jeudi 29 décembre 2011

REGARD ACTEURS SOCIAUX SUICIDE AGRICULTEUR


François Régis Lenoir, agriculteur et psychologue - Etre indépendant n’empêche pas de créer du lien social
( Publié le 27/12/2011 sur terre-net.fr/ )
Problèmes relationnels ou familiaux, isolement, endettement, « paperasses », santé, management, conjoncture, météo... Les facteurs de stress ou de « mal être » ne manquent pas. François-Régis Lenoir est à la fois agriculteur et psychologue, il s’intéresse à l’Homme pour comprendre la structure des exploitations agricoles. Selon lui, une des solutions pour être bien dans son métier, serait de savoir créer davantage de liens sociaux.

Selon François-Régis Lenoir, « il n’y a pas d’économie sans hommes. Pour comprendre les structures agricoles, il est essentiel d’intégrer du complexe et de l’irrationnel. Cela permet par exemple d’expliquer les désaccords entre agriculteurs au sein d’une Cuma ou avec un salarié, et même, pourquoi certains achètent des tracteurs surdimensionnés par rapport à leurs besoins. » 

 « Les agriculteurs qui peuvent transmettre leur exploitation ne vont pas bien, et ceux qui ne peuvent pas transmettre ne vont pas bien non plus ! Les premiers s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants, les seconds se dévalorisent sur leur incapacité à transmettre leur métier », commente François-Régis Lenoir lors d’une conférence organisée à l’occasion de l’Assemblée Générale du Btpl (Bureau technique de la promotion laitière). Cet agriculteur des Ardennes est également docteur en psychologie sociale et professeur d’université. Un parcours atypique qui l’amène à s’intéresser aux stress et autres maux récurrents dans la profession agricole.

En collaboration avec la Msa, François-Régis Lenoir cherche à comprendre la « structure humaine » des exploitations. Selon lui, il y a une confusion entre les besoins d’indépendance et d’autonomie légitimes des agriculteurs, et le sentiment d’isolement. Avec trois fois plus de suicides dans le milieu agricole que dans l’ensemble de la population active, « la nécessité d’amener davantage de liens sociaux, d’entraide et de partage de compétences est réelle. Il y a un décalage entre le phénomène d’individualisme et la difficulté à aller chercher de l’aide lorsqu’on en a besoin », signale-t-il. Selon Florent Bouvard, administrateur à la Fncuma et agriculteur dans l’Ain : « la Cuma reste l’un des derniers endroits où l’on a l’occasion de rencontrer du monde. Mais il réside encore aujourd’hui une grande pudeur à parler de ses problèmes ».
« Les personnes en avance aujourd’hui, le seront encore plus demain »

Une récente étude menée auprès d’éleveurs laitiers a permis d’identifier les nombreux facteurs de stress chez les exploitants. Il en ressort, par exemple, que les laitiers en Gaec sont souvent stressés par la qualité des relations entre associés. Ou alors, que les femmes sont plus tourmentées par l’endettement, tandis que les hommes s’inquiètent des pannes de machines.

« Les personnes qui arrivent à nommer leurs peurs sont mieux à même de vaincre leur stress. Cela demande un effort analytique, car de nombreux facteurs de stress sont liés à des éléments sur lesquels l’agriculteur ne peut pas agir directement tels que la météo, la conjoncture économique, les réglementations… Certains ruminent les problèmes au lieu de réfléchir aux solutions et alternatives possibles, » note François-Régis Lenoir. Le manque de visibilité dans l’avenir entraine des difficultés à prendre des décisions. Aussi, « nous remarquons que les agriculteurs qui sont engagés par un mandat (électoral, syndical, associatif,…) ont le sentiment de mieux contrôler la situation et prennent des décisions plus aisément. »

En fait, l’agriculteur n’a pas réellement d’épaule sur laquelle il peut se reposer. Alors que le salarié d’une entreprise peut s’appuyer sur ses collègues, l’agriculteur a peu de soutien et se sent rapidement pris en étaux entre l’amont et l’aval. « En effet, les banques, les conseillers, les technico-commerciaux ne sont pas des collaborateurs directs de l’exploitation et cherchent légitiment à tirer profit de leurs activités », fait remarquer François Régis Lenoir.

Les compétences sociales, ça s’apprend !

« Nous avons tendance à penser à tort, que l’agriculture ne fait qu’un ; alors que les filières et les agriculteurs ne se ressemblent pas. C’est un milieu très hétérogène avec des profils variés. Les différences se font de plus en marquées entre "paysans", "agriculteurs" et "entrepreneurs". Les personnes qui sont en avance aujourd’hui le seront encore plus demain. »

Manager une équipe ou un salarié, cela s’apprend, ce n’est pas inné. Les compétences requises dépendent certes de son propre parcours, de son expérience mais elles devraient surtout être enrichies par de la formation. Il faut essayer de donner de la méthode aux agriculteurs pour apprendre à travailler en groupe », explique l’agriculteur-psychologue. Il peut s’agir par exemple d’être à l’écoute, d’avoir de l’empathie, de la sociabilité, etc. Le bon développement d’une équipe de travail débute par l’énonciation des objectifs et de la façon dont on résoudra les problèmes qui surviendront tôt ou tard.

« Lorsque l’organisation est trop "monolitique", autrement dit, trop verticale avec des liens de subordination trop prononcés, les relations tendent à se dégrader. Il faut mettre en place des mesures préventives, comme la formation au management, avant de se retrouver devant des exploitations en situation critique. »


Source : Terre-net Média
Auteur : Robin Vergonjeanne
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