02/05/2020
Au sein du monde médical français, le début d’année 2020 a été marqué par le suicide de quatre internes en médecine en deux mois[1]. Chaque année, les médias rapportent une dizaine de cas de suicides chez les internes[2]. Les internes français étant environ au nombre de 30 000[3],
il est possible d’en déduire un taux de suicide approximatif de 33 pour
100 000. À titre de comparaison, le taux de suicide dans la population
générale pour cette tranche d’âge (25-34 ans) était de 10,9 pour
100 000 habitants en 2014[4]. Un interne a donc environ trois fois plus de risque de se suicider qu’un Français de même âge de la population générale !
I - Définitions
II - La santé mentale des étudiants en médecine
Dans le monde
En France
Facteurs de risques
III - Comment améliorer la santé des étudiants en médecine ?
Réduction du temps de travail
Lutter contre la maltraitance et le harcèlement
Amélioration de la rémunération
Déstigmatiser les maladies psychiatriques, les patients souffrant de troubles psychiatriques et les psychiatres
Patients et maladies psychiatriques
Les psychiatres
Former le personnel pédagogique et les étudiants
Développer des consultations psychologiques et psychiatriques pour les étudiants en santé
Le modèle biopsychosocial[62]
Le mépris des pouvoirs publics
IV - Conclusion
Le
suicide est un phénomène complexe et multifactoriel. Il peut être
considéré comme une manifestation extrême du mal-être mais se limiter à
ce symptôme serait grandement sous-estimer la fréquence de la souffrance
des étudiants. Ce phénomène doit amener à s’intéresser de manière plus
générale à la santé mentale des étudiants en médecine.
Ce
sujet est, certes, souvent abordé dans les médias, mais avec une
confusion dans le vocabulaire utilisé. Nous commencerons donc par
définir quelques termes techniques. Nous présenterons ensuite les
données de la littérature scientifique sur la santé mentale des
étudiants dans le monde et en France. Enfin, nous développerons quelques
pistes de réflexion pour améliorer la santé mentale des étudiants en
médecine français.
I - Définitions
Étudiants en médecine :
Le système des études médicales est similaire dans la plupart des pays : une phase pré-clinique (deux à trois ans) ; une phase clinique (trois à quatre ans) puis l’internat dont la durée est variable en fonction des spécialités et des pays. En revanche, le type d’examen et le mode de sélection sont très variables. Le système français est en pleine transformation. L’internat a été réformé en 2017[5] et divisé en trois phases (socle, approfondissement, mise en responsabilité). Cette réforme, en gestation depuis plusieurs années, a été faite en urgence sur la fin du mandat de Marisol Touraine et de manière bâclée selon les syndicats étudiants, ce qui a entraîné de nombreux problèmes (modalité d’attribution des stages[6], phase d’approfondissement[7] avec le « big matching »[8],…). L’examen national classant (ECN), qui détermine le choix de spécialité des étudiants et qui avait déjà été modifié à plusieurs reprises, devrait être supprimé. L’entrée en médecine, avec un concours en fin de première année, sera modifiée pour la rentrée 2020[9].
Le système des études médicales est similaire dans la plupart des pays : une phase pré-clinique (deux à trois ans) ; une phase clinique (trois à quatre ans) puis l’internat dont la durée est variable en fonction des spécialités et des pays. En revanche, le type d’examen et le mode de sélection sont très variables. Le système français est en pleine transformation. L’internat a été réformé en 2017[5] et divisé en trois phases (socle, approfondissement, mise en responsabilité). Cette réforme, en gestation depuis plusieurs années, a été faite en urgence sur la fin du mandat de Marisol Touraine et de manière bâclée selon les syndicats étudiants, ce qui a entraîné de nombreux problèmes (modalité d’attribution des stages[6], phase d’approfondissement[7] avec le « big matching »[8],…). L’examen national classant (ECN), qui détermine le choix de spécialité des étudiants et qui avait déjà été modifié à plusieurs reprises, devrait être supprimé. L’entrée en médecine, avec un concours en fin de première année, sera modifiée pour la rentrée 2020[9].
Les hôpitaux français comptent environ 100 000 médecins thésés[10],
auxquels s’ajoutent 30 000 internes et environ autant d’externes.
Beaucoup de médecins diplômés ont une activité de consultation qui leur
prend plusieurs demi-journées par semaine. Il est important de
comprendre que les étudiants en médecine sont donc indispensables au
fonctionnement de l’hôpital et qu’ils sont souvent en première ligne. Ce
sont généralement eux qui font l’entretien d’entrée d’un patient et qui
vont ensuite l’examiner quotidiennement au cours de son
hospitalisation. Sans leurs internes, les hôpitaux français ne
pourraient pas fonctionner. Cet état de fait a été illustré en
2019 quand, à la suite de problèmes dans l’organisation des choix de
stage des étudiants en médecine, des services de gériatrie ont fait
savoir qu’ils ne seraient pas en mesure d’assurer l’accueil de leurs
malades en raison d’un manque d’internes de médecine générale[11].
La santé mentale est un terme général, nous allons définir plusieurs termes.
Santé :
Elle est définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité[12]. »
Santé :
Elle est définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité[12]. »
Dépression :
Elle est définie par l’OMS comme « un trouble mental courant se caractérisant par une tristesse, une perte d’intérêt ou de plaisir, des sentiments de culpabilité ou de dévalorisation de soi, un sommeil ou un appétit perturbé, une certaine fatigue et des problèmes de concentration ». Mais cela reste un terme trop flou, notamment à cause de son utilisation abusive par les médias. Il faut donc distinguer l’épisode dépressif majeur (EDM), qui correspond aux critères des classifications internationales internationales (Classification internationale des maladies (CIM) de l’OMS ou Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) rédigé par l’association américaine de psychiatrie), du syndrome dépressif, qui comporte seulement certains des critères de l’EDM. De ce fait, le syndrome dépressif est plus fréquent que l’épisode dépressif majeur.
Elle est définie par l’OMS comme « un trouble mental courant se caractérisant par une tristesse, une perte d’intérêt ou de plaisir, des sentiments de culpabilité ou de dévalorisation de soi, un sommeil ou un appétit perturbé, une certaine fatigue et des problèmes de concentration ». Mais cela reste un terme trop flou, notamment à cause de son utilisation abusive par les médias. Il faut donc distinguer l’épisode dépressif majeur (EDM), qui correspond aux critères des classifications internationales internationales (Classification internationale des maladies (CIM) de l’OMS ou Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) rédigé par l’association américaine de psychiatrie), du syndrome dépressif, qui comporte seulement certains des critères de l’EDM. De ce fait, le syndrome dépressif est plus fréquent que l’épisode dépressif majeur.
Burn-out :
Il a été initialement défini par le psychanalyste américain Herbert. J Freudenberger pour le personnel soignant dans un article paru en 1974[13]. Le terme a été popularisé par la psychologue américaine Christina Maslach qui a créé l’échelle de mesure du burn-out la plus communément utilisée, la Maslach Burnout Inventory (MBI)[14], dont il existe maintenant plusieurs versions (pour les médecins, les enseignants, les étudiants, etc.). L’Académie nationale de médecine a émis un rapport sur le sujet en 2016[15], qui rappelle les différents symptômes du burn-out : « Épuisement émotionnel, dépersonnalisation, réduction de l’accomplissement personnel ». On peut y lire que le burn-out « peut s’apparenter soit à un trouble de l’adaptation, soit à un état de stress post-traumatique, soit à un état dépressif » et que ses causes sont à la fois semblables à celles des risques psycho-sociaux (« exigences du travail, exigences émotionnelles, manque d’autonomie, manque de soutien social et de reconnaissance, conflits de valeur, insécurité de l’emploi et du travail ») et liées à la personnalité du sujet : « des facteurs individuels peuvent être déterminants de vulnérabilité ». Le diagnostic de burn-out est présent dans la CIM.
Il a été initialement défini par le psychanalyste américain Herbert. J Freudenberger pour le personnel soignant dans un article paru en 1974[13]. Le terme a été popularisé par la psychologue américaine Christina Maslach qui a créé l’échelle de mesure du burn-out la plus communément utilisée, la Maslach Burnout Inventory (MBI)[14], dont il existe maintenant plusieurs versions (pour les médecins, les enseignants, les étudiants, etc.). L’Académie nationale de médecine a émis un rapport sur le sujet en 2016[15], qui rappelle les différents symptômes du burn-out : « Épuisement émotionnel, dépersonnalisation, réduction de l’accomplissement personnel ». On peut y lire que le burn-out « peut s’apparenter soit à un trouble de l’adaptation, soit à un état de stress post-traumatique, soit à un état dépressif » et que ses causes sont à la fois semblables à celles des risques psycho-sociaux (« exigences du travail, exigences émotionnelles, manque d’autonomie, manque de soutien social et de reconnaissance, conflits de valeur, insécurité de l’emploi et du travail ») et liées à la personnalité du sujet : « des facteurs individuels peuvent être déterminants de vulnérabilité ». Le diagnostic de burn-out est présent dans la CIM.
Prévalence :
Elle est définie comme le « nombre de cas de maladies enregistrés pour une population déterminée et englobant aussi bien les nouveaux cas que les anciens cas[16] ». Au niveau mathématique, la formule est : (nombre de cas/population totale) *100. Il est important de préciser, notamment pour les maladies transitoires comme la dépression, sur quelle période de temps est effectuée cette mesure : les résultats seront différents selon qu’on interroge le sujet sur les deux dernières semaines, le dernier mois, les douze derniers mois ou la vie entière. Tous les questionnaires n’interrogeant pas la même période, il est possible d’obtenir des taux de prévalences qui diffèrent de façon artificielle.
Elle est définie comme le « nombre de cas de maladies enregistrés pour une population déterminée et englobant aussi bien les nouveaux cas que les anciens cas[16] ». Au niveau mathématique, la formule est : (nombre de cas/population totale) *100. Il est important de préciser, notamment pour les maladies transitoires comme la dépression, sur quelle période de temps est effectuée cette mesure : les résultats seront différents selon qu’on interroge le sujet sur les deux dernières semaines, le dernier mois, les douze derniers mois ou la vie entière. Tous les questionnaires n’interrogeant pas la même période, il est possible d’obtenir des taux de prévalences qui diffèrent de façon artificielle.
Méta-analyse :
Elle est définie comme « une démarche statistique qui permet de synthétiser quantitativement, par le calcul d’un effet combiné, les résultats d’études indépendantes ayant trait à une question de recherche bien précise. Cette synthèse des résultats est subséquente à une revue systématique et implique une méthodologie rigoureuse qui a pour but, entre autres, d’assurer l’impartialité de la synthèse et sa reproductibilité. […] Elle permet de tirer des conclusions significatives à partir de l’ensemble des données publiées, se faisant ainsi un outil puissant pour soutenir la prise de décision, notamment pour la santé publique »[17].
Elle est définie comme « une démarche statistique qui permet de synthétiser quantitativement, par le calcul d’un effet combiné, les résultats d’études indépendantes ayant trait à une question de recherche bien précise. Cette synthèse des résultats est subséquente à une revue systématique et implique une méthodologie rigoureuse qui a pour but, entre autres, d’assurer l’impartialité de la synthèse et sa reproductibilité. […] Elle permet de tirer des conclusions significatives à partir de l’ensemble des données publiées, se faisant ainsi un outil puissant pour soutenir la prise de décision, notamment pour la santé publique »[17].
II - La santé mentale des étudiants en médecine
Dans le monde
La
méta-analyse de LIsa S. Rotenstein parue en 2016 retrouve une
prévalence du syndrome dépressif de 27 % et des idées suicidaires de
11 %[18] chez les étudiants en médecine avant l’internat.
Dans
notre méta-analyse sur le burn-out parue en 2019, la prévalence du
burn-out est estimée à 44 % au niveau mondial et à 27 % au niveau
européen[19]. Il n’y avait pas d’étude française.
Chez les internes, une méta-analyse retrouve une prévalence du syndrome dépressif de 28,8 %[20], tandis que la prévalence du burn-out est estimée à 51,0 %[21].
À
titre de comparaison avec la population générale, le rapport de l’OMS
de 2017 estime la prévalence de la dépression en 2015 à 4,4 % au niveau
mondial et à 4,8 % pour la France[22].
En France
Le
Conseil national de l’Ordre des médecins a publié une enquête en 2016 :
33 % des externes et 56 % des internes ont eu un arrêt de travail dans
les deux dernières années. Dans 20 % des cas, l’arrêt maladie était lié à
un trouble psychique (soit un externe sur vingt et un interne sur
dix). De même, 7 % des étudiants ont déclaré avoir été hospitalisés,
dont 10 % pour des raisons psychiques, et 14 % des étudiants ont déclaré
avoir des idées suicidaires[23].
Les syndicats d’étudiants en médecine
ont réalisé une enquête en 2017 qui a inclus 21 768 réponses (4255 en
pré-clinique, 8725 externes, 7631 internes et 1157 jeunes médecins) ; la
prévalence du syndrome dépressif est estimée à 27,7 % et des idées
suicidaires à 23,7 %.
En
France, l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) est un
organisme public d’études et de recherche. Le dispositif central de
l’OVE est l’enquête « Conditions de vie des étudiants » (CdV), une étude
nationale dont l’objectif est de recueillir et d’analyser des
informations pertinentes sur les conditions de vie de la population
étudiante sous leurs différents aspects. L’OVE a réalisé en 2016 la
première enquête nationale sur la santé des étudiants[24]
et a obtenu près de 19 000 réponses. La prévalence sur les douze
derniers mois de l’épisode dépressif majeur chez les étudiants en
médecine est de 15,8 % (11,3 % pour les hommes et 17,4 % pour les
femmes) et des idées suicidaires de 8,8 %. La prévalence est similaire
chez les étudiants des cursus non médicaux.
L’avantage
de l’enquête de l’OVE est qu’elle utilise la même méthodologie que le
baromètre santé des Français, ce qui rend la comparaison plus
pertinente. Le baromètre santé est une étude nationale française sur un
échantillon de personnes âgées de 18 à 75 ans (25 319 pour l’édition
2017). La prévalence de l’EDM sur les douze derniers mois en 2017 est de
9,8 % : 13 % chez les femmes et 6,4 % chez les hommes[25]. La prévalence des idées suicidaires sur les douze derniers mois est de 4,7 %[26].
On
peut ainsi constater que les prévalences de l’épisode dépressif majeur
et des idées suicidaires sont beaucoup plus élevées chez les étudiants
en général, et plus particulièrement chez les étudiants en médecine, que
dans la population générale.
Facteurs de risques
Tous
les individus n’ont pas le même risque de faire un épisode dépressif
majeur. Chez les étudiants, les facteurs de risque identifiés par
l’enquête de l’OVE sont le fait d’être une femme, d’avoir des
difficultés scolaires et le sentiment d’avoir des difficultés
financières. Dans la littérature scientifique, le seul facteur de risque
apparaissant régulièrement est le sexe féminin[27]
mais reste discuté sur le fait d’être un facteur intrinsèque lié à des
caractéristiques biologiques mais également un artefact de mesure dû à
un biais de réponse lié au genre ou encore aux effets environnementaux
des rôles sociaux genrés et de leurs facteurs de risques associés
(expositions aux violences sexuelles notamment ou à des positions
sociales et salariales plus fragiles)[28]. Pour le burn-out, une étude américaine retrouve une association entre la maltraitance des étudiants et le risque de burn-out[29].
III - Comment améliorer la santé des étudiants en médecine ?
Si
l’on souhaite améliorer la santé des étudiants en médecine, il ne faut
pas seulement soigner les troubles, mais également tenter de prévenir
leur apparition. En termes de prévention, la Haute autorité de santé
(HAS) distingue trois stades : « La prévention primaire qui agit en
amont de la maladie (exemple : vaccination et action sur les facteurs de
risque), la prévention secondaire qui agit à un stade précoce de son
évolution (dépistages), et la prévention tertiaire qui agit sur les
complications et les risques de récidive[30]. »
Des
avancées ont déjà eu lieu. Il faut d’abord opérer une prise de
conscience du problème, ce qui a été permis grâce aux études
scientifiques et aux enquêtes menées par les syndicats étudiants. Cette
reconnaissance a été officialisée avec le rapport du Dr Donata Marra sur
la qualité de vie des étudiants en santé qui a émis douze
recommandations[31].
Il
s’agit ensuite de mettre en place les structures nécessaires : le
gouvernement a créé en 2019 le Centre national d’appui à la qualité de
vie des étudiants en santé[32].
Cet organisme doit notamment aider au développement de structures par
université, sur le modèle de ce qui existe déjà au sein de certains
établissements tels que le Bureau interface professeurs étudiants (BIPE)
à l’université Pierre et Marie Curie (UPMC-Paris 6)[33].
Au-delà, il s’agit désormais d’agir de façon concrète. Nous avons récemment publié une revue de littérature sur le sujet[34].
On peut, à l’heure actuelle, distinguer trois niveaux d’intervention :
institutionnel, collectif et individuel. Au vu des données de la
littérature scientifique, plusieurs pistes doivent être envisagées.
Réduction du temps de travail
La réduction du temps de travail a été testée aux États-Unis dès le début des années 2000[35]
et a montré son efficacité. Après quatre ans de procédure, le Québec a
décidé en 2011 d’interdire les gardes de vingt-quatre heures[36].
En 2013, la Commission européenne avait demandé à la France de limiter le temps de travail à quarante-huit heures par semaine[37].
L’Intersyndicale
nationale des internes (ISNI) a réalisé une enquête en 2019 sur le
temps de travail des internes français. Il en ressort que ces derniers
dépassent toujours le temps de travail hebdomadaire réglementaire de
quarante-huit heures par semaine et que 30 % ne peuvent pas prendre leur
repos de sécurité après une garde[38].
Il
faut souligner que ces résultats cachent une grande hétérogénéité et
que certaines spécialités poussent leurs étudiants à travailler bien
au-delà de ces moyennes. Ainsi, selon une enquête menée en Franche-Comté
en 2019, « 47,5 % des internes de spécialités médicales travailleraient
au-delà de soixante heures par semaine et 43,4 % des internes en
spécialités chirurgicales au-delà de soixante-quinze heures »[39].
Lutter contre la maltraitance et le harcèlement
En France, le livre Omerta sur l’hôpital. Le livre noir des maltraitances faites aux étudiants en santé
écrit par Valérie Auslender a révélé l’importance de la maltraitance
envers les étudiants en santé : 50 % des étudiants disent avoir été
victimes de propos sexistes, plus de 40 % de pressions psychologiques,
25 % de propos racistes, 9 % de violences physiques et près de 4 % de
harcèlement sexuel[40]. On a, de plus, observé ces dernières années une recrudescence des actes racistes et antisémites dans les facultés de médecine[41].
Au
niveau du harcèlement sexuel, une thèse de 2018 sur les externes en
Île-de-France retrouve une prévalence du harcèlement sexuel de 60 % chez
les étudiantes en fin d’externat. Selon la même étude, seulement 20 %
des étudiants interrogés sont capables d’identifier correctement les
quatre situations de harcèlement sexuel. En outre, plus de 90 % des
participants n’avaient jamais eu de formation sur les violences
sexuelles[42].
Selon
l’enquête Medscape de 2019, 16 % des internes disent avoir été victimes
de harcèlement, d’inconduite ou d’abus sexuel et 25 % déclarent en
avoir été témoins. Chez les médecins thésés, la prévalence du
harcèlement sexuel diminue avec l’âge des médecins : 9 % chez les
28-34 ans contre 2 % pour les plus de 45 ans[43].
Selon un certain nombre de soignants, cette lutte contre le harcèlement n’est pas portée par les institutions[44]
et il existe toujours aujourd’hui à l’hôpital un sentiment d’impunité
pour les harceleurs, comme l’a illustré le tragique suicide du
professeur Mégnien[45].
Amélioration de la rémunération
Les
étudiants en médecine deviennent salariés et cotisent à la Sécurité
sociale à partir de leur quatrième année de médecine (début officiel de
l’externat) mais leur salaire mensuel brut est de 129,60 euros la
première année, 251,40 euros la deuxième et 280,89 euros la troisième[46]. Rapportées aux heures travaillées, les externes en médecine sont donc payés 1,29 euro brut de l’heure !
À
ce très faible salaire horaire, il faut ajouter le fait que toutes les
gardes effectuées ne sont pas payées, alors même qu’elles durent
vingt-quatre heures et que leur montant est déjà très inférieur au smic
horaire[47].
L’enquête
2019 de l’Association nationale des étudiants en médecine de France
(Anemf) montre que cette politique salariale entraîne une grande
précarité chez ceux qui doivent la subir : 43,2 % des étudiants ne
mangent pas à leur faim, 30 % sautent des repas tous les mois pour
raisons financières, 25 % ont déjà pensé à arrêter leurs études pour des
raisons financières[48].
Le
salaire d’un interne augmente chaque année : 1392 euros brut (à bac +6)
puis 1573 euros puis 2125 euros hors garde. En se basant sur une
hypothèse de temps de travail hebdomadaire de cinquante-cinq heures par
semaine, on peut calculer que les futurs médecins français touchent un
salaire horaire de 6,3 euros en première année d’internat, 7,2 euros en
deuxième année et 9,7 euros en troisième année. À titre de comparaison,
le salaire horaire minimum légal (smic horaire brut) est actuellement de
10,15 euros[49].
Une
garde de nuit est payée 119 euros, soit 10 euros brut de l’heure. D’une
durée de douze heures, elle ne bénéficie pas d’une majoration pour
travail de nuit[50].
À ces tarifs insuffisants s’ajoute pour les internes la nécessité
d’être extrêmement vigilants sur leur fiche de paie : les erreurs y sont
nombreuses et les retards de paiement fréquents[51].
Déstigmatiser les maladies psychiatriques, les patients souffrant de troubles psychiatriques et les psychiatres
Patients et maladies psychiatriques
Les maladies psychiatriques souffrent en France d’une mauvaise image. Selon l’enquête Ipsos-Fondation Pierre-Deniker de
2016, « 26 % des 15-25 ans ne seraient pas prêts à s’asseoir à côté
d’une personne atteinte d’une maladie mentale dans le bus ; 51 % des
15-25 ans pensent que les personnes atteintes de maladies mentales sont
dangereuses pour les autres et 86 % des 15-25 ans ne seraient pas prêts à
être en couple avec une personne atteinte d’une maladie mentale ».
Ces
préjugés ont des conséquences négatives pour les patients qui, de ce
fait, ont peur d’être diagnostiqués puis stigmatisés. Ce déni collectif
s’étend aux étudiants et aux professionnels de la santé, chez qui la
dépression est, en effet, un puissant tabou. Loin d’être une exception
française[52],
cet état de fait est notamment lié à l’image du médecin que certains
considèrent comme devant être capable de tout encaisser et de ne jamais
se plaindre[53].
Une
étude américaine montre ainsi que les étudiants considèrent que
reconnaître sa dépression ou demander de l’aide aurait des conséquences
négatives sur leurs relations avec les autres étudiants, les enseignants
et leur avenir professionnel[54]. Nombreux sont, en effet, ceux qui considèrent encore que la dépression « n’est pas une vraie maladie ».
Une
autre possibilité, qui consiste à arrêter ses études de médecine pour
se réorienter dans une autre voie, est également très mal perçue :
« L’échec est très mal admis en médecine. Ceux qui arrêtent sont
considérés comme des fainéants, ne répondant pas aux besoins de santé
publique[55] ».
Cette
posture incite les soignants à ne pas se plaindre, à dissimuler leurs
symptômes et à douter d’eux-mêmes et de leurs compétences[56].
Les psychiatres
La
stigmatisation des maladies psychiatriques ne concerne pas seulement le
patient mais peut également s’étendre à son entourage (famille, amis),
voire aux psychiatres. C’est ce qui ressort notamment d’une enquête
effectuée en 2013 par l’Association fédérative française des étudiants
en psychiatrie (AFFEP) auprès de 1300 internes, dont 500 qui n’étaient
pas en psychiatrie, et dont les résultats ont été repris par le Dr
Déborah Sebbane pour sa thèse de médecine.
Un
quart des internes non-psychiatres n’ont jamais effectué de stage en
psychiatrie au cours de leurs études. Plus de la moitié des internes
non-psychiatres pensent que les internes de psychiatrie ont des
antécédents psychiatriques et sont « bizarres », 40 % pensent qu’ils ne
sont pas vraiment médecins et un tiers pensent qu’« un interne de
psychiatrie, ça va mal finir, la psychiatrie c’est “contagieux” »[57].
Cette stigmatisation de la part de leurs confrères et collègues est un
frein supplémentaire pour les étudiants en médecine à aller consulter un
psychiatre.
Former le personnel pédagogique et les étudiants
Au
niveau de l’encadrement, l’enjeu actuel est d’apprendre aux médecins à
être plus bienveillants avec les étudiants qu’ils encadrent. Il faut
également les rendre capables de dépister les cas de dépression et les
former pour savoir comment réagir face à un étudiant qui en présente des
symptômes afin de pouvoir l’orienter vers les structures adéquates.
L’offre de formation est aujourd’hui insuffisante. S’il existe
maintenant plusieurs diplômes interuniversitaires (DIU) de pédagogie médicale, l’université française ne propose à l’heure actuelle qu’un seul DIU « soigner les soignants », créé en 2015.
Pour
les étudiants en médecine, la formation READ (Réagir à la
discrimination vécue et anticipée, en anglais : « Responding to
Experienced and Anticipated Discrimination ») a été mise en place à la
faculté de médecine de Lille, avec des résultats encourageants[58].
Développer des consultations psychologiques et psychiatriques pour les étudiants en santé
Le
système psychiatrique français pour les adultes est sectorisé. Pour
chaque secteur géographique, il existe une unité d’hospitalisation et un
centre de consultation (Centre médico-psychologique, CMP) dont l’accès
est gratuit. Mais, en raison des restrictions budgétaires et du manque
du personnel, le délai d’attente pour un premier rendez-vous peut être
extrêmement long.
Ce
temps d’attente est encore exacerbé par le fait que la priorité est
donnée aux patients considérés comme sévères car souffrant par exemple
de troubles psychotiques ou ayant fait des tentatives de suicide. De
plus, la sectorisation est faite en fonction du lieu d’habitation, qui
peut être très éloigné de l’université : cela peut rendre difficile
l’accès au CMP pour les étudiants.
C’est
pour cela qu’il existe des BAPU (Bureau d’aide psychologique
universitaire). Comme ils ne sont pas sectorisés, le délai d’attente
pour avoir un premier rendez-vous[59] y est généralement malgré tout de plusieurs mois.
Ce
manque d’infrastructures et d’organisation a des conséquences lourdes.
Un rapport de 2017 estime qu’un tiers des étudiants en Île-de-France ont
des signes de souffrance psychologique mais que seulement 30 % d’entre
eux consultent un médecin ou un psychologue[60].
De
même, selon l’enquête de l’OVE déjà citée, seulement un dixième des
étudiants ayant un épisode dépressif majeur étaient sous antidépresseurs
et seulement un quart avaient consulté un psychiatre ou un psychologue
dans la dernière année.
Dans
les facultés de médecine où elles existent, les consultations
psychologiques sont souvent saturées de demandes, ce qui signifie que
l’offre est clairement insuffisante. Afin de tenter de remédier à ces
défaillances institutionnelles, les syndicats d’internes ont été
contraints de développer leurs propres solutions, comme SOS SIHP en
Île-de-France[61].
Le modèle biopsychosocial[62]
Il
est important de comprendre qu’un étudiant doit être considéré dans son
ensemble : il vit au sein d’une société, il a un entourage familial,
amical et professionnel, des expériences de vie, une personnalité et un
patrimoine génétique qui lui sont propres. Pour améliorer la santé d’un
étudiant, il faut donc prendre en compte l’ensemble de ces paramètres
personnels et de ses problèmes qui peuvent être variés : difficulté
d’apprentissage, problèmes financiers, problèmes familiaux, mauvaise
hygiène de vie, etc.
Le BIPE,
cité précédemment, propose des interventions individuelles (aide à
l’orientation, problème en stage, etc.) et collectives (gestion du
stress, méthodes d’apprentissage, qualité de vie, etc.) mais agit
également au niveau de l’institution sur les dysfonctionnements
pédagogiques. D’autres institutions proposent de leur côté des cours de
nutrition, des activités sportives, une aide pour les demandes de
bourse, etc.
Le mépris des pouvoirs publics
Le
non-respect de la durée de travail hebdomadaire, le salaire horaire
inférieur au smic et l’impunité de la maltraitance à l’hôpital ont déjà
été abordés dans cette note. À cette liste des manquements de l’État à
l’égard de ses futurs médecins, il convient également d’ajouter le
mépris des gouvernements envers les internes, qui resurgit et est
exprimé régulièrement de manière explicite, notamment au moment de la
gestion catastrophique du choix de stage des internes de médecine
générale pour le semestre d’hiver 2019-2020[63], ou encore au travers de l’absence de réponse du gouvernement face à la grève illimitée des internes de 2019-2020[64].
En effet, comme le reste du personnel soignant, les étudiants en
médecine peuvent être réquisitionnés et il arrive trop souvent que
l’administration ne respecte pas la loi[65].
Ce
mépris pour les étudiants s’étend également aux externes, comme
l’illustrent les chiffres tirés de l’enquête 2019 de l’Anemf sur les
droits des étudiants hospitaliers : dans 40 % des facultés de médecine,
les étudiants dépassent les quarante-huit heures de travail hebdomadaire
et ne disposent pas du repos de sécurité après une garde ; dans 20 %
des facultés, les étudiants ne sont pas autorisés à prendre l’ensemble
de leurs jours de congé ; 25 % d’entre eux ne reçoivent pas le salaire
dû pour leur garde et constatent des retards de paiement supérieur à
deux mois[66]…
IV - Conclusion
Toutes
les études retrouvent des résultats similaires : la prévalence de la
dépression et des idées suicidaires chez les étudiants en médecine est
trop élevée et largement supérieure à la population générale.
Selon
l’étude de l’OVE, un étudiant sur sept a fait un épisode dépressif
majeur et près d’un étudiant sur deux a eu des idées suicidaires au
cours des douze derniers mois.
Les
autorités administratives et politiques ont pris conscience du
problème, notamment grâce au travail des syndicats, mais les mesures
concrètes tardent. Aujourd’hui, malgré les condamnations de la France
par l’Union européenne, les grèves des étudiants en médecine et du
personnel hospitalier, la multiplication des suicides et des arrêts de
travail et des enquêtes de plus en plus alarmantes de la part des
syndicats, la situation continue de se dégrader.
Les
solutions actuellement proposées demeurent locales et reposent en
grande partie sur le bénévolat de médecins ou d’étudiants en médecine.
Peu d’argent est consacré à améliorer la santé mentale des soignants,
qui payent un tribut élevé. Leur situation s’aggravera tant que se
poursuivra la dégradation des conditions de travail à l’hôpital.
La
souffrance étudiante en médecine et des médecins n’est pas une
fatalité. Certes, ils seront toujours confrontés à la souffrance et à la
mort et ils travailleront inévitablement plus que trente-cinq heures
par semaine. Mais leur santé mentale peut être améliorée à condition de
s’en donner les moyens, notamment financiers. Ce n’est qu’ainsi qu’il
sera possible de faire évoluer les mentalités et d’améliorer leurs
conditions de travail.