Publié le 21/08/2014 http://www.jim.fr/e-docs/moins_de_suicides_parmi_les_hommes_bien_integres_socialementcqfd_147028/document_actu_med.phtml
Le suicide est une cause majeure de décès aux USA, touchant plus
particulièrement les hommes d’âge moyen. En 2000, il en a été
dénombré près de 36 000 sur une population totale américaine de
plus de 300 millions, entrainant une perte de productivité de plus
de 60 milliards de dollars.
A côté de facteurs psychiatriques, psychologiques et biochimiques cités en premier dans les comportements suicidaires, Durkheim, dès le 19e siècle, avait mis en avant le rôle protecteur de l’intégration sociale. Plus récemment, une étude de la World Health Organization Mental Health a signalé que nombre de suicides surviennent en l’absence de tout trouble mental patent.
Une cohorte de professionnels de santé suivie pendant 24 ansAu vu du manque notable d’études prospectives sur ce sujet, A C Tsai et collaborateurs se sont penchés sur les relations possibles entre intégration sociale et mortalité par suicide. Ils ont pris pour base les données de la Health Professionnals Follow- up Study (HPFS) débutée en 1986 dans le but de suivre de façon prospective et à long terme une cohorte composée uniquement d’hommes, âgés de 40 à 75 ans, professionnels de santé (dentistes, pharmaciens, vétérinaires…). Les participants ont rempli initialement un questionnaire qui renseignait, de façon détaillée, sur leur histoire médicale, leurs habitudes alimentaires, leur style de vie et autres comportements en matière de santé. Parallèlement il évaluait leur niveau d’intégration sociale à partir d’un indice à 7 items comportant le statut marital, l’importance du réseau social, la fréquence des contacts, la participation à une communauté religieuse ou à d’autres structures sociales. Le score, pouvant aller de 1 à 12, définissait 4 niveaux d’intégration plus ou moins élevés. L’âge des participants, la date de recueil des données, la nature de la profession, le statut tabagique, la consommation éventuelle d’alcool, de caféine, d’anti- dépresseurs ainsi que l’indice de masse corporelle, le degré d’activité physique et les principales co- morbidités ont été notés. L’objet principal de la présente étude était, dans cette population précise, d’examiner la corrélation entre le nombre de décès observés jusqu' au 1 février 2012 et le niveau d’intégration sociale. Plusieurs analyses de sensibilité ont été effectuées afin de tester la robustesse des résultats globaux et de tenter d’éviter les erreurs de classification. Les suicides par armes à feu et le rôle possible de pathologies graves associées telles que maladies cardiovasculaires ou cancer, ont fait l’objet d’analyses particulières.
Des 51 525 participants de sexe masculin initialement inclus dans HPFS, 34 901 (67,7 %) ont répondu au questionnaire d’intégration sociale et font parti de la cohorte prospective. Il est à noter que, sur les 24 ans de suivi, les répondeurs ont eu, dans l’ensemble, une incidence moindre de suicides que les non répondeurs (21 vs 30/100 000 personnes-années). L’âge moyen des participants, au départ, était de 56,6 ans (SD: 9,8). La majorité d’entre eux étaient dentistes (56 %) ou vétérinaires (20,7 %). Ils travaillaient en règle à plein temps. Sur une échelle allant de 1 à 12, leur niveau d’intégration sociale se situait à 6,6 (SD : 3,1) ; 41,5 % appartenaient à la catégorie d’intégration la plus élevée. Les participants les moins bien intégrés fumaient davantage, consommaient plus d’alcool et de caféine, avaient moins d’activités physiques.
Sur un total de 708 945 personnes-années de suivi, on a relevé 147 suicides, le plus souvent par arme à feu (60,5 %) ou par empoisonnement (13,6 %). L’incidence des suicides a varié en fonction du niveau d’intégration sociale de départ. Elle a été la plus faible chez les individus qui avaient le meilleur niveau (Hazard ratio ajusté [HRa] 0,41 ; intervalle de confiance, IC, à 95 % : 0,24 et 0,69). Le HRa se situe à 0,52 pour la classe suivante, témoignant d’un niveau d’intégration encore satisfaisant (IC : 0,30- 0,91). Il s’éleve à 0,70 (IC : 0,43- 1,15) pour le niveau le plus médiocre. Chaque variation d’1 point de l’indice est corrélée à une variation du risque suicidaire de 10 %. Il a, par ailleurs, été possible d’apprécier les changements éventuels de niveau survenus entre 1988 et 1996 chez 26 526 membres de la cohorte. Là encore, le risque a été plus réduit dans la catégorie restée la plus élevée (HRa : 0,36; IC : 0,13- 0,99).
Ainsi, cette étude longitudinale de 34 901 américains de sexe masculin, suivis pendant 24 ans, révèle-t-elle que le niveau d’intégration sociale est inversement proportionnel au risque suicidaire. La relation entre ces 2 variables est statistiquement significative, de grande ampleur, robuste et non modifiée par les autres causes de mortalité. Les conclusions de ce travail rejoignent celles d’autres publications, dont celle de Kposowa, parue en 2000 dans le Journal of Epidemiology Community Health qui n’avait pris en compte que le seul facteur marital. Il est souligné le rôle important de l’appartenance à un groupe religieux et le fait que, même en cas de variations de l’intégration sociale au fil des années, le maintien dans la classe la plus élevée ou l’amélioration du niveau d’intégration contribuent à une meilleure protection contre le suicide.
L’interprétation de ces résultats doit toutefois être assortie de quelques réserves. En premier lieu, l’état mental des participants n’a pas, directement, été étudié, seule l’utilisation possible d’anti dépresseurs ayant été notifiée. En second lieu, ce travail n’a concerné qu'une population très spécifique de professionnels de santé d’âge moyen et de sexe masculin et ne saurait, en l’état, être généralisé à des types de populations différentes selon le sexe ou le statut socio- économique. L’étude issue d’HPFS rapporte, en effet, sur une période de 24 ans, un taux de suicide de 21/100 000 personnes, bien inférieur à celui constaté en 2010 qui oscillait entre 30,0 et 30,7/ 100 000 en général pour des hommes d'âge compris entre 45 et 59 ans. De plus ont pu être commises des erreurs de classification avec les morts violentes, cause de sous estimation possible du nombre de décès par suicide.
En résumé, une étude longitudinale sur 24 ans d’une cohorte de professionnels de santé américains, d’âge moyen et de sexe masculin, confirme qu'un bon niveau d’intégration sociale représente un facteur protecteur de la mortalité par suicide. Dans l’avenir doivent être mieux précisés les mécanismes sous tendant cette relation, avec pour objectif final, une amélioration en matière de santé publique.
Dr Pierre Margent
A côté de facteurs psychiatriques, psychologiques et biochimiques cités en premier dans les comportements suicidaires, Durkheim, dès le 19e siècle, avait mis en avant le rôle protecteur de l’intégration sociale. Plus récemment, une étude de la World Health Organization Mental Health a signalé que nombre de suicides surviennent en l’absence de tout trouble mental patent.
Une cohorte de professionnels de santé suivie pendant 24 ansAu vu du manque notable d’études prospectives sur ce sujet, A C Tsai et collaborateurs se sont penchés sur les relations possibles entre intégration sociale et mortalité par suicide. Ils ont pris pour base les données de la Health Professionnals Follow- up Study (HPFS) débutée en 1986 dans le but de suivre de façon prospective et à long terme une cohorte composée uniquement d’hommes, âgés de 40 à 75 ans, professionnels de santé (dentistes, pharmaciens, vétérinaires…). Les participants ont rempli initialement un questionnaire qui renseignait, de façon détaillée, sur leur histoire médicale, leurs habitudes alimentaires, leur style de vie et autres comportements en matière de santé. Parallèlement il évaluait leur niveau d’intégration sociale à partir d’un indice à 7 items comportant le statut marital, l’importance du réseau social, la fréquence des contacts, la participation à une communauté religieuse ou à d’autres structures sociales. Le score, pouvant aller de 1 à 12, définissait 4 niveaux d’intégration plus ou moins élevés. L’âge des participants, la date de recueil des données, la nature de la profession, le statut tabagique, la consommation éventuelle d’alcool, de caféine, d’anti- dépresseurs ainsi que l’indice de masse corporelle, le degré d’activité physique et les principales co- morbidités ont été notés. L’objet principal de la présente étude était, dans cette population précise, d’examiner la corrélation entre le nombre de décès observés jusqu' au 1 février 2012 et le niveau d’intégration sociale. Plusieurs analyses de sensibilité ont été effectuées afin de tester la robustesse des résultats globaux et de tenter d’éviter les erreurs de classification. Les suicides par armes à feu et le rôle possible de pathologies graves associées telles que maladies cardiovasculaires ou cancer, ont fait l’objet d’analyses particulières.
Des 51 525 participants de sexe masculin initialement inclus dans HPFS, 34 901 (67,7 %) ont répondu au questionnaire d’intégration sociale et font parti de la cohorte prospective. Il est à noter que, sur les 24 ans de suivi, les répondeurs ont eu, dans l’ensemble, une incidence moindre de suicides que les non répondeurs (21 vs 30/100 000 personnes-années). L’âge moyen des participants, au départ, était de 56,6 ans (SD: 9,8). La majorité d’entre eux étaient dentistes (56 %) ou vétérinaires (20,7 %). Ils travaillaient en règle à plein temps. Sur une échelle allant de 1 à 12, leur niveau d’intégration sociale se situait à 6,6 (SD : 3,1) ; 41,5 % appartenaient à la catégorie d’intégration la plus élevée. Les participants les moins bien intégrés fumaient davantage, consommaient plus d’alcool et de caféine, avaient moins d’activités physiques.
Sur un total de 708 945 personnes-années de suivi, on a relevé 147 suicides, le plus souvent par arme à feu (60,5 %) ou par empoisonnement (13,6 %). L’incidence des suicides a varié en fonction du niveau d’intégration sociale de départ. Elle a été la plus faible chez les individus qui avaient le meilleur niveau (Hazard ratio ajusté [HRa] 0,41 ; intervalle de confiance, IC, à 95 % : 0,24 et 0,69). Le HRa se situe à 0,52 pour la classe suivante, témoignant d’un niveau d’intégration encore satisfaisant (IC : 0,30- 0,91). Il s’éleve à 0,70 (IC : 0,43- 1,15) pour le niveau le plus médiocre. Chaque variation d’1 point de l’indice est corrélée à une variation du risque suicidaire de 10 %. Il a, par ailleurs, été possible d’apprécier les changements éventuels de niveau survenus entre 1988 et 1996 chez 26 526 membres de la cohorte. Là encore, le risque a été plus réduit dans la catégorie restée la plus élevée (HRa : 0,36; IC : 0,13- 0,99).
Etre marié et avoir un riche réseau social protège…
Trois des composants de l’indice : le statut marital, la taille du réseau social et la participation à des services religieux émergent comme étant les facteurs protecteurs de suicide les plus significatifs. Il en va de même dans le groupe plus particulier des suicides par armes à feu et après exclusion des co morbidités cardiovasculaires ou néoplasiques lourdes. A côté de l’incidence des suicides, la mortalité globale et celle de cause cardiovasculaire évoluent aussi inversement avec le niveau d’intégration sociale.Ainsi, cette étude longitudinale de 34 901 américains de sexe masculin, suivis pendant 24 ans, révèle-t-elle que le niveau d’intégration sociale est inversement proportionnel au risque suicidaire. La relation entre ces 2 variables est statistiquement significative, de grande ampleur, robuste et non modifiée par les autres causes de mortalité. Les conclusions de ce travail rejoignent celles d’autres publications, dont celle de Kposowa, parue en 2000 dans le Journal of Epidemiology Community Health qui n’avait pris en compte que le seul facteur marital. Il est souligné le rôle important de l’appartenance à un groupe religieux et le fait que, même en cas de variations de l’intégration sociale au fil des années, le maintien dans la classe la plus élevée ou l’amélioration du niveau d’intégration contribuent à une meilleure protection contre le suicide.
L’interprétation de ces résultats doit toutefois être assortie de quelques réserves. En premier lieu, l’état mental des participants n’a pas, directement, été étudié, seule l’utilisation possible d’anti dépresseurs ayant été notifiée. En second lieu, ce travail n’a concerné qu'une population très spécifique de professionnels de santé d’âge moyen et de sexe masculin et ne saurait, en l’état, être généralisé à des types de populations différentes selon le sexe ou le statut socio- économique. L’étude issue d’HPFS rapporte, en effet, sur une période de 24 ans, un taux de suicide de 21/100 000 personnes, bien inférieur à celui constaté en 2010 qui oscillait entre 30,0 et 30,7/ 100 000 en général pour des hommes d'âge compris entre 45 et 59 ans. De plus ont pu être commises des erreurs de classification avec les morts violentes, cause de sous estimation possible du nombre de décès par suicide.
En résumé, une étude longitudinale sur 24 ans d’une cohorte de professionnels de santé américains, d’âge moyen et de sexe masculin, confirme qu'un bon niveau d’intégration sociale représente un facteur protecteur de la mortalité par suicide. Dans l’avenir doivent être mieux précisés les mécanismes sous tendant cette relation, avec pour objectif final, une amélioration en matière de santé publique.
Dr Pierre Margent