source : http://www.liberation.fr/societe/01012369974-des-codetenus-contre-le-suicide-en-cellule
Des codétenus contre le suicide en cellule
Expérimentation. L’administration pénitentiaire teste la détection des prisonniers à risques par leurs pairs.
Par FABIEN SOYEZ
Face au suicide en prison, l’administration pénitentiaire teste depuis mars 2010 les «codétenus de soutien» (CDS) dans trois maisons d’arrêt (Strasbourg, Villepinte et Bordeaux). Le principe ? Un petit nombre de détenus, volontaires, sont sollicités pour accompagner les prisonniers à risques suicidaires. Après une formation de trente heures dispensée par la Croix-Rouge, leur mission est de repérer ceux qui ont un «comportement à risques», proches du passage à l’acte, puis de prévenir la direction. Si celle-ci est d’accord, les volontaires reçoivent les détenus en détresse dans leur cellule, pour leur apporter un «soutien psychologique». «C’est le principe de la prévention par les pairs», lance Jean-Louis Terra, psychiatre, concepteur du dispositif. Pour lui, les codétenus ont un rôle de «premiers de cordée» : «Ils peuvent détecter des situations difficiles à voir, ils sont déjà passés par là.»
«Relais». Une équipe de chercheurs réalise une évaluation de l’expérimentation. Un rapport sera remis à Michel Mercier, le ministre de la Justice, cette semaine. Jean-Louis Terra propose de «pérenniser» le dispositif, en l’étendant aux neuf directions interrégionales pénitentiaires, avec une prison par direction.
Selon un document confidentiel de l’administration pénitentiaire, 83 détenus se sont suicidés en France entre janvier et septembre. Et, dans les maisons d’arrêt concernées par le test, les suicides restent au même niveau qu’avant le début de l’expérimentation. «Hélas, ces personnes n’ont pas été repérées par les codétenus de soutien», concède Terra.
Au-delà, le dispositif semble «accepté par les détenus», selon Olivier Pedro-Jose, porte-parole adjoint du ministère de la Justice : «Les CDS ont même des relais parmi les détenus, qui leur signalent des prisonniers en souffrance.» A Villepinte, où six détenus apportent depuis un an un «soutien psychologique», même son de cloche : «On a réussi à prévenir les passages à l’acte de personnes aidées», affirme Ludovic Levasseur, médecin chef de l’unité de consultations et de soins ambulatoires de Villepinte.
Mais le système est contesté. «Ce n’est pas la panacée, remarque Ludovic Levasseur. Les CDS doivent rester encadrés. Que se passerait-il si un détenu se suicidait ? Comment réagirait le codétenu ?» Stéphane Lagana, longtemps psychologue en milieu carcéral, s’oppose au dispositif : «On ne demande pas à des prisonniers de se porter garants de leurs camarades. S’il y a un suicide, le codétenu se sentira responsable.» Pour lui, une formation de trente heures est insuffisante. «Même pour les professionnels de la santé, un suicide est difficile à supporter. Alors, confier une telle responsabilité à un détenu, c’est délirant.»
«Sélection». Pour tenter de rassurer, Terra insiste sur une «sélection drastique» :«On choisit des personnes solides mentalement. Sur une centaine de candidats, on en prend un ou deux.» Et, pour «préserver» les CDS, «on ne les sollicite pas pour aider les profils psychologiques lourds. On les fait autant que possible travailler en binôme, ils se relaient pour ne pas trop s’attacher, et ils ne passent pas la nuit dans la même cellule que ceux qu’ils aident», indique Levasseur.
Mais, à l’Observatoire international des prisons (OIP), François Bès estime que «ce n’est pas le rôle d’un détenu d’en assister un autre. C’est une mission de l’administration pénitentiaire, qui ne doit pas s’en défausser». Il propose d’agir plutôt contre la surpopulation carcérale (64 000 détenus pour 56 000 places) et d’autoriser plus de visites au parloir pour favoriser «les relations sociales».
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