lundi 23 juin 2025

Face à la hausse des suicides de détenus, les prisons françaises renforcent la prévention

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Face à la hausse des suicides de détenus, les prisons françaises renforcent la prévention

Christophe Gattuso

4 juin 2025 https://francais.medscape.com/*

Le chiffre est glaçant et illustre une effroyable réalité : les détenus se suicident 10 fois plus que la population générale, 20 fois plus quand ils sont placés à l’isolement en quartier disciplinaire. Et malgré les innombrables protocoles et les plans gouvernementaux de prévention du risque suicidaire, l’univers carcéral est un environnement suicidogène.

Dans une récente étude, la Direction de l'administration pénitentiaire (Dap) a rendu publics de nouveaux résultats inquiétants. 157 détenus se sont donné la mort en 2023 contre 139 en 2022, soit 13 % de plus que l’année précédente. Cette évolution est supérieure à la hausse du nombre de prisonniers. Le taux de suicide est ainsi passé de 16 à 17,5 pour 10 000 détenus entre 2020 et 2023.

La moitié des victimes a moins de 40 ans

Pour la première fois, une étude présentée le 28 mars à Paris lors du congrès de l'Association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP) permet d'en savoir plus sur les antécédents de santé des personnes détenues décédées par suicide mais aussi sur les circonstances des passages à l’acte. Alexis Vanhaesebrouck, médecin de santé publique, a exploité les principaux résultats d’une  étude de Santé publique France sur les suicides de 598 personnes détenues en France entre 2017 et 2021.

« Les suicides ont concerné à 95% des hommes et plus de la moitié sont survenus chez des personnes de moins de 40 ans », précise le chercheur.

« Parmi les détenus qui se sont suicidées, près de la moitié avaient présenté des troubles psychiatriques avant l’incarcération et on observe une augmentation des troubles associés à l’incarcération », observe l’épidémiologiste.

Par ailleurs, un tiers des défunts avaient formulé des menaces de suicide auprès des équipes soignantes et des idées suicidaires avaient été identifiées pour un quart des cas.

Souvent un fait traumatique à l’origine du suicide

Lorsqu’elles ont été interrogées sur leur connaissance d’un événement susceptible d’être à l’origine du passage à l’acte, dans un tiers des cas, les autorités pénitentiaires ont répondu par la négative.

 

« Lorsqu’elles pensaient avoir une indication, elles ont rapporté un fait traumatique lié le plus souvent à la situation pénale (condamnation judiciaire) ou une situation carcérale comme un placement en quartier disciplinaire ou à une situation familiale (demande de divorce) », relève Alexis Vanhaesebrouck.

« Peut-être peut-on renforcer le repérage et la prise en charge du risque suicidaire dans les unités sanitaires ? Mais aussi renforcer les dispositifs de soins psychiatriques et de soutien psychologique aux détenus fragiles », a conclu le chercheur devant des professionnels de santé en prison.

La prévention du suicide carcéral, objectif revendiqué des autorités

Le suicide en détention est une préoccupation majeure de la Direction de l’administration pénitentiaire, qui a adopté un vaste plan national élaboré en 2009, régulièrement remis à jour. Des « référents suicide » ont été mis en place au sein de chaque direction interrégionale et de chaque établissement.

Un guide de la prévention du suicide en milieu carcéral a également été élaboré et diffusé en 2023. En outre, la prévention du suicide constitue un objectif important de la feuille de route santé 2024-2028 des personnes placées sous main de justice (PPSMJ).

La surveillance des détenus est engagée dès leur entrée en prison lors d’une visite médicale. L’arrivée en prison est en effet un moment sensible pouvant générer un « choc carcéral ».

« 11% des suicides des détenus entre 2017 et 2021 sont intervenus la première semaine d’incarcération, soit un taux de suicide 6 fois plus élevé que pour le reste de leur incarcération », relève Alexis Vanhaesebrouck.

Des professionnels de prison formés à la prévention du suicide

Une grande partie des professionnels exerçant en prison ont suivi la formation « Terra » sur la prévention du suicide à l’École nationale d’administration pénitentiaire (Enap), puis en formation continue.

« Tout le monde dans l’univers de la détention est plus ou moins formé, le SPIP, les bénévoles, l’équipe médicale des unités sanitaires, on a probablement plus de détection des idées suicidaires en détention car plus de gens posent la question », observe une psychologue clinicienne référente en prévention du suicide et formatrice d’une ville de l’Ouest de la France.

Des commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) de « Prévention du suicide » ont été mises en place par l’administration pénitentiaire. Elles se tiennent deux fois par mois dans chaque établissement, réunissant le personnel pénitentiaire et d’autres intervenants en détention, notamment les soignants. Des actions à mettre en œuvre y sont décidées pour les personnes détenues présentant un risque suicidaire majeur, actions qui doivent ensuite être listées et suivies dans des plans de protection individualisés (PPI). 

Le 3114 expérimenté dans 5 prisons

Depuis 2014, existe également le dispositif des codétenus de soutien, des personnes détenues volontaires, qui après une courte formation, dispensée par la Croix-Rouge française et l’Union nationale de prévention du suicide, deviennent des acteurs de la prévention du suicide dans leur établissement. Le codétenu de soutien peut être appelé par l’administration pénitentiaire pour aller voir certains détenus fragiles. Il sert d’intermédiaire s’il y a des problèmes particuliers.

Dans de très nombreuses prisons des Hauts-de-France a été mis en place le dispositif VigilanS, dont l’objectif est de réduire le risque de réitération suicidaire. Le principe consiste à envoyer des cartes postales aux détenus pour maintenir le contact et leur proposer un soutien psychologique.

Depuis quelques mois, le 3114, numéro national de prévention du suicide, est testé à la maison d'arrêt d'Angers et dans quatre autres prisons (Brest, Poitiers-Vivonne, Uzerche et Rouen). Ce numéro, gratuit, confidentiel et accessible 7J/7 et 24H/24 sur l’ensemble du territoire (métropole et Outre-Mer) offre une réponse professionnelle pour les personnes suicidaires et leur entourage. Ce service est assuré par des infirmiers et psychologues spécifiquement formés et placés sous la supervision d’un psychiatre.

La prévention du suicide concerne aussi les détenus en fin de peine. Des équipes mobiles transitionnelles (Emot), composées de psychiatres, psychologues, infirmières… se déploient dans plusieurs régions, comme à Lille ou à Toulouse, pour accompagner les détenus dans leur réinsertion. « Ces équipes préparent la sortie de prison car c’est une période très anxiogène pour les détenus et potentiellement pourvoyeuse de suicides », relève Lucie Séguret, interne en 5e semestre de psychiatrie à l’UHSA de Seclin (Nord).

Source https://francais.medscape.com/voirarticle/3612952#vp_1