjour hospitalier et la nécessité d’établir un roulement aléatoire lors de la surveillance du patient dans sa chambre. L’autre conclusion de ces papiers est qu’il n’y a pas de patients à bas risque suicidaire à l’hôpital psychiatrique », a spécifié le Dr Michels.
Début et fin d’hospitalisation : 2 périodes à risque
Une cohorte rétrospective aux États-Unis qui s’est intéressée aux décès par suicide à l’hôpital en général sur la période 2014-2015 montre que 73 % des TS hospitalières ont lieu en unités psychiatriques [5] et, tout lieu confondu, il s’agit très souvent (70 %) de décès par pendaison. « À noter que le risque d’aboutissement est plus important en cas de verbalisation d’idées suicidaires, avec un risque de 2,35 (1,43-3, 87) si les personnes présentent un trouble de l’humeur (dépression, trouble bipolaire) et de 8,0 (5,46-11,7) dans les populations non psychiatriques [5]. »
En ce qui concerne plus précisément les périodes à risque de passage à l’acte, l’orateur s’est appuyé sur deux revues systématiques de la littérature à 3 ans d’intervalle [6,7]. « Les deux vont dans le même sens et montrent que les semaines après la sortie d’hospitalisation sont à haut risque, notamment les premières semaines. Les patients ont donc besoin d’un suivi attentif », insiste le psychiatre.
La conclusion de ces deux revues est que le risque suicidaire reste élevé pendant plusieurs mois et qu’il est donc nécessaire que les patients aient un accès aux soins sur une longue durée.
Quid du décès par suicide aux urgences ? « On ne trouve quasiment rien dans la littérature sur ce sujet si ce n’est récemment une analyse qualitative aux États-Unis portant sur 184 TS pour 118 patients [8] », a indiqué l’orateur. Celle-ci montre une grande hétérogénéité des profils de patients, la plupart ne présentaient pas d’intentionnalité suicidaire à l’entrée aux urgences.
Les motifs récurrents retrouvés étaient la présence d’une psychose, l’intoxication, la gestion de la détresse et la manipulation. « L’article insiste sur la nécessité d’un plan à objectif 0 suicide, et si le risque zéro n’existe pas, d’aller le plus possible dans cette direction. »
Sécuriser les hôpitaux, psychiatrique ou non
Concernant plus spécifiquement la France, « rien de nouveau depuis une revue de 2010 [9], laquelle montrait que 5 % des tentatives de suicide ont lieu en milieu hospitalier, dont 3 % en psychiatrie et 2 % en hôpital général, donc environ 70-75 % des TS qui ont lieu en psychiatrie, comme évoqué précédemment », a rappelé le Dr Michels. Là encore, les risques majeurs sont pendant la première semaine d’hospitalisation et les deux semaines qui suivent la sortie. « L’article pointait déjà à l’époque la nécessité de sécuriser les hôpitaux, psychiatrique ou non. »
Dans un travail réalisé à la Haute Autorité de santé (HAS) dans le cadre de son Master 2, le Dr Michels s’est penché sur les TS et décès par suicide de la base de données nationale des événements indésirables graves liés aux soins (EIGS). Il s’avère que 20 % de ces EIGS étaient des suicides et des tentatives de suicide. De façon intéressante, sur une période de 4 ans, le Dr Michels a recensé 3 917 déclarations – un chiffre très inférieur aux estimations de 150 000 à 200 000 EIGS. Sur la base des 795 cas déclarés de suicide ou tentative de suicide entre mars 2017 et juin 2021, l’analyse qualitative a établi cinq grandes caractéristiques susceptibles d’expliquer ou de favoriser la TS ou le décès par suicide, à savoir :
le défaut de sécurisation – des locaux ou des meubles de la chambre ;
le manque de transmissions – intrahospitalier, inter-hôpitaux et au sein de la famille ;
la catégorie de personnel soignant – manque de formation des soignants, surcharge de travail ;
l’organisation des services – absence de protocole clair d’évaluation du risque suicidaire, absence de référence psychiatrique accessible, manque de personnel ;
des éléments liés au patient – le refus de soin, l’isolement social.
Quel impact chez les psychiatres ?
Sachant que l’exposition aux suicides de patients est une expérience fréquente et difficile pour les professionnels de la santé mentale, le Dr Michels a terminé son exposé en évoquant une enquête la prévalence et l’impact du suicide d’un patient chez les psychiatres français [11].
Un total de 764 psychiatres a entièrement rempli le questionnaire. Parmi les répondants, 9 sur 10 (87,3 %) ont dit avoir été exposés au suicide d’un patient au cours de leur carrière et 13,7 % ont rapporté des symptômes de stress post-traumatique dans les suites de l’exposition, avec de la culpabilité, de la tristesse et un sentiment de choc.
L’orateur s’est étonné que, parmi les participants à l’enquête, un nombre non négligeable (37,1 %) a dit n’avoir reçu aucun soutien après l’exposition au suicide du patient. Par ailleurs, 15,1 % des psychiatres exposés au suicide d’un patient ont envisagé de changer de carrière, sachant que le sentiment de responsabilité vis-à-vis du suicide était le prédicteur le plus important pour l’impact négatif du suicide d’un patient.
Ce qu’il faut retenir :
Tout patient est à risque ;
MAIS le premier facteur de risque est la dépression ;
Les périodes charnières : tout début de l’hospitalisation et la sortie ;
Pas de profil type aux urgences mais nécessité de lutter contre l’accessibilité aux moyens létaux ;
Nécessité de prendre soin des soignants impliqués dans l’événement ;
Nécessité d’une stratégie nationale contre les TS en milieu hospitalier.
Les suicides en intra-hospitalier : une hantise. L’encéphale 2025.
Gupta M, Esang M, Moll J et al. Inpatient suicide: epidemiology, risks, and evidence-based strategies. CNS Spectrums 2022 DOI: https://doi.org/10.1017/S1092852922000918
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