Extrait de La Lettre n° 2 / juillet - août 2021 du Conseil Départementale de Gironde de l'Ordre des Medecins
conseil33.ordre.medecin.fr*
L'éthique au quotidien
Prévention du risque suicidaire, un impératif éthique
Une prévention stratégique multimodale du risque suicidaire
Madame Doriane MARY
Psychologue Clinicienne
Docteur Florian GIRON
Praticien Hospitalier
Le suicide, défini
comme le décès consécutif à un acte délibéré accompli par une personne
qui en connaissait parfaitement ou en espérait l'issue fatale, est à l’origine chaque année de plus d’un million de décès dans le monde (14e cause de décès), et on estime que ce chiffre va augmenter de 50 %, pour devenir la 12e
cause de décès d’ici 2030 si nous n’agissons pas. Cause majeure de
mortalité prématurée évitable, l’OMS en a fait une urgence mondiale
depuis 2013. C’est également un enjeu prioritaire de la politique
nationale en Santé Publique, réaffirmé par la feuille de route « santé
mentale et psychiatrie » de juin 2018.
Le contexte épidémiologique
Chaque année en France on
dénombre environ 200 000 tentatives de suicide, à l’origine de plus de 8
500 décès (soit 15,7 pour 100 000 habitants). Pour mémoire, c’est plus
de deux fois et demi le nombre de victimes d’accidents de la
circulation. Ce taux de suicide est parmi les plus élevés de l’OCDE (22e rang).
Avec un taux de 18,2 décès pour 100 000 habitants, la Nouvelle-Aquitaine se place au 7e
rang des 13 régions françaises, avec une surmortalité́ observée par
rapport au niveau national. La Gironde, avec 14,8 décès pour 100 000
habitants par an en moyenne, paraît relativement moins impactée, mais
ces chiffres sont en trompe l’œil puisque tirés vers le bas par les taux
très faibles retrouvés au sein de la métropole bordelaise : dès lors
que l’on s’éloigne de l’agglomération de Bordeaux, on retrouve des taux
de mortalité supérieurs voire très supérieurs à la moyenne nationale ou
même régionale (Médoc, Blayais, Libournais, Sud-Gironde).
Le suicide est un phénomène multifactoriel qui résulte de l’interaction complexe de divers facteurs génétiques, psychologiques et environnementaux. Si le suicide est imprédictible, il n’en est pas pour autant imprévisible et peut donc être évité dans bon nombre de cas. Il faut à ce titre rappeler le poids considérable de la pathologie mentale dans la problématique suicidaire :
- Parmi les principaux facteurs précipitants retrouvés lors des autopsies psychologiques des patients décédés par suicide, on retrouve un trouble mental dans 90 % des cas, dont 60 % de troubles dépressifs.
- 10 à 15 % des personnes ayant une schizophrénie ou un trouble bipolaire décèdent par suicide.
- La dépendance à l'alcool aggrave le risque suicidaire.
Outre les pathologies
psychiatriques, d'autres déterminants interviennent, comme les
antécédents familiaux, l'appartenance à un groupe vulnérable, la
précarité des conditions de vie ou l'isolement.
Les idées suicidaires et des
antécédents personnels de comportement suicidaire comptent parmi les
facteurs de risque les plus importants. C’est ainsi que le Haut Conseil
de la Santé Publique (HCSP), chargé de l’évaluation du programme
national d’actions contre le suicide 2011-2015 (PNACS), recommande de
centrer les actions de prévention du suicide, d’une part sur les
personnes vivant avec un trouble psychiatrique (schizophrénie,
dépressions, troubles bipolaires…), et d’autre part sur les personnes
ayant fait une tentative de suicide.
Un plan national de lutte contre le suicide, qui doit se décliner en régions
Si le suicide est un phénomène
complexe, il peut être évité dans une majorité de situations par la mise
en place d’actions au niveau de la population générale, des populations
vulnérables ainsi qu’au niveau individuel. Une stratégie de prévention
régionale adaptée au contexte et aux ressources locales est en cours de
déploiement dans le pays avec un objectif commun : repérer et maintenir
le lien avec les personnes à risque suicidaire au plus près de leur lieu
de vie.
Ainsi, le Ministère de la Santé a fait le
choix de mettre en œuvre un ensemble d’actions de prévention intégrées,
simultanées et territorialisées, avec comme objectif commun de faire en
sorte de repérer et de maintenir le lien avec les personnes en
souffrance et de les orienter vers les ressources appropriées. Il s’agit
:
- Du maintien du contact avec la personne qui a fait une tentative de suicide, avec l’implantation au sein de chaque territoire d’une antenne du réseau VigilanS,
- De la formation actualisée au repérage, à l’évaluation et à l’intervention de crise suicidaire,
- De la prévention de la contagion suicidaire. Le programme national, multimodal et intégré Papageno lancé en 2014 et soutenu par la Direction Générale de la Santé soutient cet axe. Il vise à la fois la prévention de la contagion de masse (encore appelée l’effet de Werther) et celle de la contagion localisée (par exemple au sein d’une institution touchée par un cas de suicide) mais aussi la promotion d’un meilleur accès aux soins pour tous, en s’appuyant sur les médias et les nouvelles technologies de l’information et de la communication,
- De la mise en place d’un numéro national de prévention du suicide, accessible 24h/24 et 7J/7, dont la mise en service est prévue le 10 septembre 2021,
- Du soutien aux endeuillés par suicide (interventions de post-vention ; soutien téléphonique aux endeuillés – dispositif SUVAPSY Famille en Gironde, soutenu par l’ARS Nouvelle-Aquitaine),
- D’une meilleure information du public.
Dans cet article nous détaillerons principalement l’axe du maintien du contact avec les personnes ayant fait une tentative de suicide et de la formation des professionnels et bénévoles à la prévention du risque suicidaire.
Le dispositif VigilanS pour
prévenir la réitération suicidaire : une expérimentation lilloise en
passe de s’implanter sur tous les territoires du pays
Parmi tous les facteurs de risque de
suicide, les antécédents personnels de tentative de suicide nécessitent
une attention particulière : on considère qu’après une tentative de
suicide, le risque de nouvelle tentative de suicide est multiplié par
3,6 et le risque de décès par suicide est multiplié par 2. Ce sur-risque
n’est cependant pas linéaire au cours de la vie, et est
particulièrement important pendant les semaines et les mois qui suivent
la tentative de suicide. De ce fait, diverses initiatives se sont
développées pour renforcer la prévention auprès des patients qui sortent
des urgences ou d’une hospitalisation pour tentative de suicide.
Parmi elles, le dispositif téléphonique
VigilanS, porté par le Pr Guillaume VAIVA au CHU de Lille, a reçu un
écho très favorable de par sa logique d’implantation territorialisée, et
est en train de se disséminer progressivement à tout le pays.
S’adressant aux patients sortant des urgences ou d’hospitalisation suite
à une tentative de suicide mais aussi aux professionnels de santé
(médecin traitant, psychiatre) qui vont le prendre en charge, son
principe est d’organiser une veille post-hospitalière, de favoriser le
lien entre les différents professionnels de santé et au besoin de
coordonner la réponse à la crise suicidaire, pendant quelques mois. La
veille commence avec la remise d’une carte ressource au patient à la
sortie des urgences/de l’hôpital, comportant un numéro vert afin de lui
permettre de contacter l’équipe d’intervenants de crise s’il se retrouve
en difficulté. Les professionnels de santé suivant le patient sont
informés de la mise en place de cette veille et peuvent aussi contacter
l’équipe sur une ligne dédiée. Pendant les 6 mois suivants, le patient
sera recontacté à un rythme défini, et des cartes postales pourront lui
être envoyées pour maintenir le lien, encourager à la prise en soins et
rompre l’isolement. En cas de nouvelle crise suicidaire, l’équipe
d’intervenants pourra évaluer plus précisément la situation et
coordonner une réponse appropriée, allant parfois jusqu’à l’intervention
du SAMU-Centre 15 en cas d’urgence. Toute action de l’équipe VigilanS
auprès du patient suivi donne lieu à un courrier de liaison aux
intervenants de soins identifiés.
Depuis 2 ans et demi, le Centre
Hospitalier Charles Perrens a mis en place sur son secteur
d’intervention un dispositif de veille et de recontact téléphonique pour
les patients ayant fait une tentative de suicide. Ce dispositif,
baptisé SUVA-Psy (pour Suicide Unité de Veille Ambulatoire –
Psychiatrie) coopère fortement avec l’équipe de coordination nationale
du dispositif VigilanS depuis sa mise en service. Fort de cette
collaboration et de l’expérience accumulée par l’’équipe, SUVA-Psy
évolue pour devenir un dispositif VigilanS et s’implanter très
prochainement sur l’ensemble du territoire girondin.
La formation en prévention du suicide : un élément clé de l’approche intégrée de prévention du suicide
La formation en prévention du suicide a
pour objectif de structurer le repérage des personnes à risque
(personnes en souffrance, personnes isolées) et leur accompagnement vers
le soin, grâce à un réseau de personnes-relais, en lien avec les
professionnels qui réalisent la prise en charge et organisent le lien
avec eux.
Les premières formations à la
prévention de la crise suicidaire, dispensées dès l’an 2000 ont été
largement déclinées sur le territoire national et ont permis une
indispensable acculturation des acteurs professionnels et non
professionnels impliqués dans la prévention du suicide en alliant
information, sensibilisation, repérage, évaluation du risque suicidaire.
Toutefois, en 2016, l’évaluation par le Haut Conseil de Santé Publique
du Plan National d’Actions Contre le Suicide (2011-2014) conduit à une
refonte de ces formations dont l’élaboration est confiée au Groupement d’Etudes et de Prévention du Suicide (GEPS). Le GEPS,
société savante francophone de suicidologie, a ainsi concrétisé la
création de trois modules de formations distincts en prévention du
risque suicidaire à partir des travaux récents de la professeure Monique
Seguin au sein du Réseau Québécois pour le Suicide, les troubles de
l’Humeur et troubles Associés (RQSHA).
Le contenu de ces nouvelles
formations a été adapté aux missions assurées par les acteurs français
dans la crise suicidaire en identifiant trois rôles : la sentinelle,
l’évaluateur du potentiel suicidaire et l’intervenant de crise.
- La formation « sentinelle » (formation d’une journée) s’adresse à des citoyens ou professionnels, volontaires, en mesure et disposés à repérer, appréhender la souffrance psychologique et la problématique suicidaire au sein de leur milieu de vie (travailleur social, auxiliaire de vie, professeur des écoles, élu, gardien d’immeuble, etc.) Elle vise à promouvoir et faciliter l’accès aux soins de personnes en souffrance.
- La formation « évaluateur du potentiel suicidaire » (formation sur deux jours) s’adresse à des professionnels de santé (médecins généralistes, cadres de santé, infirmiers diplômés d’état) ou psychologues, formés à l’entretien clinique travaillant en soins primaires, en médecine scolaire ou universitaire, ou en services de santé au travail par exemple. Elle s’appuie sur une évaluation clinique, car il s’agit avant tout d’évaluer la probabilité d’un passage à l’acte suicidaire en se basant sur des éléments cliniques, qui permettent de graduer le niveau d’urgence.
- La formation « intervenant de crise » est quant à elle spécifique à la prise en charge de la phase aiguë de la crise suicidaire. Elle s’adresse à des professionnels de santé ou des psychologues, formés à l’entretien clinique qui réalisent, de manière régulière, de l’intervention de crise (SAMU, urgences psychiatriques, psychiatrie de liaison, CUMP, unités d'hospitalisation de crise, CMP etc.).
En Gironde, l’association Rénovation – spécialisée dans la prise en charge d’adolescents et d’adultes affectés par des troubles du comportement et des maladies psychiques - s’est vue confier par l’Agence Régionale de Santé la coordination de ces actions de formation. Depuis 2013, c’est plus d’un millier de personnes qui ont pu être formés au repérage et à l’évaluation du risque suicidaire.
Pour ce faire, l’Association Rénovation organise sur les différents territoires de la Gironde des formations gratuites « Sentinelle » et « Evaluateur » ouvertes à tous les professionnels et bénévoles du territoire. L’objectif du projet Prévention du risque suicidaire porté par l’association Rénovation est non seulement de constituer et d’animer un réseau girondin de personnes formées au repérage et à l’évaluation de la crise suicidaire, mais aussi de renforcer le maillage territorial, la visibilité et l’accessibilité de l’offre de prise en charge pour les personnes en souffrance psychique.
Véritable dispositif stratégique, ce
projet s’inscrit dans la politique de santé publique (inscription de ce
travail dans les différents « Contrat Local de Santé » et « Conseil
Local de Santé Mentale » de Gironde), et s’articule avec l’offre de
soins, en lien avec les différents Centres Hospitaliers et Centres
Hospitaliers Psychiatriques et les partenaires locaux. Ce travail de
partenariat a notamment donné lieu à la création de différents annuaires
territorialisés de ressources locales sur la prise en charge de
personnes en souffrance (Guide ressource), mais aussi des temps de
sensibilisation à destination du grand public et des journées de
formation autour de thèmes spécifiques (journée focus « adolescents » en
partenariat avec la Maison Des Adolescents, « troubles psychiques » en
partenariat avec des professionnels du Centre Hospitalier Charles
Perrens), etc.
Conclusion : ce qui est fait… et ce qu’il reste à faire
Aujourd’hui,
alors que le monde peine à sortir de la crise sanitaire de la Covid-19
et que des conséquences économiques et sociales dramatiques se
dessinent, les enjeux autour de la prévention du risque suicidaire
semblent s’accélérer. Car si le nombre de passage à l’acte suicidaire
n’a pour l’heure pas été impacté, la littérature montre un décalage entre les temps de crise et les réactions des personnes les plus affectées sur le plan individuel et collectif. En outre, les indicateurs montrent que la
santé mentale des personnes interrogées reste dégradée depuis le
premier confinement - avec notamment une prévalence des pensées
suicidaires (Coviprev).
Ces éléments nous font donc craindre une recrudescence des passages à l’acte suicidaire dans les mois ou années à venir. La forte hausse
des admissions aux urgences en Gironde pour geste suicidaire et
troubles de l’humeur chez les jeunes de moins de 15 ans ces dernières
semaines semblent s’en faire l’augure (données Oscour, mars 2021).
Ainsi, si les différents axes de prévention du risque suicidaire s’articulent déjà entre eux, il sera nécessaire de structurer et de continuer à coordonner les initiatives – nouvelles ou anciennes – qui impliquent de multiples acteurs, professionnels ou bénévoles, depuis plusieurs années. L’inauguration le 10 septembre 2021, à l’occasion de la journée mondiale de prévention du suicide, du numéro national de prévention du suicide, marquera sans doute une nouvelle étape dans la prise en compte des enjeux par les pouvoirs publics. Et cela, dans l’unique objectif que toute personne en grande souffrance psychique puisse avoir toutes les chances de rencontrer une oreille attentive et un accompagnement vers des ressources qui pourraient accueillir, évaluer et apaiser la crise, pour ainsi, peut-être, permettre de renouer avec la vie.
Madame Doriane MARY
Psychologue Clinicienne
Coordinatrice du Projet Prévention du Risque Suicidaire de la Gironde
Direction Générale – Association Rénovation
Tél : 07 85 99 19 17
Doriane.Mary@renovation.asso.fr
Docteur Florian GIRON
Praticien Hospitalier
Coordonnateur du dispositif VigilanS Gironde
Pôle de Psychiatrie d’Urgence et des secteurs du Médoc et du bassin d’Arcachon – Centre Hospitalier Charles Perrens
Tél : 06 65 29 92 43