Florence Rosier - 30/01/2017
Pour renforcer les compétences psychosociales des élèves, la France expérimente depuis cinq ans des programmes que les pays anglo-saxons ont testés et approuvés depuis déjà trente ans, note Béatrice Lamboy, présidente de l'Association francophone d'éducation et de promotion de la santé.
Béatrice Lamboy,
docteure en psychologie clinique, est présidente de l'Association
francophone d'éducation et de promotion de la santé (Afeps). Elle
enseigne les compétences psychosociales à l'université.
Les compétences psychosociales (CPS) sont ces ressources intérieures qui nous aident à vivre en société. Depuis trenteans, les pays anglo-saxons ont déployé des programmes visant à les renforcer, à l'école notamment. Qu'en est-il aujourd'hui en France?
Depuis environ cinq ans, les régions développent de tels programmes. Il y a une prise de conscience que ces aptitudes sont incontournables pour le bien-être, la santé mentale et la réussite éducative, mais aussi dans la prévention des conduites à risque, des violences et des addictions. A l'intérêt manifeste de nombreuses agences régionales de santé, se joint une demande croissante de l'éducation nationale. Pour autant, on ne dispose pas de bilan national. Ce sont encore des expérimentations, des initiatives locales. Le point d'achoppement reste la rencontre entre le monde scientifique, qui développe et utilise des programmes validés à l'international depuis plus de vingt ans, et le monde local francophone, qui expérimente des approches de terrain.
Quels sont les freins?
Il n'y avait pas de programmes «clés en main» structurés, conçus et validés en France. Il a donc fallu récupérer des programmes développés dans des pays anglo-saxons. Depuis 2009, j'ai pu en expérimenter plusieurs en France. Souvent, ils n'ont pas fonctionné comme nous l'espérions. Les programmes validés aux Etats-Unis sont culturellement marqués. Très structurés, ils utilisent des manuels très cadrés qui peuvent déranger les intervenants français, plus habitués aux échanges libres ou à la transmission de messages de prévention. Autre frein: certains de ces programmes sont brevetés. La formation à ces programmes et l'accès aux supports sont payants. En France, les instances régionales d'éducation et de promotion de la santé ou l'Afeps ne sont pas dans cette logique. Nous mettons les programmes que nous développons à la disposition du plus grand nombre.
Quelles sont les conditions pour que ces programmes soient efficaces?
La qualité de l'adaptation et de l'implantation locale est déterminante. Il faut aussi que ces interventions soient fidèles au contenu initial des programmes validés dont elles dérivent. Les éducateurs qui réalisent ces interventions doivent être bien formés. Il faut une équipe éducative réceptive. Enfin, il faut une cohérence entre les pratiques développées avec les enfants et celles mises en oeuvre au quotidien par les adultes, dans la gestion de la classe ou de la cour de récréation, par exemple. On conseille généralement que ces programmes soient intégrés dans une dynamique globale de l'école.
Certaines initiatives, en France, sont parvenues à récupérer le meilleur des activités des programmes anglo-saxons validés et à les adapter au contexte français. Facilement utilisables, ces programmes sont très bien reçus.
L'avenir n'est-il pas dansla formation des professeurs d'école àces compétences?
Bien sûr. Ni l'école ni l'enseignement de la pédagogie ne peuvent faire l'impasse sur les compétences psychosociales. Mais ce sont des apprentissages en rupture avec l'enseignement magistral à la française. On ne peut pas rester dans une transmission verticale des savoirs.
Quand il s'agit d'éduquer à la régulation de la colère, par exemple, on travaille des savoir-faire, on touche au savoir-être: cela nécessite de passer par l'expérience, la pratique, les jeux de rôle... L'enseignant est, de fait, impliqué. Ainsi, intervenir dans les cursus d'enseignement publics ou privés des maîtres d'école reste un défi. Il n'y a pas encore de consensus sur les contenus à enseigner ni sur les moyens de les apprendre.
Ces interventions doivent-elles cibler les quartiers difficiles?
Il a été bien montré que les CPS sont bénéfiques chez tout le monde. Si elles ne sont pas travaillées à l'école, elles dépendent de l'environnement familial. Or, dans certaines familles, la gestion des émotions et des relations aux autres est problématique. Il y a là une source d'inégalités énorme.
Le renforcement de ces compétences est destiné à tous, dans une logique de bien-être et de réussite éducative. Il a même été montré que l'insertion professionnelle et le bien-être au travail étaient meilleurs chez les adultes qui en ont bénéficié dans l'enfance. C'est un enchaînement vertueux qui est impressionnant.
Quel est l'âge idéal pour renforcer ces compétences ?
L'idéal serait de commencer très tôt. Dès 10 ans, les enfants ont acquis des modalités de relation aux autres et de gestion de leurs émotions. Dans le Val d'Oise, avec l'Afeps, nous développons un programme expérimental en crèche, pour les 2-4 ans, en nous inspirant de ce qui se fait à l'étranger, notamment au Québec. Prenons l'exemple du rapport aux émotions. On a tendance, en France, à avoir peur de ses émotions, à s'en couper, surtout quand il s'agit de la tristesse ou de la colère. Le fait de refuser cette expérience émotionnelle est culturel. Pour autant, on peut travailler, chez le tout petit, le fait d'être à l'aise avec ce type d'émotions. Apprendre à les reconnaître, les accepter, les réguler peut avoir beaucoup d'impact pour soi-même et pour les relations avec les autres. Ces apprentissages favoriseront l'entrée à l'école maternelle et pourront être utiles tout au long de la vie.
http://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/01/30/les-programmes-psychosociaux-sont-en-rupture-avec-l-enseignement-magistral-a-la-francaise_5071754_1650684.html
Les compétences psychosociales (CPS) sont ces ressources intérieures qui nous aident à vivre en société. Depuis trenteans, les pays anglo-saxons ont déployé des programmes visant à les renforcer, à l'école notamment. Qu'en est-il aujourd'hui en France?
Depuis environ cinq ans, les régions développent de tels programmes. Il y a une prise de conscience que ces aptitudes sont incontournables pour le bien-être, la santé mentale et la réussite éducative, mais aussi dans la prévention des conduites à risque, des violences et des addictions. A l'intérêt manifeste de nombreuses agences régionales de santé, se joint une demande croissante de l'éducation nationale. Pour autant, on ne dispose pas de bilan national. Ce sont encore des expérimentations, des initiatives locales. Le point d'achoppement reste la rencontre entre le monde scientifique, qui développe et utilise des programmes validés à l'international depuis plus de vingt ans, et le monde local francophone, qui expérimente des approches de terrain.
Quels sont les freins?
Il n'y avait pas de programmes «clés en main» structurés, conçus et validés en France. Il a donc fallu récupérer des programmes développés dans des pays anglo-saxons. Depuis 2009, j'ai pu en expérimenter plusieurs en France. Souvent, ils n'ont pas fonctionné comme nous l'espérions. Les programmes validés aux Etats-Unis sont culturellement marqués. Très structurés, ils utilisent des manuels très cadrés qui peuvent déranger les intervenants français, plus habitués aux échanges libres ou à la transmission de messages de prévention. Autre frein: certains de ces programmes sont brevetés. La formation à ces programmes et l'accès aux supports sont payants. En France, les instances régionales d'éducation et de promotion de la santé ou l'Afeps ne sont pas dans cette logique. Nous mettons les programmes que nous développons à la disposition du plus grand nombre.
Quelles sont les conditions pour que ces programmes soient efficaces?
La qualité de l'adaptation et de l'implantation locale est déterminante. Il faut aussi que ces interventions soient fidèles au contenu initial des programmes validés dont elles dérivent. Les éducateurs qui réalisent ces interventions doivent être bien formés. Il faut une équipe éducative réceptive. Enfin, il faut une cohérence entre les pratiques développées avec les enfants et celles mises en oeuvre au quotidien par les adultes, dans la gestion de la classe ou de la cour de récréation, par exemple. On conseille généralement que ces programmes soient intégrés dans une dynamique globale de l'école.
Certaines initiatives, en France, sont parvenues à récupérer le meilleur des activités des programmes anglo-saxons validés et à les adapter au contexte français. Facilement utilisables, ces programmes sont très bien reçus.
L'avenir n'est-il pas dansla formation des professeurs d'école àces compétences?
Bien sûr. Ni l'école ni l'enseignement de la pédagogie ne peuvent faire l'impasse sur les compétences psychosociales. Mais ce sont des apprentissages en rupture avec l'enseignement magistral à la française. On ne peut pas rester dans une transmission verticale des savoirs.
Quand il s'agit d'éduquer à la régulation de la colère, par exemple, on travaille des savoir-faire, on touche au savoir-être: cela nécessite de passer par l'expérience, la pratique, les jeux de rôle... L'enseignant est, de fait, impliqué. Ainsi, intervenir dans les cursus d'enseignement publics ou privés des maîtres d'école reste un défi. Il n'y a pas encore de consensus sur les contenus à enseigner ni sur les moyens de les apprendre.
Ces interventions doivent-elles cibler les quartiers difficiles?
Il a été bien montré que les CPS sont bénéfiques chez tout le monde. Si elles ne sont pas travaillées à l'école, elles dépendent de l'environnement familial. Or, dans certaines familles, la gestion des émotions et des relations aux autres est problématique. Il y a là une source d'inégalités énorme.
Le renforcement de ces compétences est destiné à tous, dans une logique de bien-être et de réussite éducative. Il a même été montré que l'insertion professionnelle et le bien-être au travail étaient meilleurs chez les adultes qui en ont bénéficié dans l'enfance. C'est un enchaînement vertueux qui est impressionnant.
Quel est l'âge idéal pour renforcer ces compétences ?
L'idéal serait de commencer très tôt. Dès 10 ans, les enfants ont acquis des modalités de relation aux autres et de gestion de leurs émotions. Dans le Val d'Oise, avec l'Afeps, nous développons un programme expérimental en crèche, pour les 2-4 ans, en nous inspirant de ce qui se fait à l'étranger, notamment au Québec. Prenons l'exemple du rapport aux émotions. On a tendance, en France, à avoir peur de ses émotions, à s'en couper, surtout quand il s'agit de la tristesse ou de la colère. Le fait de refuser cette expérience émotionnelle est culturel. Pour autant, on peut travailler, chez le tout petit, le fait d'être à l'aise avec ce type d'émotions. Apprendre à les reconnaître, les accepter, les réguler peut avoir beaucoup d'impact pour soi-même et pour les relations avec les autres. Ces apprentissages favoriseront l'entrée à l'école maternelle et pourront être utiles tout au long de la vie.
http://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/01/30/les-programmes-psychosociaux-sont-en-rupture-avec-l-enseignement-magistral-a-la-francaise_5071754_1650684.html