La souffrance psychique des personnes âgées peine à être reconnue dans notre société
Gardier, Stéphany page 12
Le Figaro, lundi 6 mars 2023
ON COMPREND assez aisément pourquoi l'attention des autorités sanitaires comme des médias se focalise souvent sur la jeunesse lorsqu'il est question de santé mentale. Mais « si le mal-être des jeunes est préoccupant (...), il n'en demeure pas moins que la majorité des décès par suicide concernent les adultes de plus de 40 ans, majoritairement des hommes, sans oublier que les taux les plus élevés de suicide sont constatés chez les seniors » , rappelle la Pr Laetitia Huiart, directrice scientifique de Santé publique France, dans l'éditorial du « Bulletin de santé publique sur les conduites suicidaires » publié le 3 février 2023. Les dernières données exhaustives disponibles indiquent, qu'en 2017, sur les 8 366 décès par suicide recensés en France, près du tiers avaient plus de 65 ans.
Quand il évoque le suicide des personnes âgées, Vincent Lapierre, psychologue, directeur du Centre de prévention du suicide Paris (CPS Paris), ne s'étonne même plus quand certains n'hésitent pas à lui lancer : « Mais pourquoi vous ne les laissez pas mourir tranquilles ? » « Cette remarque est le reflet d'une banalisation du suicide des personnes âgées par la société , analyse le spécialiste. Il y a en creux une vision romantique du suicide, associant le fait de s'ôter la vie à un moyen de « partir dignement » dans cette classe d'âge. Cela montre surtout que la souffrance psychique des personnes âgées a beaucoup de mal à être reconnue par la société actuelle. » Un avis que partage le Pr Michel Debout, coauteur de Suicide, un cri silencieux (Éditions Le Cavalier bleu) : « Ce n'est pas parce qu'on a 80 ans que parler de la mort est anodin. Cela peut parfois révéler une dépression. Et non, ce n'est pas « normal » d'être triste quand on est âgé. La souffrance psychique peut et doit être prise en charge à tout âge. » En France, la dépression reste sous-diagnostiquée et souvent sous-traitée chez les plus de 65 ans, comme le souligne le portail national d'information pour les personnes âgées et leurs proches.
En vieillissant, les événements difficiles se succèdent. Séparations, deuils, problèmes de santé : cette accumulation peut mettre à mal les capacités d'adaptation de certains. « Beaucoup de personnes ont des difficultés psychiques qu'elles arrivent à compenser plutôt bien grâce à leur travail, leur famille ou une activité de loisir qui les passionne , explique Vincent Lapierre. Quand ces soutiens disparaissent, la souffrance peut s'installer, parfois insidieusement et conduire certains à la crise suicidaire. » La fin de la carrière professionnelle est connue pour être un moment critique et de plus en plus d'entreprises proposent des stages de préparation à leurs salariés futurs retraités. Une autre rupture est l'entrée en institution. « Cela se fait souvent dans l'urgence, et la personne se voit brusquement privée de liens structurants au moment même où elle se trouve aux prises avec l'angoisse d'une grande dépendance » , pointe Marguerite Charazac-Brunel, psychanalyste, docteur en psychologie clinique et psychopathologie dans son ouvrage Le Suicide des personnes âgées (Éditions Érès). Elle dénonce aussi un « déni de l'intériorité de la personne âgée » mortifère. « On s'adresse à ces personnes comme à des enfants, niant tout leur vécu et leur passé, c'est extrêmement violent. Et c'est aussi leur dénier la possibilité de parler de leur souffrance. Il y a un réel besoin de changement sociétal ! »
Au CPS Paris, un groupe de parole a été mis en place pour permettre à des seniors qui ont tenté de mettre fin à leurs jours de partager leur expérience. « On peut penser que ce sont juste des personnes âgées assises en rond et qui partagent un café mais il se joue quelque chose de bien plus fort , explique Vincent Lapierre, qui coordonne cette initiative. L'intervention principale consiste à recréer du lien pour sortir ces personnes du sentiment d'isolement extrême qu'elles ressentent. » Isolement ne rime pas forcément avec solitude, prévient-il. Des gens entourés peuvent aussi se sentir très isolés, notamment quand ils pensent qu'ils n'ont plus rien à apporter. Mais quel que soit son âge, il est toujours possible de retrouver un sens à l'existence après un geste suicidaire. « On se donne juste des objectifs à plus court terme » , sourit Vincent Lapierre qui raconte avec émotion qu'une personne s'est remise à la clarinette pour jouer un morceau aux 18 ans de sa petite fille. « Dans la plupart des cas, l'espoir permet de relancer la machine, et ce n'est pas si difficile d'avoir de l'espoir » , conclut-il. S. G.