jeudi 7 avril 2022

CANADA AUTOUR DE LA QUESTION Le deuil chez les hommes: cinq mythes à déboulonner

Le deuil chez les hommes: cinq mythes à déboulonner
3 avril 2022 https://www.ledroit.com/*

Geneviève Gauthier  Candidate au doctorat sur mesure en sciences sociales et travailleuse sociale, UQAC

Gwenaël Granal  Intervenant Social, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)

Jacques Cherblanc  Professeur, anthroposociologie et éthique, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)


ANALYSE / Les normes sociales influencent la manière dont nous composons avec les différentes situations de la vie et comment les membres de notre entourage interagissent avec nous.

C’est ainsi que certaines réactions apparaissent appropriées pour une femme alors qu’elles sont perçues comme étant inappropriées pour un homme. On sait par exemple que l’expression de certaines émotions «négatives» comme la peur et la tristesse est découragée chez les jeunes garçons, et tolérée chez les jeunes filles, qu’on socialise à être patientes, sensibles et empathiques.

Lors d’un décès, l’entourage peut s’interroger sur la normalité des manifestations de chagrin selon qu’il est exprimé par une femme ou par un homme. Des préjugés existent en effet en fonction du genre. En tant que chercheurs en socio-anthropologie sur le deuil et intervenant en santé bien-être des hommes, nous essayons de comprendre le vécu derrière chaque deuil, dans ses particularités individuelles. Menant actuellement le projet COVIDEUIL, nous constatons que le vécu des répondants masculins est très éloigné des croyances populaires.


Voici cinq mythes que nous désirons démystifier sur le deuil des hommes.
Mythe #1: les hommes moins affectés par le deuil

On entend souvent que les hommes sont moins affectés par le deuil. Ce type de mythe prend racine dans l’éducation sociale de l’homme. On attend de lui qu’il soit «fort» et «solide», donc «qu’il manifeste peu ou pas d’émotions en public et se montre ni trop éploré, ni trop vulnérable». La culture peut ainsi rendre difficile l’expression de leur souffrance morale. De plus, les deuils «symboliques» tels que la perte d’un emploi, la fin d’une relation amoureuse ou une importante perte financière touchent grandement les hommes, car ils se définissent souvent par ce qu’ils font et ce qu’ils ont. Ce type de deuil entraîne une grande souffrance chez les hommes, qui peut les conduire, plus souvent que les femmes, au suicide.
 

Mythe #2: les hommes expriment moins leur deuil

S’il est vrai que certains hommes soient moins portés à utiliser la parole pour exprimer leur deuil, ils mobilisent des stratégies davantage axées sur l’agir et le mouvement. En effet, les hommes sont davantage portés à vivre leur deuil à travers l’action et à l’exprimer dans des contextes plus informels, comme une conversation entre amis. C’est que plusieurs hommes sentent qu’ils doivent vivre dans ce qu’on appelle un «Man Box», un construit rigide représentant l’identité masculine. L’expression verbale du deuil peut alors être perçue comme un signe de faiblesse. Il est alors faux de dire que les hommes expriment moins leur deuil : ils l’expriment autrement — notamment par le silence — et davantage par des actions — comme la violence ou l’isolement — que par des mots.
Mythe #3: le deuil des hommes est moins long

La «durée» d’un deuil ne peut être calculée précisément. En effet, chaque trajectoire ne saurait être réduite à un début et une fin clairement définis. Nous savons que le genre peut influencer les «styles» de deuil, en mobilisant par exemple des stratégies centrées sur «l’intuition» (émotions) ou sur «l’instrumentalisation» (expression physique et cognitive), mais que la durée varie d’un individu à l’autre plutôt que d’un genre à l’autre.


Il existerait cependant pour les hommes une pression pour «reprendre une vie normale rapidement» qui se traduirait par un retour au travail rapide, une prise d’action pour se tenir occupé et un vécu du deuil dans le secret. Il s’agit autant d’une pression sociale qu’une manière de vivre le deuil qui implique de lui donner du sens par le retour à une vie «normale». Ces aspects pourraient laisser croire que le deuil des hommes est moins long et qu’ils auraient moins besoin de ressources que les femmes, alors que ce n’est pas le cas.

 
Il y a pour les hommes une pression pour reprendre une vie normale rapidement, alors que chaque trajectoire ne saurait être réduite à un début et une fin clairement définis.


Mythe #4: les hommes ont besoin d’être seuls pour vivre leur deuil

Pour certains hommes, la solitude peut être bénéfique dans le cheminement du deuil. Mais cela ne signifie pas que c’est le cas tout le temps et pour tous les hommes. En fait, les jeunes hommes sont plus enclins à rapporter qu’ils offrent du soutien à d’autres que de rapporter qu’ils sont émotionnellement vulnérables. Les hommes craindraient d’aller chercher du soutien dans leur entourage, non pas parce qu’ils n’en ont pas besoin, mais parce que cette pratique ne cadre pas avec les attentes sociales liées au genre masculin.

L’étude de Promundo portant sur l’identité masculine aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Mexique révèle que lorsque les hommes demandent du soutien, ils le font le plus souvent auprès des femmes dans leur vie. Il ne serait donc pas question d’un «besoin d’être seul», mais davantage de cadrer avec la « nécessité » de ne pas perdre la face. Il s’agit même parfois d’une difficulté a percevoir son propre besoin d’aide.
 

Mythe #5: les hommes souffrent moins de perturbations du deuil

Si l’expression des émotions fait émerger un sentiment dévalorisant pour l’homme, il est possible que celui-ci décide de se renfermer sur lui-même et d’intérioriser la souffrance qu’il vit en lien avec un décès. La honte, émotion forte et dominante dans un tel contexte, peut renforcer l’idée qu’il vaut mieux cacher la détresse.

Cela rend les manifestations anxieuses et dépressives plus difficiles à discerner pour l’entourage, pouvant donner l’impression que les hommes souffrent moins de perturbations du deuil. Alors que dans la réalité, les perturbations ne sont pas forcément là où on les attend : l’irritabilité, le surmenage et l’automédication en sont des exemples. Deux suicides sur trois en 2018 concernaient des hommes, alors que les femmes sont 4 fois plus nombreuses à faire des tentatives de suicide.

Un deuil récent peut amplifier la fragilité d’une personne, en créant un déséquilibre dans sa vie. Il ne faudrait pas, en ce sens, assumer qu’un homme est moins à risque de développer des perturbations du deuil sur la seule base de son genre.
Connaître le vécu des hommes pour déconstruire les mythes

Les associations entre genre et deuil sont ancrées dans les représentations sociales et ne sauraient représenter l’ensemble des trajectoires de deuil de chaque homme ou femme. Comme nous l’écrivions dans un précédent article sur les étapes du deuil de Kubler-Ross, chaque deuil est particulier.

À cet égard, nous réalisons en ce moment une importante étude sur le vécu du deuil en temps de pandémie. Or, les hommes participent peu aux études sur le deuil. Nous souhaiterions mieux connaître leur vécu et les invitons à nous le faire connaître en y participant : covideuil.ca.

C’est par les connaissances scientifiques que l’on peut le mieux combattre les mythes et ultimement prendre en compte l’expérience singulière des trajectoires de deuil de chacun, au-delà des idées reçues et des stéréotypes de genre.


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Ce texte est d'abord paru sur le site franco-canadien de The Conversation. Reproduit avec permission. La Conversation est un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant, qui publie des articles grand public écrits par les chercheurs et les universitaires. Son objectif est de permettre une meilleure compréhension de l'actualité et des sujets les plus complexes.

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