lundi 20 août 2012

Article presse Un binôme anti-suicide en bourgogne

Un binôme anti-suicide en bourgogne - le 20/08/2012 sur bienpublic.com

Marie-Claude Frénisy, psychologue urgentiste. Photo C. W.

Marie-Claude Frénisy est l’une des rares psychologues cliniciennes dijonnaises à être spécialisée dans le suicide des personnes âgées. Docteur en psychologie, elle coordonne la cellule d’urgence psychologique rattachée au Samu 21.
Dans le cadre du plan national de prévention suicide initié en 1999, par le ministre de la santé de l’époque Bernard Kouchner, vous avez été désignée volontaire, avec le gérontologue châtillonais Claude Plassart, pour prévenir les risques de suicide chez la personne âgée sur l’ensemble de la Bourgogne. Quel est votre rôle concrètement dans cette mission ?
« Dans le cadre de ce plan national de prévention, chaque région de France a dû désigner un binôme pour former les professionnels du milieu médical mais aussi du service à la personne, aux risques des suicides dans les différentes catégories d’âge. Le docteur Plassart et moi-même avons opté pour travailler sur le thème de la personne âgée. Ainsi, depuis six ans maintenant nous formons en moyenne chaque année une cinquantaine de personnes. Des psychologues, des généralistes, des aides-soignantes, des aides à domicile, des coiffeuses à domicile. »
Peut-on réellement prévenir le suicide chez la personne âgée ?
« Oui, nous pouvons le prévenir. Il faut d’abord casser les idées reçues, ce que je fais en formation. Comme quoi, par exemple, il n’y a pas de signes précurseurs. Faux. Dans 8 cas sur 10, il y en a. Encore faut-il savoir les lire. La personne âgée va offrir en cadeau quelques-uns de ses effets personnels auxquels elle tient. Elle va appeler un voisin, un ami pour le remercier. Dans 80 % des cas, la personne a consulté son médecin généraliste dans la semaine qui a précédé le suicide. Elle se plaint de fatigue et de divers maux sur son corps (mal de dos…). Si on n’explore pas plus profondément, on passe à côté de messages importants. Il faut également faire très attention aux dates anniversaires. La date de la perte du conjoint par exemple. Beaucoup de personnes passent à l’acte à ces dates symboliques. Le suicide chez la personne âgée est mûrement réfléchi et en aucun cas impulsif comme chez les jeunes garçons. »
Comment peut-on intervenir ?
« Il faut absolument parler. Beaucoup trop de personne y compris les professionnels de santé n’osent pas aborder le sujet du suicide craignant d’inciter la personne à passer à l’acte. C’est une erreur ! On a jamais poussé une personne au suicide en l’écoutant et en libérant la parole. Au contraire ! Il faut oser en parler, oser dépasser le tabou.
Il faut trouver le courage de poser clairement les questions : êtes-vous malheureux au point d’avoir déjà pensé à vous suicider ? Où en êtes-vous, l’idée vous a juste traversé l’esprit ou votre scénario est-il prêt ? Si oui, qu’avez-vous prévu, où, quand, comment ? »
Ces questions semblent brutales et très choquantes…
« Oui, mais elles ne le sont pas du tout pour les personnes concernées. Dans la majorité des cas, nous observons un grand soulagement. La personne réalise que son interlocuteur a compris combien elle souffre. Dès lors, elle va pouvoir commencer à parler et libérer sa souffrance.
Il faut savoir que le suicide s’inscrit en réalité dans une crise suicidaire qui dure entre 6 à 8 semaines. Cette crise, qui est la même pour tous, comprend plusieurs étapes qui vont de l’idée à l’acte radical en passant par la recherche de solutions pour s’en sortir. En évaluant le cheminement de la personne dans sa crise, en déterminant l’étape où elle se trouve et en agissant à bon escient, il est possible de désamorcer le suicide. Selon les risques, on évitera de la laisser seule, on confisquera les armes ou les médicaments. Dans les cas extrêmes, on l’hospitalisera. »
Qu’est-ce qui pousse une personne âgée à se suicider ?
« C’est l’expression d’une très grande souffrance qui n’est pas entendue, pas comprise par l’entourage. Une souffrance liée à l’isolement, la solitude suite au décès du conjoint, d’une voisine, de l’animal de compagnie. La personne se sent délaissée, inutile, pense que si elle disparaissait ça serait mieux pour tout le monde, qu’elle ne serait plus un fardeau. La perte d’autonomie, l’entrée en maison de retraite sont également mal vécues. Il y a aussi la lassitude de la vie à laquelle elle ne trouve plus de sens. Elle a du mal à se raccrocher à de petites choses. Et pourtant, c’est possible. A 90 ans, on peut encore avoir envie de faire plein de petites choses. Et c’est là-dessus qu’il faut alors travailler avec elle. »